L’Ordre des comptables professionnels agréés du Québec (CPA) qualifie d’incomplet le projet de loi 115 visant à lutter contre la maltraitance envers les ainés. Il lui reproche de passer sous silence la maltraitance financière.
L’Ordre a déposé un mémoire à la Commission des relations avec les citoyens. L’ordre professionnel veut infléchir le projet de loi, qui selon lui ne s’attaque pas directement à la maltraitance matérielle et financière.
« On ne peut parler de la maltraitance envers les ainés et les personnes vulnérables sans parler d’exploitation matérielle et financière et en se limitant aux seuls acteurs du réseau de la santé et des services sociaux », a déclaré la présidente et chef de la direction de l’Ordre, Geneviève Mottard.
L’Ordre des CPA propose ainsi que le projet de loi vise explicitement l’exploitation matérielle et financière. Il faudrait aussi que le projet prévoie des mécanismes pour favoriser la dénonciation.
En entrevue au Journal de l’assurance, Mme Mottard s’est dite préoccupée que le projet de loi ne traite pas directement de l’exploitation matérielle et financière. « Il faut interpréter plus large dès le départ plutôt qu’ajouter à la pièce, sinon le projet de loi créera de la confusion et des incohérences. Le comptable professionnel agréé ne saura pas quand, ni quoi dénoncer. »
Mme Mottard soutient avoir réussi à sensibiliser la ministre responsable des ainés et de la Lutte contre l’intimidation, Francine Charbonneau. « Il s’agit d’un enjeu très important, étant donné la courbe démographique du Québec. La ministre nous a demandé si l’Ordre des CPA et nos membres étaient disposés à participer aux prochaines tables de concertation. Nous avons dit oui avec enthousiasme. Nous attendons l’invitation officielle, mais l’agenda de ces concertations n’est pas encore connu », a-t-elle confié. L’Ordre des CPA compte 39 000 membres au Québec.
Un danger
L’Ordre des CPA reproche aussi au projet de loi d’encourager les professionnels à déroger au secret professionnel, mais sans encadrer clairement cette dérogation. Or, passer outre au secret professionnel met directement en cause la relation de confiance entre le professionnel et son client, estime l’Ordre.
« Dans tous les cas, les comptables ont besoin de se faire dire clairement dans quelles circonstances ils peuvent passer outre le secret professionnel, a dit la PDG de l’Ordre des CPA. Cela doit être clairement balisé. Le professionnel doit pouvoir le faire en toute immunité. Ça ne doit porter atteinte au secret professionnel que de façon minimale. »
Mme Mottard propose de réfléchir à une grille d’analyse qui permettrait de déterminer si une personne est potentiellement en train de subir un abus matériel ou financier. « Nos membres sont appelés à gérer les affaires de personnes vulnérables, et sont sur la ligne de front pour remarquer les situations d’abus. Le client a toutefois un lien de confiance avec le professionnel. Il faut se demander si mettre le secret professionnel en cause brisera ce lien. Si l’on force les dénonciations, on risque de le briser », a-t-elle expliqué.
Elle ajoute que son ordre travaillera aussi avec l’Office des professions du Québec dans ce dossier. « Il y a de plus en plus de projets de loi au Québec qui favorisent la dénonciation. Il faut toutefois les outils pour aller avec. Nous croyons que le Code des professions doit être modifié en ce sens. »
Clarifier les droits des professionnels
L’Ordre propose aussi que le Code des professions autorise le signalement de l’inaptitude d’un client lorsqu’un professionnel juge que ce client a besoin d’être assisté ou représenté dans l’exercice de ses droits. Il demande par ailleurs de modifier le Code des professions de manière à clarifier le droit des professionnels de dénoncer une situation d’exploitation matérielle ou financière d’un ainé ou d’une personne en situation de vulnérabilité. « Le Code devrait aussi édicter certaines conditions minimales de communication de renseignements que les ordres professionnels devraient intégrer dans leur code de déontologie », dit Mme Mottard.
L’exploitation matérielle et financière constitue l’une des formes de maltraitance les plus fréquentes, dit-elle. Ce phénomène représente quelque 40 % des demandes d’aide au Québec, selon Mme Mottard.
Des chercheurs déposent un mémoire
Le gouvernement québécois a reçu des mémoires après avoir déposé le Projet de loi 115 visant à lutter contre la maltraitance envers les ainés et toute autre personne majeure en situation de vulnérabilité.
C’est ce qu’a rappelé Raymonde Crête, avocate, professeure associée et directrice du Groupe de recherche en droit des services financiers de l’Université Laval, en entrevue au Journal de l’assurance.
C’est le cas de la Chaire Antoine-Turmel sur la protection juridique des ainés de l’Université Laval. « Nous avons transmis un mémoire sur ce projet de loi à la Commission des relations avec les citoyens », a révélé Mme Crête, qui figure parmi ses auteures.
Le mémoire a été présenté en commission parlementaire le 18 janvier. Le tout s’est fait dans le cadre des consultations particulières et des auditions publiques sur le projet de loi 115.
Les auteures du mémoire y ont déploré la portée et le champ d’application limités du projet de loi 115. « Il vise surtout des personnes âgées qui reçoivent des soins et des services, ce qui semble exclure une partie des autres personnes âgées », ont-ils dit.
Elles souhaitent un meilleur arrimage du projet à l’environnement légal, signalant qu’il passe sous silence la protection qu’offre l’article 48 de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne, contre l’exploitation de toute personne âgée ou handicapée. « Nous étions très étonnées que le projet de loi ne mentionne ni la Charte ni la Commission des droits de la personne, contrairement à ce que faisait le projet de loi 399. »
Le projet de loi 399 avait été présenté par la députée libérale Marguerite Blais, en 2013. Le Projet de loi 115 a pour sa part été déposé en octobre 2016, par Francine Charbonneau, ministre responsable des ainés et de la Lutte contre l’intimidation du Gouvernement libéral.
Selon les chercheures, le Projet de loi 115 ne donne pas assez d’outils aux professionnels pour lutter contre la maltraitance envers les ainés. Elles ont proposé qu’un professionnel ayant un motif raisonnable de croire à un abus puisse déroger au secret professionnel, et dévoiler certaines informations confidentielles. En contrepartie, elles jugent important qu’il n’y soit pas obligé. En commission parlementaire, elles ont ajouté qu’il fallait laisser plus de place à la compétence et au jugement des professionnels.