Les firmes de restauration après sinistre confirment que l’inflation des coûts de réclamation est généralisée dans l’industrie, tant pour les matériaux utilisés que pour la rémunération de la main-d’œuvre et les frais annexes.

Les assureurs doivent donc ajuster les taux offerts pour considérer cette inflation et prévoir aussi que la durée du chantier de remise en état peut se prolonger. En conséquence, l’assuré peut se retrouver privé de l’usage de son habitation pour une période plus longue que prévu. 

Chez Verisk Canada, Samir Hasbani, directeur d’Opta Intelligence, reconnaît que les contraintes de main-d’œuvre et de capacité entraînent des retards dans les projets et provoquent des prix plus élevés après le sinistre depuis trois ans. « Cela peut être vu spécifiquement dans les provinces de l’Atlantique où des réclamations sont toujours en cours après l’ouragan Fiona, et ce n’est pas peu dire, compte tenu du temps écoulé », indique-t-il par courriel. 

Recrutement difficile 

Lors de l’entretien avec le Journal de l’assurance, Valérie Bouchard, responsable du développement des affaires au Québec de Restauration First OnSite, souligne que la difficulté de recrutement du personnel est généralisée dans l’ensemble de l’industrie. « Nous sommes chanceux, car nous avons des employés et des sous-traitants qui nous suivent. On a de l’équipement. On est très mobile entre nos établissements pour ce qui est des ressources et du matériel », dit-elle.

Le ralentissement économique et la baisse de la demande en immobilier, qui découlent de la remontée des taux d’intérêt imposée par la Banque du Canada, auront-ils pour impact de ramener une partie de la main-d’œuvre en construction vers la restauration après sinistre ?

« Ça devrait nous aider de manière généralisée, mais pas pour l’été prochain. Je pense que ça n’ira pas mieux avant la fin de l’année 2023, voire 2024 où l’on verra une vague de main-d’œuvre qui revient vers l’après-sinistre. C’est une partie de l’entrepreneuriat où il ne manque jamais d’ouvrage. On ne cherche pas les contrats. On court après les entrepreneurs, c’est l’inverse. Le ralentissement dans la construction, ça va aider toutes les firmes de restauration après-sinistre », estime Shawn Leblanc, chargé de projets chez Restauration First OnSite. 

L’attractivité des emplois dans l’industrie n’est pas très élevée, en raison des horaires atypiques imposés par les travaux d’urgence. « On ne grandit pas en se disant que l’on veut travailler dans la restauration après sinistre. », lance M. Leblanc. 

Travailler dans un chantier à la suite d’un sinistre n’est pas une sinécure. Les ouvriers qualifiés veulent travailler pour un employeur préoccupé par la santé et la sécurité. « Si je dis aux assureurs que l’ouvrier a besoin de tel matériel pour faire son travail de manière sécuritaire, ils ne veulent pas payer », dit-il.

« Ils me disent : ton concurrent me le fera sans cela, ça ne le dérange pas », ajoute-t-il. 

Le choix 

De son côté, Daniel Pellerin, PDG de Phœnix Intervention après sinistre, est aussi préoccupé par la rareté généralisée de la main-d’œuvre dans l’industrie. Il souligne que les bons ouvriers peuvent aller travailler dans une usine, ou dans une mine, ou n’importe où on est prêt à leur offrir les meilleures conditions.

« Ce n’est certainement pas à l’ouvrier de payer pour les mauvais calculs des actuaires qui sous-estiment les coûts de rénovation, insiste-t-il. Personne n’avait prédit la pandémie et ses impacts sur la chaîne d’approvisionnement et les délais de livraison des matériaux dont les entrepreneurs ont besoin. Les assureurs doivent ajuster le tir, sinon la promesse faite aux assurés est de plus en plus difficile à respecter. »

Si l’on ajoute à cela la fréquence et la sévérité des sinistres climatiques, la situation pourrait vite devenir intenable pour la tarification en assurance de dommages. « Je l’ai vécu personnellement après un feu, il y a quelques années. Ça a duré quatre mois. C’est drôle durant quelques jours, mais après, ce temps d’attente devient usant », dit-il. 

Les fournisseurs de l’entrepreneur, par exemple les électriciens ou les plombiers, sont eux-mêmes débordés d’ouvrage et peinent à trouver une relève. « Il faut savoir être bienveillant avec le sous-traitant, car dans un contexte d’urgence, tout le monde a un niveau de cortisol trop élevé », note M. Pellerin. 

Intérêt dans les régions 

À la firme de restauration GUS, le directeur du développement des affaires Louis-André Morin constate que les franchisés dans les régions moins densément peuplées sont friands de l’apport de main-d’œuvre étrangère. En Abitibi-Témiscamingue, le marché du travail est influencé par les salaires payés dans l’industrie minière, cite Louis-André Morin en exemple. 

La plupart des assureurs ont ajusté leur taux en fonction de l’inflation, estime Louis-André Morin. « Notre engagement est de continuer à offrir le meilleur service possible. Quand nos franchisés se ferment, en période de catastrophe, c’est fermé pour tout le monde, on ne fait pas de sélection entre les assureurs. Les dossiers sont assignés directement de manière électronique. S’il y a un refus de mandat, c’est parce qu’il y a une raison valable. Le dossier est trop éloigné, on n’a pas les capacités, etc. », note-t-il. 

Valorisation du métier 

Par ailleurs, du côté de Steamatic Canada, la PDG Nancy Raymond ajoute que, outre l’inflation des coûts de main-d’œuvre pour les métiers de la construction, le métier des techniciens en après sinistre n’est pas assez valorisé et devrait être reconnu. Les bons employés sont très sollicités et ils peuvent obtenir les conditions qu’ils méritent, « car ils sont indispensables et dévoués », dit-elle. 

L’inflation des coûts des matériaux, des frais de relocalisation et de l’entreposage ajoute de la pression dans l’industrie et crée une lourdeur administrative chez les assureurs. Nancy Raymond indique que si les années 2020 et 2021 ont été « très difficiles au point de vue de la communication, de la compréhension et des enjeux mutuels entre les assureurs et les firmes de restauration après sinistre », les relations entre les partenaires de l’industrie sont meilleures depuis un an. 

Cet article est un Complément au magazine de l'édition d'avril 2023 du Journal de l'assurance.