Mise à jour, le 30 mars 2020 : du fait de la pandémie de la COVID-19, Canada Vie a annoncé qu'elle remettait à plus tard la mise en vigueur de sa mesure prévue au 1er avril. Pour plus de détails, cliquez ici.

 

Canada Vie relève la barre pour les massothérapeutes québécois. À compter du 1er avril, l’assureur exigera que les nouveaux diplômés de la province aient suivi 1 000 heures de formation pour que leurs traitements soient admissibles à un remboursement.

C’est un pas majeur pour réhausser le niveau de compétence des nouveaux venus en massothérapie. Au Québec, il est possible d’obtenir un diplôme et un permis de pratique après une formation de base de seulement 400 heures. Ailleurs au Canada, la norme est de 2 200 heures.

« Nous appliquons une nouvelle exigence de 1 000 heures de formation pour nous assurer que tous les participants aux régimes que nous administrons reçoivent des soins professionnels et sécuritaires, et aussi pour combler l’écart actuel entre les exigences au Québec et celles dans les autres provinces », explique Marie-Pierre Tremblay, directrice générale, développement des marchés du Québec, clients collectifs, de Canada Vie.

Le directeur d’une école québécoise de massothérapie avec lequel nous nous sommes entretenus, mais qui a requis l’anonymat, a émis une hypothèse pour expliquer ce geste. « Les assureurs imposent sans doute cette exigence de 1 000 heures de formation pour ne plus rembourser les massages de détente et rembourser uniquement les massages thérapeutiques », dit-il.

Au Québec, Anciens Combattants Canada, dont le régime d’assurance est administré par Croix Bleue Medavie, exige depuis 15 ans que les massothérapeutes québécois aient suivi un minimum de 1 000 heures de formation académique et pratique supervisée afin d’assurer une qualité de service et une protection aux clients.

Pour sa part, Sun Life dit déjà exiger 1 000 heures de formation pour tous les massothérapeutes québécois dont elle rembourse les traitements.

Normes canadiennes

Certains services rendus par les massothérapeutes canadiens ne peuvent pas l’être au Qébec parce qu’ils sont règlementés et réservés à d’autres professions. Par exemple, un massothérapeute ne peut pas faire de diagnostic au Québec.

Canada Vie reconnait donc que la norme canadienne n’est pas une exigence réaliste dans la province. « Pour le moment, précise Marie-Pierre Tremblay, nous estimons qu’il est raisonnable d’exiger 1 000 heures de formation. »

Cette initiative réjouit néanmoins Yannick Tousignant-Laflamme, directeur du programme de physiothérapie de l’Université de Sherbrooke. Cette discipline exige l’obtention d’une maitrise pour avoir le droit de pratiquer au Québec, et les stages dépassent à eux seuls 1 000 heures. « Je crois pertinent qu’un assureur mette en place un mécanisme pour s’assurer que les services qu’il rembourse sont effectués par des personnes compétentes et encadrées », a-t-il réagi.

Canada Vie ne semble pas vouloir se limiter aux nouveaux diplômés dans l’avenir. « Nous voulons que tous les massothérapeutes au Québec que nous reconnaissons reçoivent au moins 1 000 heures de formation. Nous sommes conscients que ça ne se fera pas du jour au lendemain », indique Marie-Pierre Tremblay.

Dans un geste d’atténuation et d’adaptation à cette nouvelle exigence, l’assureur continuera de reconnaitre les massothérapeutes québécois qui ont obtenu leur diplôme avant le 1er avril s’ils offrent des soins qui ont déjà été remboursés depuis le 1er janvier 2017 ou s’ils ont travaillé plus de 25 heures par semaine au cours des deux dernières années. Dans tous les cas, le massothérapeute doit être membre d’une association admissible et participer au programme de formation continue de celle-ci.

« Comme il n’y a pas de règles qui régissent la formation des massothérapeutes au Québec, ce sont pas mal les compagnies d’assurance qui tiennent le nombre de formations à bout de bras, estime Renelle Rancourt, de Massothérapie Québec. Elles fixent des heures comme va le faire Canada Vie. »

Les avantages et les désavantages d’une formation de 1 00 heures « Wow ! », s’est exclamée Sylvie Bédard, présidente du conseil d’administration de la Fédération québécoise des massothérapeutes agréés (FQM), l’une des trentaines d’associations de massothérapeutes de la province, quand elle a pris connaissance des nouvelles exigences de Canada Vie. Elle dit qu’il y a eu une onde de choc quand l’assureur a fait part de ses intentions en 2019.

Selon elle, si tous les assureurs décidaient d’en faire autant, ce serait un pas dans la bonne direction pour relever le niveau de compétence des massothérapeutes québécois. Mais en même temps, ce « wow  » exprimait beaucoup d’inquiétudes au sujet de l’application de cette mesure.

Elle se demande avant tout comment les écoles de massothérapie, surtout en région, dénicheront suffisamment de professeurs compétents pour donner cette formation de 1 000 heures aux élèves intéressés. « C’est impossible, dit-elle. Comment va-t-on y arriver ? Les écoles ne sont absolument pas prêtes. »

Canada Vie à l’écoute

La présidente de la FQM est aussi préoccupée par le cout d’une formation de 1 000 heures pour les nouveaux venus, qui peut varier de 10 000 $ à 12 000 $ selon les écoles. La décision est donc lourde de conséquences pour les jeunes ou les personnes en réorientation de carrière qui voudraient se diriger en massothérapie.

Mme Bédard a fait part de ses craintes à Canada Vie. Selon elle, l’assureur s’est montré très à l’écoute et a pris des mesures d’atténuation, notamment en repoussant l’application de cette nouvelle exigence au 1er avril 2020 et en permettant aux anciens diplômés de voir leurs traitements remboursés pourvu qu’ils rencontrent les exigences décrites ci-dessus.

La compréhension dont a fait preuve Canada Vie pour réduire les répercussions chez les massothérapeutes déjà actifs a également été louée par Étienne Durand, directeur général par intérim du Réseau des massothérapeutes professionnels du Québec, la plus vaste association en massothérapie de la province avec ses 8 000 membres.

M. Durand n’a pas été surpris des nouvelles exigences imposées par Canada Vie. L’écart entre les normes canadiennes et celles du Québec était trop important. On pouvait présumer que les choses allaient éventuellement changer ici, dit-il.

« Ça fait des années dans le milieu de la massothérapie que ce message est véhiculé, que 1 000 heures de formation seront exigées un jour au Québec, a-t-il commenté en entrevue. C’est un changement important pour notre discipline, car Canada Vie est un gros joueur. C’est le premier assureur de cette ampleur à faire le pas. »

Il croit que la majorité des massothérapeutes déjà actifs au Québec ne possèdent pas 1 000 heures de formation. Il y voit quand même un aspect positif.

« Dans l’ensemble, juge-t-il, c’est une mesure qui peut contribuer à la professionnalisation de notre discipline et participer à son plein développement. Ce qui est important pour nous, c’est qu’il n’y ait pas de laissés pour compte pour les massothérapeutes qui sont actuellement en pratique. »

Les écoles devront s’adapter

On ignore le nombre exact de personnes formées chaque année en massothérapie au Québec par les diverses écoles, mais on en compte certainement des centaines. La plupart suivraient la formation de base de 400 heures, ou légèrement plus.

Selon Étienne Durand, les nouvelles exigences de Canada Vie forceront les écoles à modifier l’information fournie aux candidats et aux étudiants. La personne qui entreprend sa formation devra le faire en toute connaissance de cause et être mise au courant de cette nouvelle exigence dès le départ.

Si un étudiant choisit de se limiter à 400 heures de formation, il saura que les portes de certains assureurs lui seront peut-être fermées. Sur les sites Web de plusieurs écoles que nous avons consultés, on fait part des nouvelles exigences, et on invite déjà les gens à suivre une formation de 1 000 heures.

Effet boule de neige

Les associations de massothérapeutes se demandent si d’autres assureurs suivront l’exemple de Canada Vie. Sylvie Bédard ne serait pas surprise que certains le fassent, mais ne sait pas qui, ni à quel moment.

Étienne Durand est entré en communication avec plusieurs assureurs québécois pour connaitre leurs intentions. « On n’a pas senti d’empressement à emboiter le pas avec le même type d’exigences. Toutefois, compte tenu de l’importance de la position de Canada Vie dans le monde des assureurs au Canada, il n’est pas impossible qu’un phénomène s’enclenche ici au Québec », entrevoit-il.

Mais il ne croit pas que les assureurs du marché québécois en arriveront à exiger 1  000 heures chez les massothérapeutes qui ont déjà un permis de pratique. Il a senti chez certains un souci de ne pas créer de bris de services.

M. Durand explique : si les assureurs implantent une mesure qui empêche plus de 50 % des massothérapeutes au Québec de servir les assurés couverts par leurs régimes d’assurance collective, il y aura une rupture. Il pense qu’aucun assureur ne souhaite aller jusque-là.

S’il était probablement inévitable qu’on en vienne à exiger 1 000 heures pour les nouveaux diplômés québécois, M. Durand convient lui aussi que le prix très élevé d’une formation aussi longue refroidira certains candidats qui songeaient à s’orienter en massothérapie. Cela rendra la profession moins accessible, même si, pour l’instant, un seul gros assureur national impose une telle exigence.

D’autres assureurs vont-ils suivre l’exemple de Canada Vie ? « Nous tenons toujours compte des tendances de l’industrie et revisitons nos offres pour nous assurer que nous sommes en mesure de répondre le mieux possible aux besoins de nos promoteurs de régimes et de nos adhérents », a indiqué Croix Bleue Medavie au Portail de l’assurance.