La pénurie de main-d’œuvre en IARD frappe aussi les experts en sinistre. Cette pénurie a été aggravée par les nombreuses catastrophes naturelles survenues depuis le début de l’année. Des mesures ont pourtant été mises en place pour renverser la vapeur, mais la profession peine à se sortir la tête de l’eau.Au Québec, plus de 80 % des dirigeants de cabinets d'experts en sinistre croient qu'il est plutôt ou très difficile de recruter de nouveaux employés. C'est ce que révèle un sondage annuel réalisé par SCOR Marketing pour la Chambre de l'assurance de dommages et la Coalition pour la promotion des professions en assurance de dommages.

Une quarantaine de cabinets indépendants ont collaboré à cette partie du sondage. L'étude souligne que le manque de candidats qualifiés est la source principale de la pénurie. Le sondage révèle aussi que l'industrie IARD a embauché 307 experts en sinistre en 2007, une baisse par rapport aux 415 recrues de 2006. D'ici 2010, elle devra en embaucher 767 de plus.

Yvon Parmentier, secrétaire-trésorier chez Bourdon, Juteau & Associés, qualifie la situation de crise aiguë. « Ça ne date pas d'hier. Il y a une pénurie d'experts dans l'industrie depuis huit ans et ça va péricliter », dit-il.

André Yergeau, président d'André Yergeau & Associés, confirme la difficulté de recruter de nouveaux talents. « Il y a très peu de personnel qualifié sur le marché », dit-il. Avec ses six experts, le cabinet peine à répondre à la demande.

De plus, la pénurie de main-d'œuvre est plus apparente depuis le début de l'année. L'hiver particulièrement rigoureux et les diverses catastrophes comme la tempête du 10 juin dernier ont forcé les employés à travailler plus qu'à l'habitude. M. Yergeau constate que depuis le 15 février, les cabinets d'experts en sinistre indépendants sont débordés. « Nous ne pouvons même pas traiter tous les dossiers que les assureurs nous transfèrent », dit-il.

Pour sa part, Richard Verreault, vice-président, opérations Québec, chez Experts en sinistre SCM, dit « qu'il y a une surcharge de travail évidente ».
Les contrats de SCM proviennent exclusivement d'assureurs qui font appel aux indépendants pour répondre à la demande. En ce moment, SCM doit parfois refuser des dossiers soumis par les assureurs, faute de temps et de ressources.

Départs des baby-boomers

En plus de la récente hausse des sinistres, l'absence d'une relève suffisante est aggravée par le vieillissement de la population. « C'est un peu comme dans les autres secteurs de l'économie; les postes vacants d'experts en sinistre, causés par les départs à la retraite, trouvent difficilement de nouveaux candidats », dit M. Yergeau.

Selon Richard Verreault, un fossé s'est creusé entre les experts juniors et les seniors. Les départs à la retraite continueront de causer un problème puisque les jeunes n'auront pas l'expérience requise pour prendre la relève des anciens qui quittent. « Il manque actuellement de nouveaux cadres », ajoute-t-il.

Jean-Marc Laurin, vice-président, opérations Québec, chez CGI, (NDLR : cette entrevue a été réalisée avant la fusion avec SCM) croit que le manque d'experts en sinistre peut aussi s'expliquer par les acquisitions survenues il y a une dizaine d'années. « Les nouvelles compagnies consolidées se sont retrouvées avec plus d'experts que nécessaire, avec pour conséquence des licenciements et moins d'embauche. De plus, les mauvaises perspectives d'emploi n'ont pas encouragé les jeunes à entreprendre une carrière en expertise de sinistre », dit-il.

Des stratégies ont été mises au point afin de contrer la pénurie. Depuis quatre ans, CGI bénéficie d'un programme qui encadre la formation de la relève. « Les employés expérimentés sont mobilisés afin de faciliter le partage des connaissances avec les postes juniors », affirme M. Laurin.

De son côté, Crawford Canada alloue des ressources au recrutement de la relève. Heather Matthews, assistante vice-présidente, acquisition des talents, visite les écoles et les salons de l'emploi afin d'y promouvoir la compagnie et l'industrie. « Crawford vise surtout à engager de nouveaux diplômés et les former pour ses besoins futurs en expertise de sinistre, dit Mme Matthews. Nous recrutons constamment afin de pouvoir faire face à la demande élevée. »

Pour sa part, André Yergeau souligne que les petits cabinets d'experts ont souvent moins de ressources pour pallier le problème de main-d'œuvre. « Nous ne pouvons pas faire grand-chose pour contrer ce problème, puisque l'accès à la profession se fait par la certification, dit-il. Pour les plus petits cabinets, la solution passe par la promotion faite par l'industrie. »

Un métier exigeant

Jean-Marc Laurin note que les recrues qui veulent devenir experts en sinistre doivent investir beaucoup d'efforts et faire preuve de persévérance pour réussir. Les quelques postulants sont souvent des professionnels nouvellement certifiés qui doivent suivre une formation et un programme de mentorat au sein de la compagnie qui les embauche. « La formation est longue : ça prend du temps avant qu'un expert en sinistre soit vraiment compétent », explique-t-il.

M. Laurin ajoute que chez CGI, les experts en sinistre sont de garde une semaine sur huit et, pendant cette période, ils peuvent se faire
appeler à n'importe quelle heure. « Il y a bien sûr des compensations monétaires, mais un expert doit être disponible, flexible quant à l'horaire de travail et faire preuve d'une grande capacité d'adaptation », dit-il. Il croit que la génération Y n'a pas nécessairement les mêmes priorités que les baby-boomers quant aux conditions de travail.

Yvon Parmentier abonde dans le même sens et dit que l'expertise en sinistre est exigeante.

Les assureurs aussi affectés

Les assureurs sont aussi touchés par la pénurie d'experts en sinistre. À cet effet, Jacques
Boucher, directeur des communications externes à l'Union Canadienne, souligne que les employés du service d'assistance et indemnisation ont été davantage sollicités depuis le début de l'année, ce qui a eu une répercussion sur leurs heures de travail. « Nous avons aussi dû faire appel aux firmes d'experts indépendants plus fréquemment en 2008 », note-t-il.

Le transfert de dossiers des assureurs vers les indépendants n'est pas une mesure d'exception. À chaque année, les experts en sinistres externes traitent environ 20 % des cas reçus par le Groupe Promutuel, selon Josée Garneau, conseillère en relations publiques. Pour AXA Assurances, c'est 13 % de la charge de travail qui est transférée annuellement à l'externe.

Selon M. Boucher de l'Union Canadienne, les postes de niveaux senior et intermédiaire sont les plus difficiles à combler. Pierre Dépatie, vice-président, indemnisation, opérations, chez AXA Assurances fait le même constat. « Nous pouvons combler nos postes juniors, mais ce sont les postes demandant une plus grande expérience ou spécialisation qui causent problème », dit-il.
Les assureurs ont toutefois mis en place des plans d'action afin que la relève soit autonome rapidement et qu'elle ait le goût de poursuivre une carrière dans ce domaine.

Une académie

Le service des ressources humaines du Groupe Promutuel a créé une académie qui prend sous son aile les futurs candidats. Le but est de mieux les préparer à l'examen de l'Autorité des marchés financiers. Promutuel recrute six étudiants en assurance par année. « Ils travaillent à la ligne d'urgence sinistre environ 20 heures par semaine. Cette pratique vise à leur donner le goût de l'expertise en sinistre et à les aider à compléter leurs études », explique Josée Garneau, porte-parole du Groupe Promutuel.
Aviva Canada forme aussi sa propre relève. « Nous embauchons des experts en sinistre sans expérience et nous leur offrons la possibilité de se développer à l'interne », dit Ida Cerantola, conseillère marketing. Aviva tente également de retenir la main-d'œuvre expérimentée en offrant du temps partiel aux nouveaux retraités.

L'Union Canadienne et AXA Assurances ont mis sur pied des postes de mentors qui encadrent la formation de la relève en plus de mobiliser les employés plus expérimentés. Le but est de faciliter le partage des connaissances.
Chez Desjardins Groupe d'assurances générales (DGAG), les futurs et nouveaux employés ont accès à des stages et des cours offerts à l'interne. « Nous bénéficions de partenariats avec des collèges d'enseignement qui offrent des programmes en assurance », explique Stéphane Mailhot, directeur des communications de DGAG.

L'assureur dit aussi constater que la pénurie d'experts en sinistre est particulièrement prononcée dans la région de Québec. Selon M. Mailhot, la dizaine de sièges sociaux de compagnies d'assurance présents à Québec et le bas taux de chômage aggravent la rareté de candidats.
Les 11 assureurs de la région de Québec se sont regroupés pour former le Centre de développement en assurances et services financiers.

ING Assurance a mis au point un plan de relève exhaustif, qui comprend l'embauche de 10 à 20 experts en sinistre par année, indique Sonia Bergeron, conseillère en communications chez l'assureur. « Beaucoup de travail reste à faire pour montrer aux diplômés que notre industrie est dynamique, qu'elle est axée sur les nouvelles technologies et que les opportunités sont bien présentes », dit-elle.

Afin d'attirer les jeunes, mais aussi les adultes qui désirent réorienter leur carrière, la Coalition pour la promotion des professions en assurance de dommages réalise chaque année une série d'activités visant à promouvoir les professions en assurance de dommages, dont l'expertise en sinistres. Robert LaGarde, président du conseil de la Coalition, croit que c'est une question de perception qui freine les jeunes à entreprendre une carrière en assurance de dommages. « La Coalition s'affaire à montrer les avantages de s'orienter vers cette industrie. D'ailleurs, le nombre de cégeps qui offre une formation en assurance est passée de 11 à 24 depuis 2002. Deux autres devraient s'ajouter sous peu », révèle-t-il.

À l'instar de la Coalition, l'Institut d'assurance fait aussi connaître aux étudiants les possibilités d'une carrière en assurance de dommages. Selon Richard Verreault, qui siège au conseil des professionnels de l'Institut, les perspectives d'emploi sont excellentes à la grandeur du pays. « Nous voulons faire plus de promotion dans les écoles », dit M. Verreault.