Munich Re a invité six assureurs à débattre “dans un comité informel” d’uniformisation des définitions des maladies couvertes par les produits d’assurance maladies graves au Canada.Maître du jeu avec le quasi-monopole de la réassurance des maladies graves au Canada, Munich Re a invité autour de la table les six assureurs qui dominent le marché.

Dans les faits, les discussions initiées par ce comité informel ont commencé ce printemps. Deux rencontres avaient déjà eu lieu au moment de mettre sous presse.

Après vérification, le Journal de l’assurance a appris que le comité réunissait Sun Life, Great-West (et Canada-Vie), Manuvie, Industrielle Alliance, RBC Assurances et Desjardins Sécurité financière (DSF). Le comité utilisera ses conclusions pour suggérer des pistes de solution à l’industrie. Le réassureur et ses partenaires se défendent toutefois de vouloir imposer quoi que ce soit aux autres joueurs du marché.
Ayant décliné notre offre d’entrevue, Munich Re a tout de même fait connaître sa position par un courriel qu’a expédié sa directrice du marketing, Hélène Michaud.

« Ces dernières années, les conseillers ont soulevé que la définition “pour une même maladie” varie d’une compagnie à l’autre, ce qui crée parfois de la confusion pour eux et les consommateurs. Dans un effort pour circonscrire ce problème, Munich Re a rassemblé six assureurs en maladies graves pour revoir les définitions et discuter des différences perçues entre elles, ainsi que des moyens de remédier aux perceptions erronées. »

Le réassureur relate ensuite le déroulement des activités du comité. « En révisant les définitions pour les maladies clé, il nous est apparu, jusqu’à maintenant que, dans la plupart des cas, les différences ne sont pas significatives. Le comité explore actuellement des façons de rationaliser et, si possible, de simplifier les définitions. Notre principal défi est que les définitions des maladies graves devraient être rédigées dans un langage clair et compréhensible pour les consommateurs, mais être aussi assez précises pour décrire ce que [la compagnie] a l’intention de couvrir. »

Dans son message, Mme Michaud décrit aussi l’initiative de Munich Re comme une plate-forme qui permet l’expression de différents points de vue puisque, écrit-elle, tant des gens du marketing, de la médecine, de la souscription et de l’actuariat y participent. Elle insiste aussi sur le fait que le comité s’attardera particulièrement aux définitions des maladies qui sont l’objet de la majorité des réclamations. « Nous communiquerons tous les détails lorsque nous aurons complété notre révision », conclut Mme Michaud.

Depuis déjà quelques années, plusieurs conseillers réclament l’uniformisation des définitions de maladies graves pour mettre fin à ce qu’ils qualifient de confusion. Ils reprochent, en effet, aux assureurs un manque de simplicité dans le libellé des définitions et le fait que celles-ci diffèrent souvent d’une compagnie à l’autre, pour une même maladie. Certains lorgnent comme modèle le Royaume-Uni, qui a récemment réalisé cette uniformisation. Mais ici, l’industrie est lente à réagir aux doléances des conseillers… jusqu’à maintenant.

Divergence de vue

Même si les demandes d’uniformisation semblent émaner des conseillers, tous ne sont pas d’accord. En novembre dernier, Richard Gilbert écrivait au Journal de l’assurance sa crainte de voir l’uniformisation des définitions mener à la médiocrité du produit.

Président de Megacorp Insurance Agencies, un agent général de Mississauga en Ontario, M. Gilbert a soutenu que si les définitions normalisées devaient s’imposer, la mort de l’innovation s’ensuivrait. « Ceci engendrerait des définitions ayant plus de restrictions ou d’exclusions, ce qui mènerait à plus de refus, lors des demandes d’indemnité, et à des poursuites potentielles. »

Il prédisait aussi des « définitions édulcorées et l’élimination de la concurrence », en plus d’un futur sombre pour les conseillers. « Si tous les régimes étaient identiques, l’industrie n’aurait plus besoin d’autant de conseillers », écrivait-il.

M. Gilbert taillait également en pièces l’expérience britannique. « Les définitions normalisées, au lieu d’éliminer les problèmes, en créent. Le Royaume-Uni a découvert que les définitions normalisées ont mené à d’autres problèmes, parce que la méthodologie de diagnostic et l’évaluation des demandes n’étaient pas normalisées. »

Dans un courriel au Journal de l’assurance, George Turpie, vice-président, prestations du vivant, chez Great-West et Canada-Vie, émet aussi des réserves quant à l’uniformisation. « Nous soutenons l’idée d’aider les conseillers à comparer les définitions au sein de différents contrats de maladies graves. Toutefois, nous ne savons pas si la mise en vigueur des définitions uniformisées est la réponse. Au Royaume-Uni, où de telles définitions existent, un réassureur majeur a déclaré que “la récente ronde de changement des définitions au Royaume-Uni ont rendu le produit compliqué avec plus d’exclusions, plus de définitions complexes et plus de jargon médical.” »

En outre, M. Turpie rejette l’argument à l’effet que les définitions soient disparates d’une compagnie à l’autre, du moins en ce qui touche les principales maladies. « Si nous comparons les définitions offertes au Canada, nous découvrons que les trois ou quatre principales maladies, lesquelles comptent environ pour 90 % de toutes les réclamations, bénéficient déjà de définitions de base. »

George Turpie croit, en outre, que l’enjeu pour l’industrie consiste bien plus à maintenir les produits à jour en regard des nouvelles avancées médicales. « Lorsque les termes et les traitements changent ou que la médecine recourt à de nouveaux outils de diagnostic, les définitions et, possiblement, la tarification doivent évoluer rapidement pour s’harmoniser en conséquence. »

David Baker partage le scepticisme de George Turpie quant à l’uniformisation au Royaume-Uni. D’ailleurs, le directeur de la conception de produits individuels d’assurance-santé chez Sun Life a confié au Journal de l’assurance que l’industrie doit « maintenir l’intégrité des définitions médicales » tout en se disant disposé à faire « de meilleurs produits pour les clients ». Il rappelle, en outre, que le comité n’a pas de réel pouvoir sur les pratiques d’affaires de l’industrie. Ce qu’il faut, dit-il, c’est regarder toute chose apte à rendre le produit plus facile à vendre.

En entrevue, Nathalie Tremblay a lancé que l’industrie devrait cesser de gaspiller son énergie à se différencier sur les définitions. « Il faut se distinguer sur autre chose et aller chercher de la croissance », lance la chef de produits santé chez DSF.

Sans prôner l’uniformisation totale, Mme Tremblay croit que l’objectif du comité sera de trouver des définitions communes, pour s’assurer qu’une maladie soit couverte dans tous les produits en utilisant les mêmes mots-clés dans la définition contractuelle. « La définition parfaite n’existe pas », admet toutefois Nathalie Tremblay.

Elle cite, en exemple, la tendance en médecine qui a vu l’outil de diagnostic d’une crise cardiaque passer de l’électrocardiogramme (ECG) aux détecteurs biochimiques. Si les compagnies réalignent leurs définitions en conséquence, que se passera-t-il si survient une réclamation dont le diagnostic est basé sur un ECG? Mme Tremblay doute qu’une compagnie refuse de payer pour cette raison. La décision n’en restera pas moins soumise au jugement de l’assureur.

Pourquoi six compagnies?

Pourquoi Munich Re a-t-elle fixé la barre à six compagnies seulement? John Parker, le vice-président adjoint aux prestations du vivant chez Manuvie, croit que cette limite a permis de réunir plus facilement un groupe de joueurs prêts à travailler ensemble et qui, de plus, représente une part majeure du marché. « Si vous n’avez pas cette taille critique, vos conclusions seront moins significatives », argue M. Parker.

Et des conclusions, il y en aura. « Possiblement d’ici trois à six mois », avance M. Parker. Mais comme ses collègues, il ne croit pas que l’industrie soit prête à passer le rouleau compresseur sur les définitions. « S’il y a des différences mais que les compagnies se montrent compétentes à bien les expliquer, nous pourrons vivre avec. »

Relancer les ventes

La réflexion du comité sur l’uniformisation des définitions en assurance maladies graves arrive à un moment où les ventes du produit stagnent pour une deuxième année consécutive. Un produit qui avait régulièrement connu une croissance dans les deux chiffres avant la hausse des prix de 2004.

LIMRA International observe en effet un recul de 5% des primes de maladies graves vendues en 2006 par rapport à celles vendues en 2005. Les nouvelles primes ont atteint 78 millions$ l’an dernier. Même recul pour le nombre de polices vendues entre 2005 et 2006. L’industrie a vendu 85 000 nouvelles polices en 2006.

Mais les membres du comité de Munich Re refusent d’établir une corrélation directe entre le manque d’uniformisation des définitions et la stagnation des ventes.

En fait, les membres du comité contactés tombent d’accord pour dire que l’avenir du produit repose plutôt sur une plus grande notoriété dans le public. Il faut aussi, croient-ils, susciter les échanges entre conseillers et clients au sujet des maladies graves. Et enfin, trouver des moyens de rendre le processus de vente plus facile et d’intensifier la formation auprès des conseillers.

Tout comme Desjardins, Manuvie croit que le lancement de produit de masse ou de « solutions abordables » est une avenue fort prometteuse. DSF a lancé en février un produit destiné au marché de masse, estimant ce créneau délaissé. John Parker souhaite à DSF du succès dans son initiative. Il croit que cela montre qu’il y a un marché pour ce genre de produits. M. Parker ne serait pas étonné que la compétition emboîte le pas.