L’amélioration de l’expérience client est une nécessité pour les entreprises qui doivent numériser leurs échanges avec les consommateurs. Selon trois experts, les assureurs ont intérêt à imiter les meilleurs à cet égard, tant dans les services financiers que dans d’autres secteurs.
Les représentants de trois importantes institutions financières actives en assurance ont récemment partagé leurs efforts en matière de gestion des relations avec la clientèle.
La discussion, qui était animée par Jimmy James-Bergeron, chef de pratique, transformation client, services financiers chez EY, se déroulait dans le cadre du Rendez-vous EY de l’assurance au Québec, tenu à la fin novembre à Québec.
Chez iA Groupe financier, la fonction de l’expérience client a été centralisée, mais dans une approche fédérative, explique Vincenzo Ciampi, vice-président principal, expérience client globale (global experience ou GX).
Cette unité est un noyau central qui travaille avec les autres unités d’affaires. « Ce n’est pas une centralisation pure, c’est un mélange des deux. Cela nous a amené beaucoup de gains intéressants », dit-il.
Le conseil d’administration et la haute direction de l’entreprise ont longuement réfléchi à la création de GX, relate M. Ciampi. Le groupe venait de connaître une bonne expansion par la croissance organique et des acquisitions, et le volume de clients augmentait rapidement aussi. Plusieurs équipes diverses travaillaient chacune de leur côté sur l’expérience client.
« L’idée est de rassembler les différentes fonctions qui étaient disparates, de les fédérer puis de travailler avec des lignes d’affaires à travers le Canada et les États-Unis », ajoute Vincenzo Ciampi.
À Desjardins
Au Mouvement Desjardins, l’expérience client est devenue une discipline en soi à partir de 2012, souligne Sophie Bergeron, directrice principale, expérience membre et client de Desjardins. « Et la façon dont on a réussi à aligner stratégie, culture, raison d’être et surtout exécution, c’est en commençant par mettre en place le système Net Promoter Score (NPS) », dit-elle.
Le système vient aussi avec cinq dimensions essentielles, soit « un leadership organisationnel soutenu, des fondations robustes en données et analytique, des indicateurs fiables, des boucles d’amélioration continue basées sur ce que les membres et les clients nous disent, et enfin des employés heureux », explique Mme Bergeron.
L’expérience des employés n’est pas négligée dans le contexte. Des sondages internes sont réalisés afin de valider la pertinence de la démarche organisationnelle en matière de service à la clientèle. « On veut savoir de leur part si on est vraiment cohérent. Si on annonce qu’on met l’intérêt des membres et des clients au cœur de nos actions, est-ce que les bottines suivent les babines ? C’est notre étoile du Nord », dit-elle.
L’expérience client est inscrite dans la planification stratégique et un budget conséquent lui est consacré pour mener les plans d’exécution des différents secteurs d’affaires. « On a essayé différents modèles par le passé. Maintenant, on a une équipe centrale qui accompagne l’ensemble des secteurs d’affaires et des fonctions de soutien », dit-elle.
L’équipe s’occupe de la donnée et de l’analytique, avec tous les intrants des membres et des clients, le design d’expérience de même que de l’accompagnement des secteurs pour la mise en œuvre des plans d’affaires.
Pour Beneva
De son côté, Louis-Philippe Roux, vice-président marketing et commercialisation de Beneva, insiste davantage sur l’utilisation des technologies du marketing (martech) pour l’exploitation des données issues des différentes unités d’affaires. Le groupe Beneva est présent dans tous les volets de l’industrie : dommages, collectif, assurance individuelle et services financiers.
« On collige quand même un grand nombre de données à l’interne, mais aussi de l’externe. L’ensemble de ces données-là doit être utilisé et exploité », indique M. Roux. Sans un système intégré de gestion de ces données, on ne peut maximiser l’impact de l’entreprise auprès de sa clientèle.
La multiplicité des médias force l’entreprise à bien gérer ses investissements en marketing. « Comment sélectionne-t-on la façon de rejoindre notre clientèle dans le marché fragmenté des médias qu’on a aujourd’hui ? Il y a des télés connectées, la télé traditionnelle, l’affichage, évidemment la publicité numérique, avec tout ce que les gens font en ligne aujourd’hui », dit-il.
En assurance de dommages, où l’assureur est très présent par son réseau de distribution en mode direct, le nombre d’interactions avec les clients est plus élevé que pour l’assurance individuelle. Dans ce segment, l’expérience client se passe souvent avec la succession du consommateur, bien des années après la souscription du produit, note M. Roux.
De gauche à droite : Jimmy James-Bergeron, Vincenzo Ciampi, Sophie Bergeron et Louis-Philippe Roux.
Haute direction
Vincenzo Ciampi souligne que l’équipe GX d’iA Groupe financier est une unité d’affaires distincte. Elle est exploitée avec des chiffres pour les ventes et les profits et d’autres indicateurs de performance. « On a une place à la table décisionnelle », dit-il.
Le client doit être au cœur des préoccupations de la haute direction de la compagnie. « Si ce n’est pas dans le top 5 des priorités du PDG, même si tu as la meilleure équipe, même si les gens sont fantastiques, ça ne va pas avoir le même impact. »
Il ajoute : « Heureusement, je travaille pour une compagnie qui a cette mentalité-là. »
Étude sur les utilisateurs
Selon Sophie Bergeron, le travail en recherche et développement est au centre de l’activité de l’équipe chargée de l’expérience client au sein de Desjardins. On y mène des études sur les tendances, les attentes des clients, on teste les solutions numériques.
« Avec des instruments très sophistiqués maintenant, on peut mesurer l’oculométrie, l’expression faciale, le mouvement des yeux, la biométrie », relate-t-elle. Cela permet d’obtenir une information d’ordre comportemental qu’on n’obtiendrait pas dans le cadre d’un sondage auprès des utilisateurs.
L’équipe du laboratoire de recherche utilisateur est quand même tombée dans ce qu’elle appelle « le piège d’experts ». On a voulu faciliter l’utilisation des solutions numériques pour les clientèles dont le niveau d’alphabétisation est faible, soit en raison de leur parcours scolaire ou tout simplement parce que leur langue maternelle n’est pas le français ni l’anglais. Cela représente environ 25 % de la clientèle de l’entreprise.
« On s’est inventé une panoplie de symboles, de logos, en pensant bien faire. On s’est rendu compte que pour ces clientèles, le niveau d’abstraction n’est pas le même. Si on sort des symboles universellement connus et qu’on en crée de nouveaux, on les perd. On est donc revenu à des phrases plus courtes, à des mots plus simples », précise Mme Bergeron.
L’ouragan Debby
Tant chez Desjardins que chez Beneva, les équipes ont été mises à rude épreuve en août 2024 lors des inondations qui ont découlé des pluies diluviennes accompagnant le passage de la tempête tropicale Debby dans le sud du Québec.
Sophie Bergeron souligne que ce genre d’événement peut peser sur le sentiment de loyauté des membres et clients envers l’assureur, comme l’avait démontré l’évolution du score NPS lors de sinistres antérieurs. « On avait appris des expériences passées, on avait écouté ce qui était le plus important pour eux. Et on a vraiment répondu à l’appel l’été dernier », estime-t-elle.
Louis-Philippe Roux constate aussi que la connaissance acquise antérieurement par Beneva auprès des clients a permis à l’assureur d’orchestrer les communications au moment des inondations en août dernier. Peu importe le moyen par lequel le client sinistré tentait de joindre l’assureur, établir la communication était difficile.
« On a donc utilisé l’information qu’on avait pour personnaliser les communications. Selon le profil du client, les messages étaient expédiés par l’entremise du canal privilégié », dit-il. Grâce à l’information sur la localisation des sinistrés, on a pu ainsi rassurer directement les clients qui s’inquiétaient des retards pris dans le traitement de leur réclamation ou du paiement de leur indemnité.
Selon lui, cet événement marque l’importance du système martech lorsqu’on veut prendre les devants et répondre aux attentes des clients. « On a réussi à gérer la situation désagréable que tout le monde vivait et à ménager la fidélisation », poursuit M. Roux.
Les primes d’assurance de dommages ont été ajustées à la hausse ces dernières années. Les outils de martech sont aussi utilisés pour atténuer l’impact du choc tarifaire vécu par les consommateurs lors du renouvellement de leur police. « On ne peut pas tout contrôler et il y a encore des clients mécontents qui nous appellent », dit-il, mais cette communication préventive permet de limiter les pertes du côté de la rétention de la clientèle.
Les exemples à suivre
Vincenzo Ciampi reconnaît l’importance de la mesure de l’humeur de la clientèle par différents indicateurs. « Sans mesures, on fait de la spéculation et on entre plus dans les idées reçues », dit-il en précisant que l’exercice est une véritable obsession dans son équipe.
Même si la compagnie va bien, que la valeur de l’action est élevée et que les actionnaires sont contents, l’entreprise ne peut s’asseoir sur ses lauriers. « Il faut continuellement se réinventer », ajoute M. Ciampi.
Il juge nécessaire que l’entreprise se compare avec les meilleures, et pas seulement avec les autres institutions de l’industrie des services financiers. « Les banques font un travail remarquable en matière d’expérience client, mais est-ce qu’elles sont vraiment les meilleures ? Absolument pas. »
Il suggère de prendre exemple sur Amazon, Tesla ou Disney. « Même si ton client est satisfait de l’expérience que tu lui offres, il ne faut jamais tenir pour acquis qu’il sera toujours là. » Il ne faut jamais négliger l’agilité de l’entreprise et la rapidité de l’exécution, insiste M. Ciampi.
Sophie Bergeron estime que les progrès liés aux outils d’intelligence artificielle permettront d’offrir une expérience client de plus en plus personnalisée. Au laboratoire de Desjardins, on a ainsi créé des clients virtuels, ou répondants synthétiques, que l’on interroge pour tester des produits et services et en améliorer les caractéristiques. On évalue ainsi divers aspects comme le temps de traitement de la demande ou de l’appel, le caractère de l’interaction, la gestion de la réclamation, etc.
« Chez Desjardins, on considère qu’on n’est pas une institution financière ; notre raison d’être est vraiment d’être là pour accompagner nos membres et nos clients dans leur autonomie financière. Quand on dit, ça ouvre les horizons et on peut vraiment chercher le cœur de ce que le membre ou le client s’attend de nous et ensuite y répondre », dit-elle.
De l’avis de Louis-Philippe Roux, l’adhésion des employés aux nouvelles technologies et leur utilisation dans leurs interactions avec la clientèle ne peuvent être l’apanage de quelques convertis. « On doit le faire collégialement et collectivement au sein des organisations. »
La pierre angulaire de la personnalisation de la communication demeure le consentement du client, poursuit-il. La législation se durcit à cet égard, comme on le constate dans le cas du géant numérique Alphabet et de son utilisation des « cookies » dans le moteur de recherche Google. Peu importe le système qu’on met en place pour améliorer l’expérience client, il faut respecter les règles, indique-t-il.
Le système martech est très étroitement imbriqué dans les technologies de l’information (TI). La disponibilité des outils ne fait pas foi de tout, selon M. Roux. « Il y a des fournisseurs qui te promettent mer et monde, mais cela doit respecter la vision de l’entreprise. Chez Beneva, on est là pour accompagner le client tout au cours de sa vie, notamment pour ce qu’il a de plus précieux, avec une grande simplicité. »
« En assurance, il faut rendre cette expérience la plus fluide, la plus simple et la moins douloureuse possible. C’est le client qui décide du moyen de communication », ajoute-t-il.