Les régimes d’assurance collective ont pu souffler ces derniers temps : prix planchers des médicaments génériques de 2013, expiration des brevets de produits vedettes. La pause est finie et l’assaut des médicaments biologiques reprend de plus belle. Employeurs et assureurs devront s’allier pour endiguer cette menace à la viabilité des régimes. Il existe des solutions d’avant-garde pour aider à mesurer, à prévoir et à gérer les couts des régimes d’assurance collective, dit Charles-Antoine Villeneuve, vice-président principal en assurance collective de la société d’actuariat-conseil Aon Hewitt. Il s’adressait alors à une centaine de promoteurs de régimes de moyennes et grandes entreprises lors d’un forum sur la santé à Montréal en fin d’année.

Il les a toutefois invités à aller au-delà des recettes simples et des approches traditionnelles qui ne suffiront plus à la tâche. Les approches de substitution par le médicament générique ont leurs limites. Pour parvenir à ce dépassement, une analyse plus avancée des données issues de l’expérience du régime ainsi que le recours à des mesures parfois drastiques s’imposent, a-t-il ajouté.

La tendance inscrite dans l’histoire doit ralentir pour le salut de plusieurs régimes. « Au début des années 2000, les régimes collectifs comptaient pour moins de 3 % de la masse salariale. Maintenant, ils en comptent souvent pour plus de 6 % », a observé M. Villeneuve.

L’inflation des couts, touchant en grande partie les médicaments, a toutefois ralenti ces dernières années. Les nouveaux prix planchers des génériques et la fin des brevets de plusieurs médicaments vedettes ont permis aux promoteurs de régimes d’absorber temporairement le cout des nouveaux médicaments biologiques. Or, cette pause s’achève, estime M. Villeneuve. « En 2013, les planchers de tarification ont été fixés entre 18 % et 20 % du cout du médicament d’origine. Il est peu probable que les prix des médicaments génériques baissent davantage. »

Le marché continue d’accueillir de nouveaux génériques chaque année. Cependant, peu de ceux qui remplacent des médicaments comptent pour une grosse enveloppe de couts, « tels les superproductions que représentaient les Crestor et Lipidor », a ajouté M. Villeneuve. Ces deux médicaments traitaient l’hypercholestérolémie.

Pendant ce temps, le marché continue d’accueillir des médicaments toujours plus dispendieux. « L’investissement pour les recopier est tellement important qu’il sera difficile pour les fournisseurs de produits génériques de le faire pour 18 % à 20 % du cout de base d’origine. Nous reverrons des réclamations de cout très élevées, s’attend M. Villeneuve. Les deux plus hautes à ce jour dans notre portefeuille ont atteint, pour une seule année, 900 000 $ chez un de nos clients et 700 000 $ chez un autre, pour le médicament Soliris, a-t-il révélé. Croyez-vous que vos régimes sont capables d’absorber cela? » (NDLR Médicament biologique, Soliris traite un type rare d’anémie.)

Les régimes devront prendre des mesures et remettre en question plusieurs façons de faire, croit M. Villeneuve. Il ne pense toutefois pas assister à une aussi grande escalade des couts que celle des années 2000. Celle-ci a toutefois eu le temps de frapper l’imaginaire, et les employeurs ont réagi durant ces années en sabrant leurs régimes.

« Devront-ils encore effectuer une série de coupes dans leurs régimes? Dans les dernières années, plusieurs employeurs ont plutôt opté pour de nouveaux modes de financement des régimes, soutient M. Villeneuve. Plutôt que de payer 75 % du régime, plusieurs employeurs en assumeront 80 %, mais donneront à l’employé une enveloppe fixe pour ses soins de santé. Cela permet à l’employeur de mieux contrôler sa portion des couts. »

« Quelle liste couvrir, celle de l’assureur ou du gouvernement? La question est louable », lance M. Villeneuve. La plupart des assureurs couvrent une liste de médicaments plus large que ce qui est prévu dans le secteur public. Leur critère : qu’il s’agisse d’un médicament prescrit par le médecin. Or, les différents paliers de gouvernement se livrent à des études couts-bénéfices pour choisir les médicaments à couvrir, et dont les assureurs gagneraient à s’inspirer.

Les régimes devront susciter la collaboration des assureurs, pense M. Villeneuve. Ils peuvent communiquer plus directement avec les participants et faire économiser gros au régime.

« Un de nos gros groupes a demandé à l’assureur d’envoyer une lettre aux employés qui consomment des médicaments d’origine pour leur faire prendre conscience de l’existence d’un générique. Cette approche a généré 200 000 $ d’économies dans l’année qui a suivi. Elle ne peut que passer par l’assureur, car l’employeur n’a pas accès aux données sur l’utilisation de chaque participant. »

Les régimes peuvent aussi économiser en cherchant une solution de remplacement aux pharmacies traditionnelles. « Costco se targue d’avoir les frais de pharmacie les plus bas, rapporte M. Villeneuve. On voit aussi apparaitre les pharmacies postales. Il y en a une au Québec, et d’autres pourraient apparaitre dans les prochaines années. »

Briser les silos

Plusieurs autres facteurs d’inflation menacent la viabilité des régimes, dont le dépistage précoce des maladies et la non-observance des traitements. « Dans le cas de la prise d’antidépresseurs, Green Shield Canada a constaté dans une étude réalisée en 2011 une non-observance des traitements allant de 52 % à 58 % dans les groupes d’employés », cite M. Villeneuve. L’étude révèle aussi que moins de 40 % des hommes âgés de 25 à 30 ans observeront ce type de traitement. Un suivi plus serré de l’observance s’impose, croit-il.

M. Villeneuve ajoute que les régimes augmenteront de plus en plus leur soutien et leur suivi envers les grands réclamants. « Les gestionnaires ont mis l’accent sur la gestion de l’invalidité et sur le retour au travail dans les dernières années, mais le respect de la médication peut aussi avoir une grande influence sur l’incidence de l’invalidité. Finie l’époque où on regardait les couvertures d’assurance médicaments et d’assurance invalidité en silo », a-t-il lancé.

Des assureurs tels Great-West offrent d’ailleurs un programme où des infirmières suivront le dossier de grands réclamants. L’idée est de faire le pont entre l’invalidité et le grand consommateur, explique le vice-président principal en assurance collective, M. Villeneuve. L’invalidité elle-même peut se retrouver dans différents silos qu’il faut briser. Selon les études d’Aon Hewitt, la plupart des entreprises canadiennes traitent les réclamations de nature professionnelle dans un service distinct de celui qui traite les réclamations de nature non professionnelle. Un accident de travail fera l’objet de politiques et d’approches différentes d’un accident de ski, par exemple.

L’après 65

La population des régimes d’assurance collective vieillit. Les travailleurs âgés de 40 à 65 ans n’ont jamais été aussi nombreux et ils demeurent au travail plus longtemps. L’épidémie de diabète et d’obésité observée dans la nouvelle génération limitera les bienfaits de la relève. « L’espérance de vie de la génération X-Box sera moins élevée que celle des générations précédentes », a rappelé le vice-président en assurance collective d’Aon Hewitt, Jacques Hébert.

La frange âgée des travailleurs a aussi ses besoins, et M. Hébert croit que ceux-ci peuvent être comblés sans mettre les régimes à sac. Il invite les promoteurs à repenser les avantages sociaux offerts aux retraités et travailleurs de 65 ans et plus au sein des régimes.

« Offrez-leur les services dont ils ont besoin et non pas ceux dont vous pensez qu’ils ont besoin, a-t-il lancé. Les retraités ont peut-être plus besoin de planification de fin de vie que de planification financière à la retraite, un service que les employeurs offrent abondamment. Ils pourraient aussi donner des services moins couteux et porteurs d’une grande valeur ajoutée, par exemple la planification en fin de vie. »

Le régime doit aussi chercher à retenir les employés le plus longtemps possible, croit M. Hébert. « Pour réduire les couts, l’employeur propose de plus en plus aux travailleurs de 65 ans et plus de s’inscrire au régime universel de la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ). Il couvre ensuite les frais que n’assume pas le régime public. »

Les régimes ne doivent pas non plus négliger l’invalidité de longue durée pour ces travailleurs plus âgés, croit M. Hébert. « C’est faisable si le régime limite la durée des prestations d’invalidité à deux ou trois ans, par exemple. Ce n’est pas encore une tendance lourde, mais on constate la curiosité des clients face à cette approche », relate M. Hébert.

Malgré la tendance démographique actuelle, il demeure possible d’atteindre un meilleur équilibre dans le partage des couts, croit M. Hébert. Or, il faut agir maintenant. « Dans les années 60, il y avait six travailleurs pour un retraité. Il y en a aujourd’hui trois et il n’y en aura que deux dans 25 ans », a-t-il révélé.

Les régimes devront aussi faire la distinction entre assurance et budget pour les retraités et employés de 65 ans et plus. « Plusieurs couvrent des choses qui relèvent davantage du budget, comme la massothérapie et les soins de la vue. Les protections de retraités devraient être axées sur les risques catastrophiques, comme l’assurance voyage. » Jacques Hébert rapporte le cas d’un ami qui a dû assumer une facture de 334 000 $ US pour un triple pontage en Floride.

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