L'industrie canadienne de l'assurance de personnes est plongée dans l'incertitude vu le retard de la consultation touchant les nouvelles normes comptables. Compte tenu de ce retard, les assureurs ne savent pas encore quelles normes ils devront appliquer au deuxième trimestre de 2011 pour comptabiliser leur passif.Le document de consultation sur les nouvelles normes comptables touchant le secteur de l'assurance de personnes n'avait pas encore été publié au moment de mettre sous presse, à la mi-juin. C'est le chien de garde international des comptables, l'International Accounting Standards Board (IASB), qui doit publier les nouvelles règles applicables aux assureurs. Or, vu son agenda chargé, plusieurs croient que l'IASB ne pourra pas respecter son échéancier.

Initialement prévu en mars, sa parution a été reportée en avril puis en mai. L'IASB a ensuite fait savoir que ce document serait publié en juin. Toutefois, plusieurs intervenants au dossier ont fait savoir au Journal de l'assurance que la parution du document de consultation serait probablement reportée en juillet.

Peu de temps

Par contre, l'implantation des nouvelles normes internationales d'information financière (NIIF, mieux connues sous leur acronyme anglais IFRS) pour les contrats d'assurance est prévue pour le deuxième trimestre de 2011. Les assureurs ont donc peu de temps devant eux pour déterminer comment calculer leur passif.

Peter Martin, directeur des normes comptables au Conseil des normes comptables du Canada, croit que le secteur de l'assurance pourrait écoper de cette cadence réduite. « En- dehors de l'industrie de l'assurance, les gens se préoccupent peu des normes qui la touchent directement, dit-il. En revanche, il y a des normes que l'IASB tendra à traiter en priorité parce qu'elles recouvrent un grand nombre d'industries à la fois. S'ils doivent retarder quelque chose, cela pourrait être les normes du secteur de l'assurance. »

L'IASB a l'intention de remplacer dès 2011 sa norme temporaire par une norme finale qui fournira une base pour comptabiliser les contrats d'assurance à long terme. La Phase II des normes sur les contrats d'assurance n'est toutefois pas le seul projet de l'IASB à retenir l'attention de l'industrie de l'assurance.

La norme qui exigera d'évaluer à la valeur marchande tous les éléments d'un bilan doit aussi faire l'objet d'un document de discussion au cours du deuxième trimestre. Cette disposition qui obligera une société à divulguer ses obligations financières futures à leur valeur marchande d'aujourd'hui fait toujours autant rager les assureurs.

Cette réflexion sur la norme qui dira comment traiter le passif lié aux polices d'assurance doit entre autres sa complexité au nombre élevé de normes connexes qu'elle influencera. Parmi celles-ci, on retrouve la révision des normes de divulgation, de déclaration et d'évaluation des instruments financiers, la révision des normes de dépréciation d'actifs et la révision des normes d'actifs intangibles.

Par ailleurs, plusieurs autres projets de l'IASB font la file pour se faire entendre. Même s'ils couvrent tous les secteurs économiques à travers le monde, certains d'entre eux touchent aussi les assureurs canadiens, explique Peter Martin, du Conseil des normes comptables. Le plus important est, selon lui, l'implantation des normes sur la consolidation, dont une partie est prévue en juin et l'autre au quatrième trimestre 2010. Ces normes traiteront de la notion de contrôle et de la divulgation des résultats du siège social avec ceux de ses filiales.

Les différentes normes qui touchent les instruments financiers, tel que mentionné plus tôt, sont aussi très attendues. Elles comprennent les normes sur le retrait d'un élément d'actif ou de passif du bilan (mieux connues sous leur nom anglais derecognition), et celles sur les stratégies de couverture. Elles feront l'objet chacune d'un document de discussion, à paraitre en juin ou peut-être au troisième trimestre.

Les NIIF sont loin de laisser les assureurs de personnes canadiens indifférents. Lors de l'assemblée générale annuelle des actionnaires de la Financière Manuvie, Donald Guloien, PDG de l'entreprise, a fait une nouvelle sortie à ce sujet. Il avait déjà mentionné que les NIIF signeraient la fin des produits d'assurance vie garantis si elles étaient appliquées telles quelles. Lors de l'assemblée tenue le 6 mai, il a répété que ce qui inquiète le plus les assureurs, ce sont les normes de phase II dont l'implantation est prévue en 2013.

Le Journal de l'assurance s'est aussi entretenu avec Lynda Sullivan, vice-présidente exécutive et contrôleur à la Financière Manuvie. Elle siège au groupe conseil en assurance mis sur pied par l'IASB. Ce groupe compte 23 membres de partout à travers le monde. Un autre Canadien y siège : Tom Kornya, associé chez Ernst & Young.

D'emblée, Mme Sullivan rappelle que l'industrie canadienne de l'assurance de personnes est impliquée depuis 2006 dans le développement d'une norme d'évaluation du passif lié aux polices d'assurance. Pourtant, il n'y a toujours pas de norme en ce sens, étant donné l'ampleur de la tâche, dit-elle. C'est pourquoi l'application des normes entourant le passif des polices d'assurance ne se fera que lors de la deuxième phase d'implantation des NIIF, en 2013 seulement. L'Europe applique déjà depuis 2004 ses propres normes, ajoute-t-elle.

Le comité a donc pour rôle d'aider l'IASB à mener cette tâche à terme en respectant le plus possible la nature différente des produits d'assurance d'un pays à l'autre. « C'est un projet très complexe et nous devons nous assurer que l'IASB a une bonne compréhension de la nature des produits d'assurance nord-américains avant d'appliquer une norme. Les produits d'assurance nord-américains offrent des garanties de longue durée. En Europe, d'où origine la réflexion sur une norme d'évaluation du passif des polices, les produits offrent des garanties de courte durée. Au Canada, nous croyons avoir un des modèles d'évaluation les plus solides. »

Elle craint donc qu'une norme fondée sur les garanties d'assurance à court terme puisse avoir des conséquences indésirables pour l'industrie canadienne. Pour s'assurer que la future norme soit sensible à la réalité nord-américaine, Mme Sullivan dit bénéficier de l'appui de plusieurs associations et compagnies d'assurance, au Canada et aux États-Unis.

Elle rappelle en outre que l'IASB devait publier en juin un document de discussion et non une norme finale. « Ce ne sera pas une norme finale, mais l'occasion de recueillir les réactions de l'industrie et leurs commentaires additionnels. Ce sera aussi l'occasion de donner des conseils supplémentaires avant que l'IASB passe à la norme finale », souligne-t-elle.