Dans un monde complexe et volatile où le consommateur est roi, l’industrie de l’assurance doit par-dessus tout mettre de l’avant une approche collaborative tous azimuts, dit Réal Jacob.


Qui est Réal Jacob ?

Professeur titulaire au département d’entrepreneuriat & innovation à HEC Montréal, Réal Jacob a aussi été titulaire adjoint de la Chaire Bombardier Produits récréatifs.

Ses travaux et ses enseignements portent sur la transformation des organisations et la gestion du changement, sur la gestion en mode transversal et collaboratif, et sur le métier de dirigeant. À ce titre, il a conseillé, accompagné ou suivi de près plusieurs grands chefs de file internationaux de l’économie, dont Michelin, Samsung et le Cirque du Soleil.

Il a prononcé plus de 500 conférences auprès des milieux d’affaires ici et à l’étranger. Auteur ou coéditeur de treize ouvrages, de vingt-cinq chapitres de volumes et d’une centaine d’articles ou de communications universitaires, il a reçu un grand nombre de reconnaissances, dont le prestigieux Prix d’excellence canadien Leaders in Management Education.


En ouverture de la Journée de l’assurance de dommages 2018, il a déclaré que l’industrie doit se recentrer sur sa raison d’être fondamentale : créer de la valeur pour ses clients. C’est ainsi qu’elle assoira son avenir sur des bases durables. « L’innovation passe désormais par la collaboration », a-t-il dit aux quelque 500 congressistes présents à cette session d’ouverture.

Pour ce faire, il devient urgent « de sortir de ses schémas mentaux » et « d’apprendre de ce qui se fait ailleurs ». Les modèles d’affaires utilisés dans le passé ne seront pas suffisants, prévient-il.

Le succès peut rendre aveugle ! C’est par cette mise en garde qu’il a débuté en donnant l’exemple de Blockbuster. Fondé en 1985, cet ex-joyau américain a fait faillite en 2010. En 1997, au faîte de sa gloire, ses dirigeants ont eu l’occasion d’acquérir Netflix, nouvellement fondée, pour 50 millions de dollars (M$). Ils ont regardé le train passer. La raison ? Le créneau de Blockbuster, ont-ils fait valoir, c’est la location de cassettes vidéo ou de disques compacts dans un réseau de boutiques.

Aujourd’hui, pendant que Blockbuster repose en paix, Netflix navigue sur des revenus annuels de 12 milliards de dollars (G$). À la location de DVD par correspondance, l’entreprise a ajouté au fil des ans un service en flux continu sur Internet, l’abonnement à partir d’un téléviseur connecté, la production de ses propres films alignés sur les gouts de ses abonnés, une expansion géographique continue, une offre différenciée, des forfaits ciblés, etc.

« Nous vivons dans un monde horizontal et connecté, explique Réal Jacob. Le consommateur recherche des plateformes de services intégrés. Des écosystèmes. Les organisations ne doivent plus se définir verticalement en fonction d’une industrie, d’un segment, d’une expertise ou d’une pratique, mais en fonction d’une raison d’être plus large, englobante. Michelin ne se positionne plus comme un manufacturier de pneus, mais comme un leader mondial de la mobilité. Blockbuster ne l’a pas compris. Kodak non plus. La liste des disparus est longue. »

Penser autrement

Dans les années 1960 et 1970, les périodes de changement alternaient avec les périodes de stabilité. Puis le changement est devenu constant, mais prévisible.

L’époque actuelle se caractérise par l’ampleur, la rapidité et l’imprévisibilité des changements. Sous l’effet combiné de la révolution numérique, de l’intelligence artificielle, de l’explosion de la mobilité et des nouvelles habitudes de consommation. Sans compter la détérioration du climat et les soubresauts politiques à l’échelle de la planète.

Pourtant les modes d’organisation et de gestion des entreprises fonctionnent toujours en silo. La résolution de problèmes et l’idéation-création continuent de se faire entre experts, en vase clos.

« La réalité est devenue trop complexe pour ce modèle traditionnel, affirme Réal Jacob. Au lieu de s’arracher la tête dans son coin, on ferait mieux de développer sa capacité à travailler avec les autres. Nous sommes entrés dans l’ère de l’innovation ouverte. Dorénavant, innover rime avec collaborer. C’est un tout autre univers. La pensée collaborative est fondée sur l’empathie, la confiance, l’ouverture, le partage et l’intégration. On y gère des interactions, des connexions, des différences. À la compétition mur-à-mur, on oppose la coopération et la mise en commun. »

Une mode, pensez-vous ? La Harvard Business Review, dont la mission est d’éclairer les grands décideurs sur les enjeux émergents du monde des affaires, a consacré un numéro entier à l’économie collaborative dès 2011 : Collaborate. Build a culture of trust and innovation. La revue Gestion de HEC Montréal a fait de même en 2015 sous le titre impératif « Collaborez ! »

En 2014, le cofondateur de LinkedIn, Reid Hoffman, confiait : « Aucune entreprise ne peut réussir par elle-même. La seule façon d’accomplir quelque chose de significatif, c’est en travaillant avec d’autres gens. »

Collaborer avec l’ennemi...

Lors du sondage PwC effectué en 2015 auprès de 1 322 PDG de 177 pays (Un marché sans frontières – En réaction aux perturbations), plus de 50 % d’entre eux ont répondu que les futures alliances se feraient avec des concurrents. Les dirigeants d’entreprise d’ici pensent la même chose.

À la question de PwC « Êtes-vous prêts à travailler avec un concurrent ? », 52 % ont répondu « oui ». Une hérésie, il n’y a pas longtemps, mais une nécessité aujourd’hui, croient-ils, pour avoir du succès et compétitionner sur le plan mondial. On a créé un nouveau mot pour désigner ce phénomène : la « coopétition ».

Des exemples ? Les institutions financières à l’échelle de la planète ont ouvert la voie avec les guichets automatiques intégrés. Au milieu des années 2000, Samsung et Sony, deux leaders mondiaux, ont uni leurs expertises pour produire un prototype de téléviseur supérieur. Coca Cola et Pepsi ont fait de même pour créer une solution naturelle à la réfrigération de leurs boissons gazeuses. On compte aujourd’hui 5,5 millions de ces unités dans le monde. Au Canada, l’industrie de la poutrelle d’acier a formé un regroupement, Acier Plus, qui intervient en matière de formation et partage leurs meilleures pratiques. Ce qui n’empêche pas tous ces joueurs de rester de féroces compétiteurs le reste du temps !

« La pensée collaborative s’étend aussi aux institutions, rappelle Réal Jacob. Connaissez-vous plus ennemis que l’Université McGill et HEC Montréal ? Il y a huit ans, les deux institutions ont décidé d’offrir un programme de MBA pour dirigeants d’entreprise. On compte 13 000 écoles de gestion sur la planète et des centaines de programmes de cette nature. C’est de la concurrence, ça ! Chacun de notre côté, nous n’avions aucune chance de percer. En unissant nos forces respectives, nous avons créé un programme unique qui se classe aujourd’hui parmi les 30 meilleurs au monde. »

...et avec l’étranger

Dans l’étude de PwC, 60 % des chefs d’entreprise sondés se disent ouverts à travailler avec d’autres secteurs que le leur. La proportion est la même à l’international. Leur message : pour mieux performer dans mon industrie, j’ai besoin de connaitre et de transposer ce qui se fait de mieux dans d’autres industries. Et à l’inverse, nos capacités et nos forces peuvent représenter des solutions pour des clients d’autres industries ?

Mathieu Ferland, producteur de jeux chez Ubisoft, y ajoute une logique de croissance : « Tous les jours, je cherche comment nos univers de jeux, notre savoir-faire et nos technologies pourraient bénéficier à d’autres industries et, par le fait même, nous ouvrir de nouveaux marchés », a cité M. Jacob.

Rolls Royce n’a pas craint d’emprunter aux Parfums de Grasse son nez de cuir pour raffiner l’odeur du recouvrement de ses sièges. Vous connaissez Dig Rush ? Il s’agit d’un jeu vidéo thérapeutique employé dans le traitement de l’amblyopie, un trouble oculaire, qui résulte de la collaboration entre l’Université McGill et Ubisoft. De son côté, la Société des arts technologiques s’est associée à l’hôpital Sainte-Justine pour aider les enfants autistes à apprivoiser le médecin au moyen d’un avatar, une représentation informatique. Il se crée aussi des jeux numériques destinés aux écoles pour développer une pédagogie plus inspirante pour les jeunes.

« Pour l’industrie de l’assurance, la collaboration doit s’étendre aux startups, affirme Réal Jacob. Il faut voir ces jeunes entreprises innovantes comme des partenaires et non comme une menace. Les investissements dans les assurtechs sont passés de 140 M$ en 2011 à 2,7 G$ en 2015 et 75 % de leurs activités sont consacrés à la clientèle des particuliers. C’est crucial pour enrichir l’expérience client des assureurs ! »

Un antidote à la commoditisation

Le magasinage sur Internet rend facile et simple de se procurer directement des produits d’assurance, ce qui risque d’en faire des commodités. Comment pallier ce danger ? Bain & Company, un cabinet international de conseil en management, s’en est enquis auprès de 172 000 consommateurs de produits d’assurance dans 20 pays. Le titre de son étude réalisée en 2017 est très clair : Au-delà de l’assurance : Trancher le nœud gordien de la commoditasation et bâtir la fidélisation grâce aux écosystèmes. Une organisation appartient à une communauté à travers son offre de services.

« Les clients recherchent deux choses de votre part, insiste Réal Jacob : que vous les guidiez pour l’ensemble de leurs besoins financiers et que vous les serviez avec empathie et compassion. C’est votre raison d’être fondamentale. Ils recherchent donc de la valeur et non un intermédiaire transactionnel. L’étude de Bain fait aussi ressortir que les consommateurs voient l’industrie de l’assurance comme un intégrateur naturel au cœur de l’écosystème des services financiers. On vous fait confiance plus qu’à tout autre groupe. Vous êtes en bonne posture pour l’avenir. »

En guise de conclusion : « La culture de collaboration doit être valorisée, soutenue, reconnue et développée. Le dirigeant d’aujourd’hui est à la fois l’explorateur en chef et le provocateur en chef. Pourquoi ne pas consacrer une partie de chaque comité de direction à identifier, analyser et discuter une nouvelle tendance pour se donner ensuite trois mois pour l’intégrer à ses activités ? »