Les conseillers financiers font face à un important tournant. Dans le futur, les clients ne voudront plus payer le conseiller pour les services qu’il leur donne en matière d’investissement. C’est plutôt au niveau de la gestion de leur patrimoine qu’ils voudront de l’assistance et qu’ils seront prêts à payer pour ses services.

« Il y a des changements très importants et profonds qui ont cours dans l’industrie et qui affectent tous les intervenants. Nous avons atteint un point de bascule. Il faut en profiter », dit Éric Lauzon, vice-président régional, développement des affaires, région de l’Est du Canada, chez Assante Gestion du patrimoine, où il supervise 300 conseillers financiers. Il a tenu ces propos lors du récent Congrès de l’assurance et de l’investissement.

Pour M. Lauzon, ce changement affecte à la fois l’industrie du conseil, celle des fonds communs et celle de la planification financière. Les conseillers financiers devront s’y adapter, qu’ils le veuillent ou non.

« On peut prendre en exemple la gestion des revenus. C’est une spécialité que les conseillers doivent maintenant détenir. Pourtant, plusieurs conseillers financiers tiennent le même discours qu’ils tenaient, il y a 20 ans. Ils ont été élevés à investir dans les actions, puisque celles-ci ont toujours mieux fait. Certains vont même jusqu’à conseiller à des retraités de faire des retraits périodiques de leurs fonds d’action. C’est une recette qui fonctionnait, il y a 15 ans. La recette n’est plus la même aujourd’hui », dit-il.

Il donne aussi l’avènement des produits à revenu garanti en exemple de ce changement profond. « Plusieurs conseillers ne voulaient pas toucher à cela. Soit ils ne comprenaient pas le produit, soit ils trouvaient le ratio de frais de gestion trop élevé. Ignorer une telle avenue – qui s’est avérée fort populaire – comportait un risque, car bien souvent, le client était prêt à en entendre parler. Il faut voir le produit avec leurs yeux plutôt qu’avec notre vision qui date de 15 ans. Il faut être à l’affut des besoins des clients et s’ajuster à ce qu’ils veulent avoir », dit-il.

Comme preuve soutenant que l’industrie des fonds communs est confrontée à un tournant, M. Lauzon a donné en exemple la rémunération des conseillers, qui est en décroissance. « Est-ce parce que les conseillers n’ont plus besoin de compensation à 5 % ? Non, ils en ont besoin. Pourquoi les compagnies de fonds communs diminuent-elles leurs frais de gestion ? Parce que la popularité de ces produits diminue. Les frais de gestion diminuent parce que les clients ne perçoivent plus ces produits comme étant compétitifs. Ça explique aussi la consolidation qui a cours, puisque les compagnies de fonds communs ont peine à se différencier », dit-il.

Devrait-on en conclure que les consommateurs ne veulent plus payer pour les services du conseiller ? Non, croit M. Lauzon. Ce pour quoi les clients voudront payer est en train de changer. Ils paieront pour la gestion de patrimoine, plutôt que pour la gestion des investissements. Il s’agit là d’une nuance importante, affirme-t-il.

Les conseillers changeront

« La consolidation ne fera pas en sorte qu’il y aura moins de conseillers financiers, dit-il. Toutefois, les conseillers qui vont œuvrer dans dix ans ne seront pas les mêmes qu’aujourd’hui. »

« Si ce sont les mêmes, ils auront changé profondément ce qu’ils font pour leurs clients. La rémunération des conseillers ne sera pas la même et elle ne sera pas en baisse, mais les clients vont payer pour quelque chose de différent. Le conseiller qui ne se sera pas adapté se fera payer moins », dit-il.

Selon M. Lauzon, l’industrie des fonds communs avait déjà subi un premier point de bascule au début des années 1990, alors que les banques avaient commencé à proposer des fonds communs aux conseillers. « Aussitôt que les banques ont investi ce marché, elles en ont fait un produit de grande consommation. Ces conditions existent présentement pour la gestion de patrimoine. Chez Assante, nous avons le terme gestion de patrimoine dans notre nom, depuis 20 ans. Il y a encore sept ans, lorsqu’on en parlait aux clients, ils nous regardaient avec des yeux morts », dit-il.

Aujourd’hui, il n’y a plus une annonce de banque à la télé où ne voit pas le terme gestion de patrimoine. « La Banque Nationale a bâti sa plus grosse succursale au Québec dans le Quartier Dix/30. Sur les pancartes annonçant sa venue, on y voyait « Financière Banque Nationale/Gestion de patrimoine ». Les clients ne savaient pas ce qu’était la gestion de patrimoine avant. Maintenant, ils vont le savoir. En plus de le savoir, ils ont besoin d’y avoir recours », dit-il. Il donne aussi en exemple la Financière Manuvie, qui a lancé une division spécifique à la gestion de patrimoine : Gestion privée Manuvie. « Manuvie, à travers son histoire, a toujours été reconnue comme une compagnie qui lançait des affaires plus vite que les autres. Ils ont rarement eu tort », dit-il.

M. Lauzon dit que les conseillers avec qui il traite, qui ont soit l’investissement, soit l’assurance dans leur ADN, se ressemblent de plus en plus, avec le temps. Il donne en exemple un conseiller spécialisé en assurance qui a joint Assante, il y a deux ans. Sa mère et lui avaient une entreprise en assurance vie en excellente santé, dont la clientèle était constituée de professionnels en santé. Le tout était très rentable.

Une approche profitable

Toutefois, en consultant les états financiers de ses clients, ce conseiller s’est rendu compte que ceux-ci plaçaient tous leurs investissements auprès des filiales de valeurs mobilières de banques, telles que BMO Nesbitt Burns ou RBC Valeurs mobilières. Conseiller Clé d’or chez Great-West, il est allé chercher son permis en valeurs mobilières, son titre de pl.fin. et sa certification de certified financial manager. En deux ans, il est allé chercher des actifs d’une valeur de 15 millions de dollars (M $).

« Il a réalisé que ses clients ne voulaient pas seulement l’entendre parler d’assurance. Ils voulaient aussi l’entendre parler de gestion de patrimoine. Il parle maintenant de tout », dit M. Lauzon.

Historiquement, les meilleurs conseillers chez Assante étaient ceux qui vendaient des fonds communs. Maintenant, ceux-ci se sont mis à vendre de l’assurance en plus.

« J’ai maintenant des conseillers de fonds communs qui vendent plus d’assurance et d’autres qui vendaient de l’assurance et qui maintenant vendent plus d’investissement. Les conseillers qui sont dans les deux champs sont maintenant nos leadeurs ; ce sont ceux qui sont le plus à l’écoute des besoins des clients. La gestion de patrimoine fait partie de leur langage, maintenant », dit M. Lauzon.

Le vice-président régional d’Assante souligne aussi qu’en matière de conformité, les conseillers sont de plus en plus appelés à devenir des fiduciaires. « Comme fiduciaire, le conseiller doit mettre le besoin du client en premier lieu. La règlementation en assurance est appelée à changer avec cela. Un conseiller ne devrait pas être rémunéré en fonction de sa production. La rémunération actuelle vise à avantager le conseiller. La notion de fiduciaire mettra les besoins du client à l’avant-plan. Les besoins ont changé, car la population est vieillissante, donc plus vulnérable. Les conseillers doivent s’adapter à cela, pour avoir du succès », dit-il.

P=CI+PA+GR

Comment le conseiller peut-il s’adapter à la gestion de patrimoine ? Comment l’expliquer aux clients ?

M. Lauzon répond à ces questions avec la formule mise de l’avant par la firme de consultation CEG Worlwide : GP=CI+PA+GR. Pour cette firme, la gestion de patrimoine (GP) équivaut au cumul des conseils en investissement (CI), de la planification avancée (PA) et de la gestion des relations (GR).

Dans les conseils en investissement, il faudra revoir l’analyse historique des rendements du portefeuille, l’évaluation du risque, la répartition des actifs et l’énoncé de politique d’investissement initial, tout en faisant une revue régulière du portefeuille. « Ce n’est pas quelque chose qui doit être pris à la légère. Ce doit être fait d’une manière professionnelle. C’est pour ça qu’on fait aussi appel à des spécialistes et à des actuaires lors des évaluations, surtout dans le cas des clients à valeur nette élevée », dit M. Lauzon.

Les conseillers qui empruntent ce virage ont plusieurs questions à se poser. Feront-ils cette partie eux-mêmes ? La confieront-ils à autrui ? Ont-ils un processus formel et la plateforme pour le faire ? Peuvent-ils travailler sur une plus grande échelle qu’actuellement ?

Pour la planification avancée, il faudra revoir l’optimisation du patrimoine, notamment en ce qui a trait aux impôts et à la planification des flux de liquidités. Il faut aussi réenvisager le transfert du patrimoine et sa protection, de même que la notion de dons planifiés. Les mêmes questions abordées pour les conseils en investissement devront être revues.

« Encore là, on s’adresse à une clientèle plus nantie. Viser cette clientèle est l’opportunité des conseillers, dans le futur. Les clients ne retrouveront pas un tel niveau de service dans une banque, ni dans une firme de valeurs mobilières. C’est quelque chose de difficile à réussir. Mais il faut aussi prendre en compte que de tels besoins n’avaient pas été pris en compte jusqu’à maintenant », dit-il.

Quant à la gestion des relations, elle vise autant les clients que les professionnels qui les assistent. Le conseiller doit se demander si le processus de gestion des relations est automatisé. « Les clients le remarqueront si vous les appelez deux fois par année. Ça doit être automatisé. Que font les dentistes quand vient le temps de votre rendez-vous ? Ils vous appellent. Même les concessionnaires automobiles le font maintenant », dit M. Lauzon.

Autres questions : le conseiller peut-il voir plus de clients ? A-t-il un processus pour recueillir les rétroactions ? Peut-il faire de la segmentation ? Le conseiller doit aussi voir si son réseau de relations professionnelles est bien fourni.

« Il faut être intime avec ces gens-là. C’est une énorme partie du travail. Les conseillers financiers qui détiennent le plus d’actifs au Canada et ceux membres du Million Dollar Round Table (MDRT) le font. C’est important pour tirer le maximum de votre clientèle. Ça ne doit pas se limiter à un ou deux comptables. Ça doit être plus étendu. Ça augmente aussi votre crédibilité », dit M. Lauzon.

+PM

Il ajoute un volet à l’équation de CEG Worldwide : +PM. Il suggère aux conseillers d’ajouter un plan markéting à leur démarche. Il s’agit de déterminer les niches de conseiller et son profil de clientèle et, ensuite, de mettre en place des communications systématisées pour les trouver. Par la suite, le conseiller devra mesurer les résultats.

Un conseiller débutant, qui a moins de 5 ans d’expérience, devrait consacrer 44 % de son temps sur ce plan markéting, contre seulement 25 % pour un conseiller expérimenté, estime M. Lauzon. Aussi, le conseiller débutant devrait passer 11 % de son temps sur la gestion des relations, contre 25 % pour le conseiller expérimenté.

« Il faut commencer avec les bonnes habitudes. Il ne peut pas débuter avec 500 clients et bien les gérer dès le départ. Par ailleurs, je vois peu de conseillers expérimentés passer le quart de leur temps sur leur plan markéting. Pourtant, ils le devraient, car je vois leurs actifs baisser », dit-il.

M. Lauzon a analysé le portefeuille d’un conseiller d’Assante qui a pris le virage de la gestion de patrimoine. En 2009, il avait des actifs de 37 M $, dont 90 % étaient placés dans des fonds communs individuels. En 2012, ses actifs atteignaient 51 M $, une croissance de 38 % sur trois ans. Sa répartition avait toutefois changé du tout au tout, étant de 55 % dans des fonds de fonds, et de seulement 22 % dans des fonds individuels.

« C’est en ce moment que ça se passe. Les banques vont faire en sorte que vos clients entendront le terme gestion de patrimoine plus que jamais. Les conseillers seront mieux d’être bien équipés pour répondre à leurs questions. Ils doivent s’adapter, comme ils se sont adaptés au boum des fonds communs. C’est une occasion de croissance pour les conseillers bien positionnés », dit-il.