Le juge Richard Wagner, de la Cour supérieure (Chambre criminelle et pénale), a été catégorique lorsqu'il a imposé une peine de 13 ans de prison à Vincent Lacroix : le PDG déchu de Norbourg a commis un crime violent, même si aucune violence physique n'a accompagné ses méfaits.Ce jugement marque ainsi un tournant dans les causes de crimes économiques. Longtemps, ces derniers ont été perçus par les tribunaux comme des crimes non violents entrainant à leurs auteurs des sanctions moins sévères que dans les causes de crimes avec violence. L'analyse du texte du jugement est à ce sujet révélateur.
Selon le juge Richard Wagner, le crime commis par Vincent Lacroix est un crime violent. « Il est vrai que Vincent Lacroix n'a pas été l'auteur de violence physique dans la perpétration de ses crimes. C'est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles il a pu recouvrer sa liberté sous caution en attendant la tenue de ses procès au pénal et au criminel. Cependant, même si la violence physique directe n'a pas accompagné ses crimes, le Tribunal est d'avis que ces derniers ont engendré beaucoup de violence morale aux victimes et à leur famille en raison du stress, de l'insécurité et de l'incertitude pour ceux et celles qui ont perdu le capital de leur vie qu'il réservait pour leur retraite », précise le juge.
Pour cette raison, le juge Wagner affirme dans son jugement qu'il y a peu de facteurs atténuants qui peuvent être appliqués dans de telles circonstances. Le seul facteur atténuant que le juge a retenu est la décision du PDG de Norbourg de plaider coupable à l'aube de son procès criminel. Le juge dit ne pas avoir tenu compte des remords exprimés par M. Lacroix à ce moment, car il aurait pu les exprimer bien avant selon lui.
Coupable
Vincent Lacroix a détourné 95 millions de dollars appartenant à 9 200 investisseurs qui lui ont confié leurs épargnes. Il a écopé d'une peine de douze ans de prison au terme de son procès pénal. La Cour a ensuite ramené cette peine à cinq ans. Il était en voie de subir un autre procès au criminel par la suite, mais a décidé de plaider coupable au moment de la sélection du jury. Le 9 octobre, le juge Richard Wagner l'a envoyé en prison pour 13 ans, avec possibilité de libération conditionnelle après qu'il ait purgé un sixième de sa peine.
Dans son jugement sur la détermination de la peine, le juge Wagner note que les agissements de M. Lacroix ont « ébranlé les structures des marchés financiers » et qu'ils ont « souligné la faiblesse » des contrôles judiciaires en matière de crimes économiques. Pour le juge Wagner, il ne fait aucun doute que Vincent Lacroix était « le chef d'orchestre d'une arnaque bien structurée ». Il dit toutefois qu'il aurait été inutile d'envoyer le PDG de Norbourg en prison pendant 100 ans.
« Une peine d'emprisonnement n'a de valeur fonctionnelle et ne peut s'acquitter des objectifs de dissuasion et de réprobation que si elle a un sens et un effet pratique. Or, une peine d'emprisonnement de plusieurs centaines d'années n'a aucun sens pratique et ne remplit pas les objectifs recherchés. Elle peut bien réjouir la galerie, mais elle risque de porter atteinte à l'intégrité d'un système de justice fondé sur des valeurs morales et sociales qu'il est essentiel de préserver », soutient-il.
Point de droit important
Le juge Wagner donne toutefois raison à Vincent Lacroix sur un point. Le juge dit comprendre les raisons qui ont motivé M. Lacroix à ne pas plaider coupable lors de son procès pénal. Le PDG de Norbourg reprochait à l'Autorité des marchés financiers de se servir de l'instance pénale comme d'une instance. Selon M. Lacroix, en agissant ainsi, l'Autorité souhaitait obtenir une peine d'emprisonnement normalement réservée à des infractions criminelles. Le juge Wagner estime que M. Lacroix avait le droit, comme tout citoyen, de faire valoir ses arguments devant un tribunal impartial et indépendant.
Facteurs agravants
« Reprocher à l'accusé d'avoir plaidé sa cause aurait l'effet de miner les protections offertes par notre système de justice », dit-il.
Le juge Wagner a toutefois retenu plusieurs facteurs aggravants pour établir une peine d'emprisonnement de 13 ans. Le juge dit avoir considéré l'importance et la durée des manœuvres dolosives commises par Vincent Lacroix, son rôle dans la perpétration des infractions, le caractère prémédité et délibéré de ses actes, le nombre élevé de victimes directes et indirectes, ainsi que le fait qu'il ait profité de son statut privilégié de professionnel pour induire ses clients en erreur et abuser de leur confiance.
Dans son jugement, le juge Wagner est aussi revenu sur un point qui a fait couler beaucoup d'encre dans le dossier Norbourg. Vincent Lacroix aurait-il dû être jugé au criminel avant d'être jugé au pénal ? Pour le juge Wagner, la réponse ne fait pas de doute : le procès criminel aurait dû avoir lieu avant le procès pénal.
« Le débat sur la chose jugée et la détermination de la peine appropriée aurait été évité, au même titre que la confusion des genres qui a meublé l'espace judiciaire et médiatique ces dernières années. La peine de douze ans de pénitencier imposée par la Cour du Québec à Vincent Lacroix dans le cadre de son procès pénal n'est pas déraisonnable, loin de là. Le problème, c'est qu'elle a été prononcée dans le mauvais dossier », affirme le juge.