Un nombre croissant d’employés se trouvent coincés entre la garderie et le CHSLD. Ces employés souffrent en silence et se présentent au travail sans que leur esprit y soit totalement. L’employeur qui hésite à mettre en place un programme de conciliation travail-famille menace à son insu la productivité de son entreprise.

Les dollars sont comptés, la concurrence est féroce. Les chefs d’entreprise devront prendre des décisions pour survivre, dit Claude Di Stasio, vice-présidente du secteur des affaires québécoises de l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes (ACCAP).

L’exercice promet d’être difficile pour les conseillers en avantages sociaux. « Davantage préoccupés par le rendement de leur entreprise, ils n’aiment pas que vous leur parliez de dépenses, dit-elle. Vous devez les conseiller afin qu’ils puissent optimiser le dollar qu’ils ont en poche », a insisté Mme Di Stasio.

La liste des défis que rencontrent les entrepreneurs en matière de main-d’œuvre s’allonge sans cesse. Ils devront faire face à la perte d’expertise entrainée par les futurs retraités, recruter et former les plus jeunes.

« Un expert peut faire en deux heures ce qu’un nouvel employé mettra sept heures à faire », estime Mme Di Stasio. Il faudra gérer ces enjeux tout en maintenant la quantité et la qualité de la productivité, ajoute-t-elle. Il faudra gérer les risques associés au maintien des travailleurs plus âgés dans la chaine de production, et les frustrations des plus jeunes envers les régimes traditionnels qui s’étiolent sous les pressions économiques.

Enjeu majeur pour la productivité

Entre les deux extrêmes : la génération sandwich en mal de conciliation travail-famille. Cette génération promet des défis particuliers à l’employeur, allant de l’absentéisme au présentéisme, si rien n’est fait. Un enjeu majeur pour la productivité, croit Mme Di Stasio.

L’employeur qui croit le fait de se mêler de la vie de ses employés hors de son ressort devra se raviser, estime-t-elle. Certaines choses sont bonnes à savoir. Les travailleurs de la génération sandwich auront, par exemple, à jouer les équilibristes entre les enfants que l’on doit déposer ou prendre à la garderie et un parent atteint d’une maladie que l’on doit visiter.

« Aller de la garderie au parent atteint d’Alzheimer qu’on doit passer voir chaque soir pour s’assurer qu’il ait pris ses médicaments, cela crée du présentéisme chez l’employé. Celui-ci quittera à 16 h 15 plutôt qu’à 16 h 30 pour voir à temps son père, sa mère… »

Pour faire passer l’absentéisme et surtout le présentéisme sur le plan du concret dans la tête de l’employeur, le conseiller aura avantage à faire ressortir ce que représente une heure perdue dans une semaine de travail, pense Mme Di Stasio. « Une personne qui travaille 40 heures par semaine en perd une en raison de son rôle d’aidant naturel, car elle se préoccupe du fait qu’elle doit appeler sa mère. Or, 1 heure par semaine multipliée par 48 semaines (car il faut bien prendre des vacances) donne 48 heures de travail ou 1,2 semaine. Dans une entreprise de 40 employés, c’est la valeur d’un employé à temps plein par an », signale la vice-présidente des affaires québécoises de l’ACCAP.

Le télétravail peut aider à la conciliation travail-vie personnelle. Elle évoque le cas d’une personne qui perd deux heures en déplacement par jour pour se rendre au travail. « Si l’employeur lui permet trois jours de télétravail par semaine, elle en prendra une pour elle et travaillera l’autre, ce qui fait trois heures de productivité de gagnées pour l’employeur. Ça n’a pas couté grand-chose à votre client : un ordinateur et de l’encadrement. » Le bénéfice pour le conseiller d’une telle recommandation? « Un employeur content, qui peut mettre son argent ailleurs. »

Le présentéisme peut déboucher sur l’absentéisme, ajoute Mme Di Stasio. L’impact des absences liées à la santé mentale en témoigne. Citant des statistiques publiées en 2014 par Mental Health International, elle signale que les problèmes de santé mentale entrainent l’absence d’un demi-million de personnes une journée par an. Le cout de ces absences : 51 milliards de dollars (G$) par an. L’invalidité à court terme causée par des problèmes de santé mentale atteint, selon cet organisme, 43 % des réclamations pour 70 % des couts d’invalidité. Les absences qui en résultent durent en moyenne 65 jours, pour un cout moyen de 18 000 $.

L’employeur doit aider

L’employeur doit faire quelque chose pour aider ces personnes à gérer leur détresse et leur donner des outils pour qu’elles puissent s’organiser. « Si on ne fait pas un effort pour ramener ces personnes en travail productif, au bout d’un certain temps, elles ne reviendront jamais », prévient Mme Di Stasio. Selon les statistiques de l’ACCAP, le taux de retour au travail pour toutes sources d’invalidité est de 50 % après 6 mois d’invalidité, de 20 % après 1 an d’invalidité et de seulement 10 % après 2 ans d’invalidité.

« Après deux ans, oubliez ça : les employés ne reviennent pas. Une connaissance en région a fait une tentative de suicide suivie d’une hospitalisation psychiatrique qui a duré un mois. » À sa sortie, elle n’est pas retournée à l’hôpital parce que celui-ci se trouve à une heure et demie en voiture de chez elle. « Pas de suivi, pas de médecin, pas de soins. Deux ans après, elle est encore invalide. »

Comment gérer ces couts et les réduire? Il faut prendre le problème à la racine, croit Mme Di Stasio. « C’est facile de dire qu’un problème résulte du style de vie et qu’il suffit de faire de l’exercice, de mieux s’alimenter et de cesser de fumer, mais parfois le problème ne vient pas de l’employé, il vient d’un de ses proches. Peut-être l’employeur pourrait-il offrir un programme de temps d’accès à des professionnels en santé mentale. Cela réduirait la durée des prestations », suggère-t-elle.

Le secteur public est aussi à l’heure des choix. « Je participe actuellement à une étude sur la possibilité d’étendre l’accès à la psychothérapie. Nous estimons qu’une telle mesure allègerait l’impact de la santé mentale au Canada de 1 G$ par an. »