La technologie qui permettra d’être assis dans un véhicule sans le conduire est plus proche de la réalité qu’on le croit. Cependant, l’adoption par le grand public des véhicules entièrement autonomes arrivera dans un horizon plus lointain que ce qui est anticipé par les marchés. L’assurance automobile deviendra un produit obsolète quelque part entre 2044 et 2060, prédisent les auteurs d’une étude approfondie.
Intitulée Insuring Autonomy : Analyzing the Implications of Self-Driving Cars for the Auto Insurance Industry, l’étude a été publiée au début de l’automne dernier par Morningstar DBRS. Ses auteurs sont Brett Horn et Suryansh Sharma.
Concernant les accidents de la route aux États-Unis, par mille parcouru, le nombre d’accidents et de victimes a baissé de près 70 % entre les années 1980 et 2010. Cependant, les progrès ont cessé et on a même vu une modeste remontée ces dernières années.
Près de 90 % des collisions ont pour cause principale l’erreur humaine. « Les habitudes et le comportement humains en matière de conduite sont notoirement difficiles à changer », indiquent les auteurs.
Prudence
L’agence suggère aux investisseurs de se montrer prudent avec les actions des assureurs. Parmi les assureurs les plus exposés au risque automobile, on mentionne Allstate, Berkshire Hathaway, Progressive et Travelers.
« Le groupe se négociant à un prix très élevé par rapport aux multiples comptables historiques, dans une perspective à long terme, nous nous demandons si les valorisations actuelles sont justifiées pour des entreprises qui pourraient devenir obsolètes. »
Dans une période de 10 à 20 ans, la valeur du portefeuille d’assurance automobile devra être réduite à la baisse, car les polices ne comporteront plus de franchise payable par le conducteur.
Les marchés sont emballés par les perspectives de ce marché émergent depuis des années. La valeur médiane de levée des capitaux des jeunes pousses (startups) qui développent des technologies pour les véhicules autonomes (VA) a été multipliée par six entre 2019 et 2024.
Cinq paliers
Il faut distinguer six paliers d’autonomie de la conduite d’un véhicule, passant du niveau 0 où l’assistance est temporaire, au niveau 5 où le véhicule est entièrement autonome et ne requiert aucune assistance humaine. Les paliers 0 à 2 exigent encore la supervision ou l’intervention du conducteur.
La quasi-totalité des technologies les plus avancées se classe dans les niveaux 2 à 4, avec une majorité au deuxième palier. Seul le service de robotaxi Waymo apparaît au niveau 4.
Waymo a d’ailleurs publié une analyse avec Swiss Re, rapportée par Morningstar DBRS, où l’on ne rapporte aucun accident avec blessé pour les robotaxis ayant parcouru 3,8 millions de milles (6,1 millions de kilomètres). En comparaison, on rapporte chez les conducteurs une moyenne de 1,1 réclamation par million de milles parcourus pour les accidents avec blessés.
Pour les dommages aux véhicules, le taux de réclamation atteint 0,78 réclamation par million de milles, comparativement à 3,26 réclamations pour les véhicules conduits par des personnes.
« L’intérêt des voitures autonomes est que le conducteur n’a plus le contrôle. Il est donc difficile de voir comment le propriétaire d’une voiture sans conducteur pourrait être tenu légalement responsable des dommages. Selon nous, l’assurance automobile deviendrait très probablement une assurance responsabilité civile pour le produit et serait finalement prise en charge par les constructeurs automobiles lorsque l’autonomie de niveau 4 ou 5 sera atteinte », indiquent les auteurs.
D’ici là, tant que l’intervention humaine sera requise, les besoins d’assurance personnelle pour le conducteur seront toujours nécessaires. « En conséquence, nous pensons que de nombreux obstacles devront être surmontés pour que les conducteurs ne soient plus obligés de maintenir un certain niveau d’assurance. Tout d’abord, des véhicules hautement autonomes et abordables devront être disponibles à grande échelle. Ensuite, les réglementations actuelles concernant l’assurance personnelle devront être modifiées État par État. Enfin, les véhicules entièrement autonomes (niveau 4 ou 5) devront remplacer de manière significative les voitures non automatisées et même partiellement automatisées sur la route. »
Trois scénarios
L’étude analyse l’implantation graduelle des technologies d’assistance à la conduite en fonction de trois scénarios : très dynamique, rapide et modéré. On a comparé le temps d’adoption des technologies par l’industrie automobile comme indice du temps requis pour atteindre les paliers 4 ou 5 d’autonomie dans 80 % des véhicules. Quelque 10 % des véhicules sont déjà dotés de système d’assistance à la conduite.
Pour passer de 10 % à 80 %, selon le scénario, il faudra entre 7 et 18 ans, estiment les auteurs. Pour atteindre 60 % de VA sur la route avec des systèmes automatisés de niveau 4 ou 5, le scénario très dynamique permettra d’atteindre la cible en 2044, comparativement à 2053 pour le scénario rapide et 2060 pour le scénario modéré.
Il ne faut pas négliger l’impact de la revente des véhicules qui ne sont pas dotés de systèmes d’assistance à la conduite et qui seront délaissés par leurs propriétaires au profit des VA, ajoutent les auteurs. Au lieu d’être rachetés par un nouveau conducteur, ces véhicules pourraient être envoyés directement à la ferraille dans une proportion plus importante.
L’impact sur les assureurs se fera en trois temps. Selon le scénario très dynamique, pour une première période de 10 ans, même dans le scénario très dynamique, il n’y aura pas d’impact sur les produits d’assurance automobile. Même si l’adoption des VA et leur niveau d’autonomie progressent, les retards normaux dans les ajustements requis aux lois et règlements feront en sorte que le produit d’assurance sera maintenu, même s’il n’est plus nécessaire.
Par la suite, pour une autre période de 10 ans, au fur et à mesure que les VA seront adoptés par les consommateurs, les primes d’assurance baisseront au même rythme, selon les auteurs. Ils présument également que « les résultats de souscription s’affaibliront en raison de la réduction des coûts, poussant les rendements vers le coût des capitaux propres ».
« Il existe un scénario potentiellement positif pour les assureurs automobiles. Si l’autonomie totale s’avère difficile à atteindre, mais que les voitures partiellement autonomes améliorent considérablement la sécurité, l’assurance automobile pourrait rester nécessaire pendant des décennies à venir », indique-t-on dans l’étude.
« Les assureurs automobiles pourraient éventuellement bénéficier de taux d’accidents plus faibles pendant des années. Les résultats historiques suggèrent que les assureurs automobiles ont produit des rendements plus élevés lorsque les taux d’accidents étaient en baisse avant 2010. »
Concurrence
L’étude permet aussi d’évaluer les pays les plus avancés en matière d’autonomisation de la conduite. Même si l’Europe compte sur certaines entreprises technologiques très avancées dans certaines niches, les chercheurs de Morningstar DBRS comparent les chances de la Chine ou des États-Unis dans cette course à la position dominante.
Les chercheurs utilisent six critères pour comparer les pays, par ordre décroissant d’importance : la pile logicielle (qui remplace le cerveau du conducteur), la compétitivité et le dynamisme, le soutien gouvernemental et politique, la pile matérielle (les appareils qui remplacent les yeux du conducteur), la maturité de l’écosystème, et l’acceptation des consommateurs.
Du côté du développement logiciel, les États-Unis sont nettement en avance, mais la Chine domine dans plusieurs autres domaines, notamment en matière de compétitivité et d’acceptation sociale.
Il existe d’autres domaines comme le soutien politique, les cadres réglementaires et la maturité globale de l’écosystème des véhicules autonomes. Il n’est pas encore évident de déterminer le pays ayant une longueur d’avance, selon les auteurs. Ils accordent néanmoins un léger avantage à la Chine.
Impacts nombreux et variés
Le présent texte résume les principaux faits saillants de l’étude, mais le document très détaillé compte 81 pages. On y présente l’état d’avancement des différents systèmes d’assistance. On y réfléchit aussi sur l’utilité de l’assurance dans le contexte où les routes sont parcourues par une large majorité de VA.
« Une façon d’envisager les perturbations d’emploi causées par les véhicules autonomes est de penser à l’impact direct sur les emplois qui impliquent principalement la conduite de véhicules motorisés, comme les chauffeurs de camion, les chauffeurs de bus, les chauffeurs de taxi, etc., ainsi qu’à l’impact indirect sur les emplois qui impliquent quelque peu la conduite, comme les pompiers, les électriciens, les ouvriers du bâtiment, etc. »
Une fois le risque de collision éliminé, il ne reste qu’à protéger le véhicule contre les dommages causés par autre chose, notamment les événements météorologiques comme les inondations ou la grêle, ou contre le vol. Prenant l’exemple d’Allstate, selon qui les catastrophes représentent 2 % des sinistres sur une période de cinq ans, les auteurs soulignent : « Si la couverture de l’assurance automobile était limitée à ce seul domaine, le secteur se réduirait à une taille négligeable. »
La responsabilité civile liée à la conduite du véhicule deviendra plus complexe à déterminer quand l’avancement de l’autonomisation aura atteint les niveaux 3 et 4. Au troisième palier, le conducteur peut encore intervenir. Au niveau 4, la responsabilité relèvera du constructeur du véhicule ou de ses fournisseurs en cas de collision, ce qui réduira la contribution des assureurs classiques à des produits très nichés.
Mise à jour
Une nouvelle mise à jour de l’étude conjointe Waymo/Swiss Re a d’ailleurs été récemment publiée, basée sur le comportement des robotaxis ayant parcouru plus de 25,3 millions de milles (40,7 millions de kilomètres) de manière complètement autonome. Intitulée Do Autonomous Vehicles Outperform Latest-Generation Human-Driven Vehicles? A Comparison to Waymo’s Auto Liability Insurance Claims at 25 million miles, l’étude a été publiée en décembre 2024.
Après avoir comparé les données obtenues via Waymo à l’ensemble des conducteurs américains, les chercheurs rapportent une réduction de 88 % des dommages matériels et 92 % des réclamations en responsabilité civile pour les blessures corporelles. Waymo rapporte 10 collisions, dont 9 ont entraîné des dommages matériels et 2 des blessures corporelles.
Même en comparant les résultats du robotaxi avec les véhicules les plus récents dans le marché qui sont dotés de technologies avancées, la réduction des réclamations est presque aussi importante.