Quel impact aura l’adoption des projets de loi 141 et 150 sur la vente d’assurance au Québec ? Impossible de le cerner précisément pour le moment, mais des tendances se dégagent. L’accès au conseil demeure primordial.
Lors de son panel de fermeture, la Journée de l’assurance de dommages a convié l’industrie à se projeter à J+1 de l’adoption des projets de loi, soit au lendemain de leur entrée en vigueur. Des solutions pour réinventer les méthodes de vente ont été présentées.
Eric Stevenson, associé chez Lavery, a été surintendant de l’assistance aux clientèles et de l’encadrement de la distribution de produits et services financiers à l’Autorité des marchés financiers. Il a piloté le début des travaux de réflexion sur la distribution d’assurance par Internet en 2012, issus de la demande faite par un assureur auprès de l’Autorité. « On a bien vu les complexités », dit-il.
En menant cet exercice, le régulateur a toujours eu en tête le principe directeur voulant que la technologie soit au service des individus. Les prestataires peuvent utiliser tous les moyens, mais l’élément central demeure le conseil, ajoute M. Stevenson.
La technologie continuera d’évoluer et le régulateur ne peut ignorer les nouvelles pratiques dans le marché chaque fois qu’un nouveau gadget s’impose. « Le principe est simple : lorsque le client a besoin de conseil, peu importe le point d’entrée, il doit y avoir accès », insiste-t-il.
Des changements dans la continuité
De son côté, Marie-Lucie Paradis, nommée récemment au poste de vice-présidente, distribution stratégique et communications chez Intact Assurance, souligne que les changements seront adoptés dans la continuité au sein de son entreprise. « Le client est au cœur de notre stratégie de distribution depuis belle lurette », dit-elle.
Les outils sont adaptés en fonction des besoins des clients. Depuis 2017, les travaux du laboratoire de données de l’assureur permettent d’utiliser l’intelligence artificielle pour faciliter les interactions avec la clientèle. « Tous nos efforts de recherche et de développement nous poussent à améliorer le réseau de courtage », dit-elle.
Selon Alain Hade, vice-président principal, expérience membres-clients et markéting chez Desjardins Groupe d’assurances générales (DGAG), la perception persiste concernant la désuétude des pratiques de certains assureurs chez bon nombre de consommateurs. « Dans les faits, on a commencé à évoluer depuis plusieurs années », dit-il.
Depuis décembre, le client qui désire souscrire une assurance auto en ligne peut réaliser l’exercice sans parler à un intermédiaire chez Desjardins. Les ventes complètes réalisées par cet outil demeurent faibles. « Les gens veulent encore parler à un agent ou à un courtier », note-t-il, en reconnaissant que la souscription en ligne prendra de l’ampleur. Les assureurs doivent utiliser davantage la technologie pour faciliter les échanges avec les clients. « C’est ce qu’ils demandent », dit-il.
Tirer profit de l’innovation
Président du conseil d’administration du Regroupement des cabinets de courtage d’assurance du Québec (RCCAQ), Christopher Johnson affirme que les plus innovants sauront tirer profit de cette nouvelle réalité numérique. Son propre cabinet utilise déjà un outil de souscription en ligne.
Le client s’attend à ce que sa réclamation soit recevable, surtout si on ne lui a pas posé beaucoup de questions avant de souscrire le risque. À son avis, cette souscription rapide pourrait avoir un impact non négligeable. Si un trop grand nombre de réclamations sont rejetées, l’image de l’industrie s’en ressentira, ce qui ne sera bon pour personne, tant pour les courtiers que les agents, insiste-t-il.
Il y a du positif à améliorer l’expérience client, poursuit M. Johnson. « À minuit, si le client décide qu’il veut changer son compte bancaire pour payer sa prime, il doit pouvoir le faire lui-même par l’entremise du site du courtier. Cela libère du temps pour les courtiers qui peuvent réaliser des tâches plus profitables. »
Éviter les problèmes à l’indemnisation
Dans un concept de souscription en ligne, que peuvent faire les manufacturiers de produits pour offrir les produits adéquats aux besoins des clients, si ceux-ci ne parlent pas à un intermédiaire ?
« Aucun assureur ne veut jouer sa réputation sur une mauvaise prestation de service qui découlerait de la souscription sans l’aide d’un intermédiaire », indique Alain Hade. Il rappelle que l’Autorité a déjà publié des lignes directrices pour encadrer les pratiques de vente sur Internet.
Chez Desjardins, l’assureur s’est doté de processus d’assurance qualité, a développé des sites Internet performants et investit en recherche et développement pour continuer d’améliorer les outils. « On se donne les moyens pour analyser et mieux utiliser l’information transmise par le client », dit M. Hade.
S’il semble y avoir une discordance entre le profil du client et la protection utilisée, on appelle le client. « La dernière chose qu’on veut est d’avoir des problèmes à l’étape de l’indemnisation », explique M. Hade.
Avec sa longue expérience du côté de l’indemnisation chez Intact, Marie-Lucie Paradis note que le règlement de sinistres est au centre du processus d’affaires de l’assureur. « On ne prendra jamais cet aspect à la légère. Bâtir une marque, ça coute beaucoup de dollars », dit-elle. L’efficacité accrue des outils numériques permet au représentant certifié de se consacrer aux tâches qui ajoutent de la valeur à son offre de service, poursuit-elle.
Le cas de Marcel
Christopher Johnson cite le cas d’un client fictif, Marcel, 59 ans, qui « a été encouragé par son beau-frère à souscrire son assurance sur Internet parce que c’est moins cher ». Marcel complète le processus rapidement, mais il oublie de mentionner qu’il tire des revenus à temps partiel de ses talents de mécanicien avec son garage personnel. « Il n’a pas compris la question sur les revenus professionnels », suggère-t-il.
Évidemment, cet oubli devient important à la suite d’un sinistre. « J’ai une question pour les assureurs. Allez-vous payer toutes les réclamations pour protéger votre réputation ? », lance M. Johnson.
Il y aura des turbulences, souligne-t-il en citant le cas particulier et très médiatisé de l’enseignant et auteur Samuel Archibald, qui a créé de grands remous dans l’industrie de l’assurance collective. « Des histoires du genre David contre Goliath, il y en aura. On le sait, le courtier doit souvent prendre la défense des intérêts de son client lors d’une réclamation », ajoute-t-il.
« On doit toujours s’assurer que le client comprend le produit et les protections offertes, et ce, même si la transaction se fait au téléphone ou en personne », rappelle Marie-Lucie Paradis.
Les assureurs pourront par exemple limiter les choix de couverture lors de la première souscription. « Il y aura toujours des cas problématiques à l’étape de l’indemnisation », dit-elle. La vente par Internet ne signifie pas que tout est permis, car le processus demeure bien encadré par le régulateur, poursuit-elle.
Selon Eric Stevenson, il est probable que le client fictif de M. Johnson soit familier avec la nécessité de bien protéger son patrimoine. Les consommateurs plus jeunes sont plus insouciants à cet égard.
« Ils sont pressés et ils pensent qu’ils n’ont pas besoin de conseil. C’est un défi à relever. Votre marque vaut quelque chose. Le client doit comprendre qu’il n’achète pas des billets d’avion pour aller à Punta Cana, mais des produits essentiels pour couvrir ses biens les plus importants », dit-il.
Une tendance bien implantée
Bernard Laporte, PDG d’Intergroupe Assurances, souligne qu’aux Pays-Bas (20 %) et au Royaume-Uni (15 %), la souscription des produits d’assurance en ligne est déjà une tendance bien implantée. Selon lui, les clients plus jeunes (35 ans et moins) sont davantage à l’affut de la prime la plus basse possible.
« Si on achète une paire de chaussures en ligne et qu’on n’est pas satisfait, on la retourne. Pour une police d’assurance, c’est à l’étape de la réclamation qu’on découvre les problèmes », ajoute M. Laporte. Bien sûr, la meilleure utilisation des outils technologiques est une vraie nécessité, mais l’expérience client, c’est bien plus que l’accès par Internet. »
Porter le fardeau de la preuve en cas de refus
Selon Alain Hade, les moyens technologiques permettent aussi d’améliorer l’étape du règlement de sinistre. « L’utilisation d’Internet ne va pas dérégler tout le système », dit-il.
Reprenant l’exemple suggéré par Christopher Johnson, M. Hade indique que les assureurs devront porter le fardeau de la preuve s’ils veulent refuser une réclamation. « Si on n’a pas posé la bonne question à Marcel pour qu’il nous informe correctement, on ne va pas le pénaliser », dit-il en précisant que telle est la position de l’assureur qu’il représente.
Eric Stevenson souligne que lors des consultations des dernières années concernant la distribution par Internet, faites aussi à l’échelle canadienne, les assureurs voulaient connaitre les limites de leur responsabilité. « Assurez-vous que le client a bien compris, ça s’arrête où ? », demandaient les assureurs aux régulateurs.