Même si les réseaux de fournisseurs privilégiés (Preferred Provider Networks ou PPN, en anglais) dans le domaine pharmaceutique sont interdits au Québec, l’Association québécoise des pharmaciens propriétaires (AQPP) est forcée de se battre actuellement pour empêcher des groupes d’introduire ce système de distribution et de ventes des médicaments de spécialités à travers la province.

Son président, Benoit Morin, estime que les clients et les assureurs n’ont rien à gagner de tels réseaux, car ils pourraient avoir comme effet de diminuer l’offre de services dans le domaine pharmaceutique.

« À court terme, la facture pourrait être moins lourde pour le patient et l’assureur. Mais à long terme, ça finit par se transformer en monopoles. Et un monopole, ce n’est pas nécessairement bon pour les prix et c’est surtout mauvais pour les services. Il y a 1 984 pharmacies au Québec. Si le volume d’affaires se dirige vers une cinquantaine d’entre elles, les autres ne seront plus capables d’offrir le niveau services qu’elles donnent actuellement », a-t-il commenté en entrevue avec le Portail de l’assurance

Rétropédalage d’un assureur 

En raison des progrès de la médecine, les médicaments de spécialités servant à traiter des maladies chroniques, des maladies rares et des cancers sont en forte hausse. Ils représenteraient 40 % du marché au Québec.

Au début de 2024, Manuvie avait annoncé un accord avec Loblaw qui devait permettre que la couverture de 260 médicaments de spécialités ne soit offerte que dans 300 pharmacies appartenant à cette bannière à travers le pays. Devant les réactions très négatives dans la population et les médias, Manuvie a rétropédalé et annoncé que ses assurés pourraient les obtenir dans la pharmacie de leur choix.

Les gouvernements sont inquiets devant ce type de partenariat. En septembre 2024, le Portail de l’assurance écrivait que le ministère des Finances de l’Ontario avait lancé une consultation sur le rôle des réseaux de fournisseurs privilégiés dans le secteur de l’assurance médicaments parrainée par les employeurs de cette province.

Une petite brèche au Québec malgré les lois  

Un système de référencement de clientèle dans le domaine pharmaceutique peut-être extrêmement lucratif. On parle de dizaines de millions de dollars de chiffre d’affaires. La tentation peut être forte de bâtir ce type d’entente. 

Au Québec, dit Benoit Morin les règles sont plus claires que dans le reste du pays. Ce modèle est interdit en vertu de trois lois ou règlements : la Loi de l’assurance maladie ; la Loi sur l’assurance médicaments ; le Code de déontologie des pharmaciens

Théoriquement, en vertu de ces dispositions, dit le président de l’AQPP, au Québec, le patient a le choix d’aller chercher ses médicaments et le type de médicaments où il veut. Mais dans les faits, ça ne se produit pas à 100 %. 

« Il y a des enjeux de médicaments de spécialités où des pharmaceutiques font affaire avec des organisations pour simplifier l’acceptation du médicament et le début rapide du traitement, décrit-il. Ces tiers contactent les patients et les dirigent vers des pharmacies de spécialités. Le patient est référé par ce tiers. » 

Selon le président de l’AQPP, même s’il ne s’agit pas d’un PPN, c’est une pratique contraire à la loi. 

« Ça se passe chez nous, à une moindre grande échelle qu’ailleurs, s’indigne-t-il, mais ça se passe quand même et ça ne devrait pas. » 

Recours collectif contre des pharmaciens québécois 

En réaction, son Association a déposé à l’été 2024 une demande d’autorisation en recours collectif à l’égard de neuf de ses propres membres, des pharmaciens propriétaires de pharmacies de spécialités opérant dans un système de Programme de soutien aux patients (PSP) très opaque.

Selon l’AQPP, même s’ils forment moins de 1 % des pharmacies québécoises, ces pharmaciens se partagent plus de 40 % des services pharmaceutiques liés à la distribution des médicaments de spécialités dans la province. Leur chiffre d’affaires annuel atteindrait en moyenne 310 millions de dollars alors qu’il est de 7 millions de dollars en moyenne pour les autres pharmacies du Québec. 

À ce jour, même si plusieurs pharmaciens ont été trouvés coupables par leur Conseil de discipline, les démarches entreprises par le syndic de l’Ordre des pharmaciens n’ont pas suffi à̀ mettre un terme aux agissements fautifs auxquels se livrent les principaux acteurs du marché des médicaments de spécialité au Québec, dit l’AQPP dans sa demande de recours collectif.

« On ne peut pas développer des PPN au Québec, c’est contraire aux lois et aux règlements », martèle Benoit Morin. 

Le rôle des preneurs de régimes 

À sa connaissance, aucun assureur au Québec ne tente de forcer des patients à aller vers des bannières ou des pharmacies particulières pour s’y procurer des médicaments de spécialités.

Benoit Morin dit constater qu’il y a tout de même des PSP qui se mettent en place dans la province pour cette catégorie de médicaments. Des preneurs de régimes peuvent communiquer avec leurs membres et les informer que telle pharmacie vend moins cher et leur recommander de s’y rendre. Ça respecte la loi, mais ultimement, dit-il, c’est le choix du patient de se rendre dans l’établissement de son choix qui est en cause.

« Du point de vue du patient, ça ne tient pas la route d’être dirigé vers une pharmacie en particulier. Quelqu’un qui a 5 maladies chroniques ne peut pas aller dans 5 pharmacies différentes. Il n’y a plus de prise en charge globale. Ce ne sont pas les besoins du patient qui sont comblés, mais ceux des tiers qui les dirigent », ajoute-t-il. 

Benoit Morin ne parle pas de grande brèche dans la loi, mais évoque néanmoins le besoin de resserrer les législations actuelles. Outre la demande d’action collective, d’autres actions sont sur la table pour contrer ce phénomène. 

« Des médicaments de spécialités, c’est dispendieux. Les assureurs n’ont pas intérêt à voir créer des monopoles, car les honoraires seront plus élevés », résume-t-il.