Deux courtiers s’en vont travailler dans un autre cabinet après avoir remis leur démission. Quelques entreprises décident de transférer leurs comptes au nouveau cabinet où ils exercent désormais. Leur ancien employeur tente de les empêcher de solliciter sa clientèle.

Le 3 septembre dernier à Québec, le juge Maxime Roy, de la Cour supérieure du Québec, a entendu la demande soumise par BFL Canada Services de risques et assurances. La demanderesse allègue des fautes contractuelles et extracontractuelles, notamment des violations de clauses de non-concurrence et de non-sollicitation.

BFL demande une injonction interlocutoire provisoire pour interdire aux défendeurs de solliciter ou de faire affaire avec ses clients actuels ou potentiels. Le cabinet soutient que les actions des défendeurs lui causent un préjudice sérieux et irréparable.

Les défendeurs sont les courtiers d’assurance de dommages Patrick Bolduc et Marie-Hélène Gauthier et les deux sociétés faisant affaire sous le nom de Synex Assurance et Couture Rochette Gestion de risques.

Les parties défenderesses contestent l’urgence de la demande. Elles soutiennent que la preuve ne démontre aucune sollicitation de leur part. Elles invoquent également la nullité et le caractère abusif des clauses invoquées, l’absence de préjudice sérieux ou irréparable pour la demanderesse, et la prépondérance des inconvénients en leur faveur. 

Le contexte 

Les deux courtiers ont remis leur démission le même jour, le 20 juin 2025, avec un préavis de deux semaines accordé à leur employeur, BFL Canada. Par la suite, ils reprennent leurs activités chez Couture Rochette, cabinet de la région de Québec associé à Synex Assurance. 

Le 4 août 2025, BFL apprend le transfert de trois comptes auprès de Synex. Le 14 août, le cabinet signifie une mise en demeure aux deux courtiers et à Synex, en lien avec ce transfert. Un autre client informe BFL qu’il désire transférer ses affaires chez Synex le 21 août 2025. 

La demande introductive d’instance est déposée dès le 26 août 2025, et elle comprend la demande en injonction interlocutoire. La demanderesse est représentée par les avocats Nancy Boyle, Normand Laurendeau et William-Anthony Marchetti-Berry, du cabinet Robinson Sheppard Shapiro, lors de l’audience devant le juge Roy. 

Les défendeurs sont représentés par Louis Carrière et Pierre-Éric Laforest, avocats de Cain Lamarre au bureau de Québec.

Le juge Roy a rendu sa décision le 15 septembre 2025. Il refuse d’accorder l’injonction demandée, avec les frais de justice contre la partie demanderesse.

Outre le caractère de l’urgence associé au caractère provisoire de la requête, la cour doit analyser la demande d’injonction interlocutoire en fonction de trois critères : l’apparence de droit, le préjudice sérieux ou irréparable et la prépondérance des inconvénients. 

Entre le constat de la perte des premiers clients et le dépôt du recours, la demanderesse a agi en moins de 30 jours. Cela correspond à la norme associée à la demande d’injonction interlocutoire provisoire. Le tribunal rappelle cependant que l’urgence seule ne suffit pas pour accorder l’injonction. 

L’apparence de droit 

Les clauses de non-service et de non-sollicitation prévues à la convention unanime des actionnaires, à laquelle M. Bolduc est parti, suffisent selon BFL à établir l’obligation imposée aux défendeurs de ne pas faire affaire avec la clientèle de la demanderesse. 

Selon l’article 2088 du Code civil du Québec, le salarié doit agir avec honnêteté et loyauté, et ces obligations ne s’arrêtent pas à la cessation du contrat du travail. Cependant, en l’absence d’une clause de non-concurrence, l’ex-employé peut concurrencer son ancien employeur d’une manière loyale en respectant le principe de la bonne foi, lit-on au paragraphe 23 de la décision.

Dans les documents reliés à l’offre d’emploi, les deux courtiers se voient rappeler des obligations en ce sens, mais leurs contrats de travail ne prévoient pas de clause de non-concurrence ou de non-sollicitation. Ces obligations ne sont évidemment pas opposables à Synex à l’égard de BFL, note le tribunal.

La convention d’actionnaire contient une clause qui pourrait soutenir l’argument de la demanderesse. La clause de non-concurrence invoquée par la demanderesse est jugée « inéquitable, déraisonnable et imprécise ». Selon le juge Roy, cette clause excède ce qui est nécessaire pour protéger les intérêts légitimes de la demanderesse, notamment en raison de son étendue géographique, de la définition des clients potentiels et de la rédaction des activités interdites.

La preuve ne démontre pas de sollicitation ou d’agissement déloyal de la part des défendeurs. Les clients concernés ont eux-mêmes choisi de transférer leurs comptes, selon le tribunal. 

Préjudice et inconvénients 

Même si la perte de clients peut constituer un préjudice sérieux ou irréparable, la preuve ne permet pas d’évaluer précisément l’ampleur de ce préjudice. Par ailleurs, le tribunal réfute l’argument de BFL concernant la prépondérance des inconvénients.

La demanderesse soutient que son préjudice sera plus grand si l’injonction lui est refusée et que le cabinet continue de perdre ses clients. Selon le juge, les clients concernés ont décidé par eux-mêmes de faire affaire dorénavant avec Synex, et ce, en l’absence de toute forme de sollicitation de la part des défendeurs. 

En revanche, les interdictions recherchées à l’encontre des défendeurs présenteraient une portée plus large qui affecterait considérablement leurs activités commerciales. La prépondérance des inconvénients est en faveur des parties défenderesses, conclut le tribunal en rejetant la demande d’injonction. 

BFL Canada a déjà été la partie défenderesse dans une affaire similaire remontant à 2019. Le cabinet avait recruté trois employés chez un concurrent. Ce dernier avait aussi tenté d’obtenir une injonction interlocutoire provisoire. Le résultat avait été le même.