L’évolution du marché amène assureurs réguliers et grossistes à naviguer dans les mêmes eaux. Ces derniers ont tiré leur épingle du jeu en récupérant des volumes réservés jadis aux assureurs.
« Il y a eu un resserrement du marché l’an dernier, un peu moins cette année, explique Jean-François Raymond, président de GroupAssur. Aviva Canada a annulé plusieurs de ses cabinets d’assurance qui avaient des volumes sur le marché régulier. Ces cabinets ont dû replacer les volumes concernés, en faisant notamment appel aux grossistes. »
Serge Melanson, vice-président chez Assurance SUM, fait plus ou moins le même constat. « On voit un resserrement au niveau du sous-standard, avec les acquisitions réalisées ces dernières années par les Aviva, Intact Assurance ou encore RSA Assurances de ce monde. Aujourd’hui, ils sont en train de vérifier leur portefeuille, les volumes acquis. Il y a donc certains dossiers qui sont sortis de leur créneau, ce qui ouvre la porte à des grossistes. »
Toutefois, M. Raymond met en garde l’industrie : la situation devrait évoluer rapidement, pas plus tard que l’an prochain. « Il y aura plus d’acteurs en 2017, ce sera plus compliqué. Echelon, qui possède un volume qui cadre bien avec les grossistes, va rentrer sur le marché. Economical va se replacer pour récupérer les volumes des réguliers, prévient-il. De plus, Aviva Canada a resserré le nombre de cabinets avec qui la compagnie fait affaire. Ce sera plus difficile d’aller chercher de la croissance. Ça ne veut toutefois pas dire que l’on sera en décroissance. »
Autre réalité pour les grossistes : la consolidation qui va bon train. « On évolue en parallèle avec le courtage et les assureurs, d’où une augmentation de la consolidation chez les grossistes, note Guy Boissé, président de Service de Courtage National, une propriété de Groupe Totten. Selon lui, pour être un gros joueur, pour être profitable, il faut atteindre une masse critique, avec un minimum de 20 ou 25 millions de dollars (M$) de primes.
Qui dit moins d’assureurs, dit aussi plus de grossistes et donc, plus de concurrents. Pour se démarquer dans ce contexte, plusieurs possibilités : se spécialiser dans une niche ou, au contraire, se diriger de plus en plus vers le standard et concurrencer toujours plus les assureurs réguliers.
« Il faut réagir le plus vite possible, s’adapter au marché qui change très rapidement. Depuis deux ans, nous nous sommes alignés, dit Johanne Pistagnesi, présidente Pistagnesi Doyon qui affiche un volume de 12 millions de dollars (M$). Les gens nous connaissent en biens, en responsabilité civile et en responsabilité professionnelle. On fait plus de responsabilité civile pour se démarquer des autres grossistes et des réguliers. »
La réactivité, le nerf de la guerre
Autre élément clé pour se différencier, la réactivité dans le traitement des dossiers, qui passe notamment par l’émission rapide d’une police, sans avoir à en référer à un assureur. « Notre force, c’est la plume », résume Mme Pistagnesi. Idem pour Serge Melanson qui se réjouit d’avoir « l’autorité » vis-à-vis des assureurs de SUM. Pour Guy Boissé qui possède « la plume avec les assureurs domestiques et avec les Lloyd’s », la plume, c’est un must. Selon lui, si tu es capable de sortir une prime en 24 heures, tu as 50 % de chance de signer.
Pour se démarquer, les grossistes misent aussi sur la relation d’affaires qu’ils entretiennent avec les courtiers. « Les courtiers disent de nous que nous sommes plus un assureur qu’un MGA, dit Nick Kidd, directeur général d’April Canada. Le marché québécois est très différent du reste du Canada. Au Québec, les courtiers ont besoin de plus de choix et ne l’obtiennent pas nécessairement de la part des assureurs généraux. Ils l’obtiennent de nous. »
Selon lui, il existe deux éléments clés pour se développer. D’une part, il faut se concentrer sur le service, en optimisant la vitesse du traitement des demandes et la communication avec les courtiers. D’autre part, il faut sans cesse travailler sur les produits.
C’est d’ailleurs pour cette raison qu’April Canada a investi récemment dans une nouvelle plateforme numérique, à destination de ses courtiers. Lancée au mois de juin, l’objectif sera d’offrir plus de rapidité et plus de transparence sur l’avancée du traitement des demandes.
« Quand on parle à un courtier, il faut toujours se dire qu’il y a un client au bout de la chaine. C’est pourquoi la vitesse de notre réponse est très importante. Grâce à cette nouvelle plateforme, nous supprimons les tâches manuelles du processus et le rendons plus rapide, dit M. Kidd. L’autre élément important, c’est d’apporter de la transparence. En effet, une fois que les courtiers ont effectué leur demande, ils n’aiment pas ne pas savoir où se trouve le dossier, et à quel stade de traitement il se situe. Ils disent d’ailleurs que quand ils envoient une demande à un MGA, elle tombe dans un trou noir ! Désormais, ils pourront suivre à la trace leur soumission. »
Pour Jean-François Raymond, de GroupAssur, la rapidité est devenue « le nerf de la guerre », la prime étant désormais un peu secondaire selon lui. « Les courtiers, quand ils ont une demande de dernière minute, ils envoient tout chez le grossiste plutôt que de passer par le marché régulier, explique-t-il. Parfois, on leur dit que leur demande concerne plutôt un régulier, mais ils reviennent nous voir en disant : non, on veut un grossiste. C’est encore plus vrai au Québec, par rapport à l’Ontario où il y a le double d’assureurs. Au Québec, le grossiste est pratiquement considéré comme un assureur ! »
Volumes figés
Mario Campeau, vice-président pour le Québec et l’Ontario à Trans Canada, tire plus ou moins les mêmes conclusions. Au-delà de la rapidité, c’est selon lui une relation d’affaires privilégiée que les grossistes doivent entretenir.
« Les courtiers passent par les MGA pour avoir des réponses rapides, dit-il. Mais le contact personnel est aussi important. Le courtier recherche une oreille, un souscripteur en particulier. On est là pour répondre aux exceptions. »
C’est ce sens du service qui est également mis en avant par Travis Budd, vice-président chez Assurance SUM et président de Morin Elliot, pour tenter de se démarquer. « Lorsque l’on donne un bon service donc les courtiers reviennent. Généralement, ils viennent avec des dossiers à problèmes. Ils se souviennent qu’on les a aidés, donc ils reviennent. Et s’ils ne comprennent pas le risque, ils viennent nous voir pour notre expertise. »
Le resserrement du marché pousse aussi certains grossistes à se tourner de plus en plus vers les risques standards. Elle fige aussi les positions et les volumes en jeu dans le sous-standard.
« Le sous-standard, on en fait, chaque grossiste en fait », dit Johanne Pistagnesi. Elle reconnait que d’une année à l’autre, les changements peuvent être très rapides. Il n’en demeure pas moins que son cabinet couvre de nombreux risques sous-standards comme notamment les restaurants, les bars, ou des risques très originaux…
« Dernièrement, un homme qui a fabriqué un système lui permettant de voler dans les airs grâce à des drones s’est tourné vers nous pour assurer une démonstration qu’il fera l’été prochain à Montréal. Nous avons placé son risque au Lloyd’s, en responsabilité, pour un évènement d’une heure ou deux. Nous faisons aussi du drone en responsabilité. J’en ai plusieurs chez Lloyd’s. On peut tout avoir, même des manufacturiers de munitions par exemple. »