Le passé n’est pas garant de l’avenir lorsqu’il s’agit de sinistres climatiques. Ceux-ci ont d’ailleurs atteint un niveau record en 2024. Alors, y a-t-il un moyen de connaître à l’avance le prochain grand sinistre naturel, savoir à quel endroit il frappera et avec quelle intensité ? 

La réponse se trouve en partie dans l’intelligence artificielle (IA), selon deux experts qui se sont exprimés lors de la conférence L’innovation pour gérer et réduire les risques à la Journée de l’assurance de dommages, le 2 avril à Montréal.

Sonia Montserrat, directrice sciences des données chez Videns, une entreprise œuvrant en IA, et Hachem Agili, président de Geosapiens, une firme spécialisée dans la modélisation et la gestion des inondations, ont tour à tour exposé les avantages que l’industrie de l’assurance peut retirer des plus récentes technologies pour faire face aux catastrophes naturelles.

L’IA ne représente pas le seul outil de prévention et elle n’est pas infaillible, mais elle devient de plus en plus incontournable, selon eux. 

Louis Regimbal

Dans sa présentation, l’animateur de l’atelier, Louis Regimbal, conseiller principal chez Oliver Wyman, a rappelé qu’il y a trois parties prenantes qui vont contribuer à la mise en place de modèles de résilience en matière de changements climatiques et de sinistres naturels : les assurés ; les assureurs et les réassureurs ; les paliers gouvernementaux, municipal, provincial et fédéral. Mais qui va prendre le leadership parmi eux, s’est demandé Louis Regimbal, sans avoir la réponse.

Il a aussi insisté sur le rôle des intermédiaires pour sensibiliser les assurés à afin de les inciter à mettre en place des mesures d’atténuation pour s’éviter les problèmes qui surviennent à la suite d’un sinistre climatique et bénéficier des avantages financiers qu’ils vont en retirer au niveau de la prime

L’assurance de dommages bien positionnée 

Sonia Montserrat a accompagné plusieurs assureurs dans la révolution analytique et la gestion des données, ce qui l’a amenée à avoir un certain regard externe des tendances dans l’industrie en assurance de dommages.

« On pense que ce secteur est bien positionné pour profiter du levier que représente l’IA, a-t-elle soutenu. On perçoit comment la technologie est plus avancée en assurance de dommages ».

La science, a-t-elle dit, participe à l’anticipation des sinistres. Il y a de plus en plus d’outils pour effectuer la maintenance prédictive au moyen de capteurs qui permettent de savoir ce qui se passe dans une maison ou en voiture et qui fait l’analyse de phénomènes météorologiques en temps réel.

« Ce sont des choses qui peuvent nous aider à anticiper un sinistre avant qu’il se produise », a-t-elle commenté. 

Elle a donné quelques exemples pour automatiser la gestion des sinistres : l’analyse d’images au moyen de l’intelligence artificielle peut être appliquée pour l’évaluation immédiate des dégâts ; les traitements automatiques des documents vont permettre d’accélérer les processus, d’épargner de la lourdeur administrative et des ressources dédiées au traitement des documents. 

« En gros, a-t-elle résumé, ce que l’on voit de notre point de vue d’experts de la donnée, c’est que de plus en plus, l’IA transforme le secteur de l’assurance de dommages. Et je pense qu’il y a beaucoup d’opportunités pour développer un modèle plus axé sur la prévention, la précision et la satisfaction du client ». 

IA prédictive en assurance aux entreprises 

Sonia Montserrat a profité de sa tribune pour exposer les atouts de l’IA prédictive en assurance des entreprises.

« L’analyse prédictive des risques vise à être capable de prévoir les catastrophes naturelles et d’ajuster les couvertures au fil de l’évolution du climat avec les risques qui peuvent changer dans le temps », a-t-elle expliqué. 

Sonia Montserrat

Autrefois, la tarification était plus basée sur les types d’industrie ou de secteurs d’activités. Maintenant, on prend en considération d’autres éléments, comme les terrains et l’emplacement de l’entreprise. 

L’IA s’avère utile à plusieurs niveaux : identifier les zones à risques, émettre des alertes et des recommandations en temps réel ; évaluer et ajuster les couvertures ; personnaliser des primes ; établir une tarification des risques selon le terrain et émettre des incitations pour des mesures préventives, telles que l’installation de barrières anti-inondations. 

Les bénéfices sont nombreux : moins de sinistres grâce à l’anticipation ; meilleure couverture pour éviter les pertes majeures ; un partenariat renforcé avec l’assureur, qui devient un acteur de prévention et non juste un gestionnaire de réclamation.

Le plus important, l’accès à la donnée 

Hachem Agili a insisté sur un aspect : le plus important dans la compréhension du risque, c’est l’accès à la donnée. Si on comprend bien le risque à l’échelle organisationnelle ou de l’assuré, on peut prendre de bonnes décisions, que soit en tarification, en souscription, en gestion de risque et en réclamation. 

Hachem Agili

La méthode la plus courante pour couvrir le risque d’inondations pluviales est de s’appuyer sur les réclamations historiques pour une région ou des codes postaux. Ce n’est pas le moyen le plus fiable et le plus précis, selon lui. Il peut s’ensuivre une sous-estimation du risque pour certains assurés et au contraire, une surestimation pour d’autres, ce qui est au désavantage des assurés et des assureurs. 

Or, les inondations forment un phénomène très localisé. Il se peut qu’une propriété présente un risque élevé d’inondations, mais qu’il soit nul chez son voisin en raison de la topographie et de l’hydraulique.

Des outils technologiques tiennent compte du climat changeant. Une mise à jour se fait de façon régulière en ajoutant tous les événements extrêmes survenus chaque année. Ces informations permettent de faire évoluer la donnée et à l’assureur de se projeter ou couvrir tout le spectre de risques pour offrir des primes d’assurance assez représentative du risque du client. 

Aujourd’hui, a-t-il ajouté, beaucoup d’entreprises offrent des produits innovants, des données pour supporter l’industrie de l’assurance, améliorer la prise de décision, avoir une évaluation de risque plus optimale, plus efficace.

Après les dégâts causés par les pluies torrentielles de la tempête Debby à l’été 2024, il constate un bon momentum auprès de l’industrie de l’assurance qui veut adopter ce genre de modèle pour améliorer ses méthodes d’évaluation du risque. 

Il constate aussi que les grossistes en assurance et des courtiers veulent de plus en avoir accès à ces outils pour comprendre ou maîtriser le risque et bien supporter leur clientèle. 

L’impact de l’IA sur le climat 

Lors de la période de questions, une étudiante en assurances a soulevé l’impact du recours fréquent à l’IA sur le climat. Selon une étude menée en 2023 par l’Université de Californie à Riverside, envoyer 20 à 50 requêtes à un modèle comme ChatGPT pourrait indirectement consommer environ 500 ml d’eau, du fait des besoins en refroidissement des centres de données.

Est-ce que l’industrie de l’assurance ne se tire pas dans le pied en faisant un usage croissant de l’IA alors que l’on voudrait contribuer positivement au réchauffement climatique, a-t-elle demandé ? Sonia Montserrat a répondu que nous étions dans les premières générations et s’attend à ce que des solutions soient trouvées dans le futur.