« Créer un sentiment d’appartenance à une organisation ou à une entreprise, par le web, c’est assez difficile. Et le travail d’équipe en est affecté », pense Guy Couture, chef de la mise en marché en assurances individuelles au Québec de Manuvie

En entrevue avec le Portail de l’assurance*, il a fait part de ses observations sur l’évolution de l’industrie depuis les années 1980 et ses perspectives pour l’assurance de personnes au Canada. M. Couture partira à la retraite en mai prochain, après plus de 43 ans et demi de service au sein du même assureur.

Originaire de Lévis et formé à l’Université Laval, où il a obtenu un baccalauréat en administration, marketing et assurance en 1980, Guy Couture est entré chez Manuvie la même année.

« L’industrie a énormément évolué », indique-t-il en soulignant particulièrement l’évolution de la gamme des produits offerts.

« Durant cette période-là, on a commencé à vendre des polices vie universelle. En 1980, ça ne se vendait pas. Il y avait des produits temporaires, des produits avec participation ou non, des produits permanents sans participation. On a ajouté la vie universelle, les produits de maladies graves. On a développé l’assurance salaire », dit-il.

La planification financière a aussi pris davantage de place dans la relation entre les conseillers et leurs clients. Ces nouveaux produits ont permis aux conseillers de répondre davantage aux besoins de la clientèle. Du côté de la distribution, les « vendeurs d’assurance » sont devenus des entrepreneurs spécialisés qui gèrent des équipes.

« Quand j’ai commencé, on pouvait s’occuper de produits d’assurance vie, de fonds distincts, j’ai même été responsable pendant un temps de l’assurance collective. J’avais tout ça sous mon chapeau et j’étais capable de suivre. Aujourd’hui, ça prend un petit génie pour être capable de suivre l’ensemble de ces produits en même temps », dit-il.

Cette tendance à la spécialisation est à son avis nécessaire. « Il n’y a pas si longtemps, les changements de produits arrivaient à un rythme moins élevé que maintenant. De plus, les conseillers distribuent les produits de plusieurs compagnies. Si tu veux faire cela et distribuer des fonds distincts, si tu veux être vraiment à jour dans chaque gamme de produits, être généraliste, c’est compliqué », souligne-t-il. 

« Chez les plus jeunes conseillers, j’observe cette tendance d’avoir une équipe autour de soi, plutôt que d’être un one-man-show. » 

Conformité et technologie 

« C’est sans compter les obligations en matière de conformité. Là encore, si tu veux être conforme, ça devient un peu difficile à suivre », note Guy Couture. 

« La conformité a amené de bonnes choses dans l’industrie. Le client est certainement mieux protégé. Mais cela représente une demande importante qui pèse sur le conseiller, et je me demande si chaque fois qu’on en rajoute une couche, ça sert vraiment bien le client ou si ça ne fait qu’alourdir la tâche du conseiller. Il y a un juste équilibre à trouver de ce côté-là », poursuit-il. 

« Il faut penser aussi à la technologie qui est requise aujourd’hui pour pouvoir bien fonctionner. C’est un autre aspect qui demande des investissements importants de la part des conseillers », dit-il.

Les assureurs doivent contribuer à fournir des solutions numériques qui contribuent à l’efficacité du conseiller. « Les clients ont des attentes à cet égard, soit d’être servis rapidement. » 

La pandémie de COVID-19 aura permis d’implanter de manière plus rapide la signature électronique des documents. « Évidemment, cela se prête bien si la relation est déjà bien établie entre le conseiller et son client », dit-il. 

Désormais chez Manuvie, le client a aussi accès à son portfolio de produits, ce qui lui permet de faire des corrections, comme son changement d’adresse, d’institution financière ou de bénéficiaire. « Le client peut faire ça en ligne. Cette façon de faire sauve du temps au conseiller et cela allège le volume d’appels qu’on peut recevoir dans nos centres d’appels », mentionne Guy Couture. 

« S’il y a un côté positif à la pandémie, ça nous a poussés à accélérer le développement de solutions numériques et à investir les sommes requises pour les développer. » 

Guy Couture fait une mise en garde. « Nous sommes quand même dans une industrie de relations de personne à personne. Je ne crois pas que tout doit devenir numérique. Le conseiller doit garder un contact personnel avec son client. » 

Une longue carrière 

La semaine précédant cet entretien avec le Portail de l’assurance, Guy Couture avait justement répondu à cette question : comment a-t-il fait pour travailler aussi longtemps au sein de la même entreprise ? « Je n’ai jamais pensé à quitter l’entreprise », dit-il. 

La première raison est la qualité du climat de travail dont il a profité au sein des équipes auxquelles il participait ou qu’il dirigeait. Au-delà des considérations monétaires, quitter son groupe de travail quand on est lié aux collègues rend la chose plus difficile.

« Manuvie a toujours été une compagnie innovatrice. Il y avait toujours quelque chose de nouveau. L’attrait du nouveau défi, ça te permet de continuer. Et un moment donné, tu te réveilles et 40 ans sont passés, parce que ton niveau d’engagement a été élevé durant tout ce temps. » 

Sentiment d’appartenance 

La pandémie a permis aux assureurs d’implanter des solutions technologiques qui simplifient la vie des conseillers. L’attrait pour le télétravail représente un défi pour les organisations qui désirent créer un sentiment d’appartenance et de fidélité de leurs employés, fait observer Guy Couture. 

« Si tu as peu de liens avec ces gens-là, parce que tu as toujours bâti des relations sur le web, qui sont pour moi des relations fragiles, la considération monétaire sera la seule chose que tu regarderas. Travailler dans cette entreprise ou dans une autre, si je suis entre mes quatre murs à la maison, ça revient au même. Alors, on quitte l’entreprise sans arrière-pensée », dit-il. 

Tant chez les assureurs que dans les cabinets de services financiers, il estime que l’on reviendra graduellement à un mode de travail où les gens sont davantage présents au bureau. « Quand tu embauches de nouveaux employés, la formation à distance, ça allonge le processus d’entraînement. Ils n’ont pas leurs collègues autour d’eux pour les aider dans leur apprentissage », dit-il.

Cela représente un des défis que les gestionnaires de demain devront régler, et pas seulement en assurance. « Je le vois avec mes nouveaux employés, et avec les employés aussi. On travaille très fort pour justement créer ce sentiment d’appartenance à l’entreprise et bâtir des équipes qui travaillent bien ensemble », indique Guy Couture. 

Courbe d’apprentissage 

Au début de sa carrière comme stagiaire en gestion chez Manuvie, le programme d’entraînement s’étalait sur deux ans. « On passait d’un marché à l’autre. J’ai déménagé plusieurs fois, de Québec à Montréal, puis à Toronto. Ensuite, à Sherbrooke, à Montréal, pendant les cinq premières années où j’étais dans l’entreprise. » 

« C’était toujours de nouveaux marchés et il y avait toujours quelque chose de nouveau à apprendre. Pourtant, à cette époque-là, l’industrie n’évoluait pas au rythme où elle évolue aujourd’hui. Mais il y avait quand même une bonne courbe d’apprentissage », poursuit-il. 

« Quelqu’un qui désire vraiment évoluer dans sa carrière et qui est capable de gérer sa formation personnelle, c’est phénoménal. C’est ce qui est offert par une organisation comme la nôtre, les outils sont là », insiste-t-il. 

À ses débuts, toute la distribution se passait par des agences de carrière. Le gestionnaire de ces bureaux devait superviser toutes les tâches, allant du traitement des nouvelles affaires au service à la clientèle, en passant par la comptabilité, le recrutement et la formation des conseillers, etc. 

Regard sur l’avenir 

Désormais, la distribution des produits d’assurance de personnes passe principalement par des conseillers indépendants et des agents généraux (MGA). Guy Couture constate que, même si le marché canadien est relativement mature, il y a des segments de marché où les ventes demeurent faibles, principalement chez les immigrants, les femmes et les jeunes de 18 à 34 ans. 

« Peut-être qu’on devra s’en occuper, vu que ces segments de marché semblent moins attrayants pour les indépendants. On devra trouver d’autres façons de faire pour les joindre et répondre à leurs besoins. Je n’ai pas de boule de cristal, mais peut-être que ce sera une force de vente qui sera un peu plus captive », dit-il.

L’industrie doit toutefois relever certains défis, dont celui de valoriser les carrières en assurance de personnes, reconnaît Guy Couture. « Peut-être qu’il faudra revoir aussi nos formules de rémunération pour permettre aux plus jeunes, pendant qu’ils se bâtissent, d’avoir un volume d’affaires récurrent qui leur permet de bien vivre. » 

La détention de polices individuelles est en baisse au Canada et l’industrie doit relever ce défi, selon M. Couture. « Est-ce qu’on considère que nos clients sont bien servis en procédant seulement à des couvertures d’assurance collective et des garanties pour couvrir des soldes de cartes de crédit ? Je pense qu’il y a définitivement de la place pour de l’innovation. » 

Manuvie l’a fait en lançant l’assurance comportementale il y a sept ans. « On croit fermement que c’est l’avenir de notre industrie, de faire le lien entre l’assurance et le bien-être des individus. On y croit fermement. Mais ça demande du temps pour changer les mentalités et développer un marché comme ça », dit-il. 

La proximité 

Comme gestionnaire au fil des ans, Guy Couture a développé son lien de proximité avec ses collègues. En tant que responsable de la mise en marché, les distributeurs sont ses premiers clients et il doit entretenir de bonnes relations avec eux.

« Mais les premières personnes pour qui je me rends disponible en tout temps, ce sont mes employés. Pour moi, c’est la clé. Il ne faut jamais perdre cela de vue. » 

« On a beau être au mieux dans notre rôle de gestion, mais sans une bonne équipe autour de nous, sans des gens engagés et qui ont confiance en nous, on ne va nulle part », insiste-t-il. 

* L’entrevue a été menée conjointement avec Serge Therrien, président et éditeur des Éditions du Journal de l’assurance