Dans l’ensemble de l’industrie, les intervenants exigent une action de la part du gouvernement fédéral : rendre les véhicules plus difficiles à voler en mettant à jour les normes de sécurité du pays, qui datent de près de 20 ans.
La modernisation des Normes de sécurité des véhicules automobiles du Canada, un élément du Plan d'action national pour lutter contre le vol de véhicules, figure au sommet de la liste des demandes du Bureau d’assurance du Canada (BAC) en lien avec la crise actuelle du vol automobile au pays. Équité Association réclame également cette modernisation, et les assureurs partagent cette demande.
Bryan Gast, vice-président national des services d’enquête chez Équité, souligne que la norme actuelle remonte à 2007 et n’a jamais été mise à jour depuis. Il ajoute qu’un grand nombre des recommandations de l’association ont été intégrées au plan d’action national, dont celle concernant la mise à jour de cette norme.
Lorsque la norme actuelle a été établie, les appareils personnels les plus sophistiqués en usage courant étaient les Palm Pilots et les iPods, loin des véritables superordinateurs embarqués dans de nombreux véhicules en 2025. De nouvelles normes du gouvernement fédéral, adaptées à l’évolution technologique des véhicules, devraient être adoptées par Transports Canada.
« C’est probablement ce qu’il reste à faire », ajoute M. Gast. L’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) « a reçu du financement. Oui, on pourrait faire plus dans bien des domaines, mais le fait que l’ASFC considère maintenant le vol d’automobiles comme l’une de ses priorités… le fait qu’elle ait changé de cap, c’est significatif ». Auparavant, l’ASFC se concentrait principalement sur les importations.
« Rendre les véhicules plus difficiles à voler dès le départ demeure, selon moi, l’un des plus grands défis à surmonter pour assurer une diminution durable et à long terme du vol automobile au Canada », soutient Bryan Gast.
« C’est malheureux que même après avoir dépensé pour un véhicule, on doive encore investir davantage pour le protéger. C’est pourquoi je crois que les fabricants doivent intégrer des mesures de protection dès la conception, notamment pour restreindre l’accès informatique non autorisé au véhicule », dit-il.
Cet avis est partagé par Elliott Silverstein, directeur des relations gouvernementales chez CAA Assurance. « On a tellement mis l’accent sur la récupération des véhicules volés qu’on en a oublié qu’il faut d’abord empêcher qu’ils soient aussi faciles à voler », affirme-t-il.
« Je pense que l’intégration de l’authentification multifactorielle est essentielle. On y est déjà habitués dans d’autres sphères de notre société. Offrir aux consommateurs les outils nécessaires pour protéger leur véhicule, c’est important », poursuit M. Silverstein.
Il appuie lui aussi l’appel à la mise à jour des normes. « Le gouvernement fédéral doit vraiment se mettre à la table », dit-il. « Plusieurs secteurs comprennent déjà que c’est une nécessité. C’est attendu depuis trop longtemps. Les 20 dernières années ont vu une évolution technologique majeure. Or, les normes n’ont pas été mises à jour depuis. Elles ne sont plus adaptées à la réalité. »
Les experts ont accepté de discuter du sujet avec le Portail de l’assurance à la suite de la publication de données du BAC révélant une baisse notable du nombre et du coût des réclamations liées au vol de véhicules au Canada.
Derniers chiffres
Selon le BAC, 8 567 réclamations pour vol d’automobile ont été enregistrées au premier semestre de 2015. En 2024, ce chiffre avait bondi à 17 595. Au premier semestre de 2025, il est redescendu à 12 887. Les pertes associées aux réclamations sont passées de 547,8 millions de dollars (M$) au premier semestre de 2024 à 361,5 M$ pour la même période en 2025. « Je m’inquiète d’un excès de complaisance », affirme Bryan Gast en ajoutant que l’industrie et les corps policiers demeurent en grande partie réactifs face au problème.
« De nos jours, le véhicule est une simple marchandise. C’est une transaction. On vole le véhicule, on en tire un profit, et à l’heure actuelle, le rapport risque-récompense est très déséquilibré : la récompense est élevée, le risque de se faire prendre est faible. » Bien que cela commence à changer, il souligne que, historiquement, les conséquences pour les criminels ont été minimes.
M. Gast estime que le phénomène coûte environ 1 milliard de dollars par année. « C’est de ça qu’il s’agit. Les criminels veulent leur part du gâteau, et ils y parviennent en volant des véhicules. »
De son côté, M. Silverstein soutient que tous les acteurs, corps policiers, assureurs et consommateurs, ont un rôle à jouer dans la solution. « Si une industrie ou un secteur croit qu’il n’a rien à faire, c’est un recul pour nous », dit-il.
La firme en technologie de l’assurance MyChoice sensibilise également les consommateurs à ce phénomène. Elle souligne que, malgré une baisse de 19,1 % du vol automobile à l’échelle nationale en 2025, 44 % des véhicules volés ne sont jamais retrouvés. « Le taux de récupération des véhicules au premier semestre de 2025 était de 56,5 %, soit une hausse de seulement 3,4 points par rapport à la même période en 2024 », écrit-elle.
L’Ontario a enregistré à la fois le volume de vols le plus élevé et la baisse en pourcentage la plus significative. Bien que les vols aient diminué de 25,9 % sur un an dans la province, celle-ci représente encore plus de 40 % de l’ensemble des vols à l’échelle nationale. Le Québec affiche le plus faible taux de récupération des véhicules au pays, à 45,1 %, tandis que l’Alberta enregistre le plus élevé, soit 67,6 %.
Volés pour l’exportation
Selon Bryan Gast, ces écarts peuvent s’expliquer par les raisons pour lesquelles les véhicules sont volés. En Alberta, bon nombre de véhicules sont utilisés pour commettre des crimes, puis retrouvés après coup. Dans d’autres provinces, notamment celles situées près des ports, les véhicules sont volés spécifiquement pour être exportés.
« Ce n’est pas lié à l’efficacité des forces de l’ordre. Ces véhicules sont volés dans les entrées de garage, partout, à toute heure du jour ou de la nuit. Ils sont déjà placés dans des conteneurs et à l’abri des regards bien avant que le vol soit signalé à la police », indique M. Gast. « Tout repose sur la raison initiale du vol. En Ontario et au Québec, l’objectif principal, c’est l’exportation. »
Cependant, cette disparité entre les provinces est en train de changer. Les taux de récupération diminuent également en Alberta, alors qu’un nombre croissant de véhicules y sont volés pour être réimmatriculés avec un nouveau numéro d’identification du véhicule (NIV). Ce processus de renivage apparemment plus facile dans cette province, afin d’être revendus dans les provinces voisines.
« L’Ontario a apporté de bons changements pour compliquer la tâche des criminels. L’Alberta est en train d’adopter des mesures similaires. Mais encore une fois, les criminels savent très bien s’adapter et repérer les failles », indique M. Gast.
« Les forces de l’ordre déploient beaucoup d’efforts. Certains types de crimes sont ainsi déplacés vers d’autres territoires. » Il donne l’exemple du remorquage : « Il y a beaucoup de violence liée au remorquage à Toronto, et des efforts importants ont été faits pour y mettre fin. Plusieurs entreprises de remorquage prédatrices se déplacent maintenant vers l’Ouest, en Alberta. »
Changements de tendance
Parmi les facteurs expliquant la baisse des taux de vol d’automobiles, on note l’augmentation importante des ressources attribuées aux corps policiers. Avant la pandémie, presque aucun service de police n’avait d’unité dédiée au vol de véhicules.
En Ontario et au Québec, le travail interprovincial au port de Montréal a aussi déplacé certaines activités vers d’autres provinces. Un autre facteur, selon Bryan Gast, est l’ajout d’avocats spécialisés à l’équipe provinciale de lutte contre le vol de véhicules en Ontario. « On a maintenant des procureurs qui ciblent les réseaux de crime organisé, plutôt que de se contenter de poursuivre les voleurs de voitures individuels. »
Il s'agit d'un changement majeur, insiste M. Gast. « Même si le vol d’automobiles est en baisse, les chiffres demeurent très élevés. Ils restent parmi les plus élevés jamais enregistrés au pays. Les véhicules sont toujours volés pour trois raisons principales : l’exportation, le renivage et les ateliers de démontage (chop shops) », note-t-il.
« On voit encore un grand nombre de véhicules volés destinés à l’exportation. Ils correspondent généralement à notre top 10 : des véhicules de grande valeur ou récents, des camions et des VUS. Ce sont eux qui dominent la liste. »
Bryan Gast ajoute que l’association a observé une augmentation de 47 % du nombre de vols de véhicules valant plus de 200 000 $ et que la demande pour ces véhicules volés demeure forte.
Avertissement de l’industrie
Selon Équité Associaton, plus de 50 pays alimentent la demande qui est à l’origine de la crise du vol d’automobiles au Canada. « La demande reste élevée », souligne Bryan Gast. « Le problème est toujours là. » Il réitère que rendre les véhicules plus difficiles à voler dès le départ permettrait de réduire cette demande.
M. Silverstein affirme que les provinces font tout ce qu’elles peuvent pour gérer le problème à l’intérieur de leurs frontières, mais rappelle que les normes sont établies par le gouvernement fédéral. « Il faut vraiment regarder vers l’avenir, non seulement pour corriger les lacunes actuelles, mais aussi pour prévenir les problèmes futurs », dit-il.
« Lorsque les chiffres diminuent, il y a un faux sentiment de sécurité qui s’installe, comme si tout était réglé. Mieux ne veut pas dire réglé. On est encore loin du fil d’arrivée », poursuit Elliott Silverstein.