Les entrepreneurs en construction se plaignent depuis longtemps des retards de paiement que leur imposent les donneurs d’ouvrage publics. Or, le gouvernement obligera bientôt les organismes publics à régler leurs factures plus rapidement.
Le projet de loi 12 vise principalement à promouvoir l’achat québécois et responsable par les organismes publics, à renforcer le régime d’intégrité des entreprises et à accroître les pouvoirs de l’Autorité des marchés publics. Les députés ont voté et approuvé la loi 12 le 25 mai dernier à l’Assemblée nationale.
Le 6 avril à la commission des finances publiques (CFP), le porte-parole de l’Opposition officielle, Pierre Arcand, avait soumis un amendement pour accélérer le paiement des entrepreneurs. Il suggérait d’amender l’article 24.3 de la Loi sur les contrats des organismes publics afin d’imposer au ministre titulaire du Conseil du Trésor de spécifier par règlement les conditions et modalités pour faciliter le paiement des entrepreneurs et des sous-traitants. Sa proposition avait été rejetée.
Le projet de loi 12 était mené par Sonia Lebel, ministre responsable de l’Administration gouvernementale et présidente du Conseil du Trésor. L’étude détaillée du projet de loi de 150 articles a pris fin le 10 mai dernier.
La question des retards de paiement n’apparaissait pas dans la première version du projet de loi. Le 10 mai, la ministre Lebel a déposé un nouvel article avec son 34e amendement au projet de loi. Le nouvel article 110.1 du PL-12 modifie les dispositions préliminaires du chapitre V.2 de la Loi sur les contrats des organismes publics (LCOP). Ce chapitre est intitulé « Paiements et règlement des différends en matière de travaux de construction ».
L’amendement déposé (et adopté) comporte quatre pages et vise le paiement rapide de sommes d’argent réclamées par des entreprises qui réalisent des travaux de construction pour le compte d’organismes publics. L’article 21.48 de cette loi comptera désormais 14 nouveaux articles.
Réaction des entrepreneurs
Cette question des retards de paiement préoccupe la Corporation des entrepreneurs généraux du Québec (CEGQ) depuis près d’une décennie. En 2021, son PDG Éric Côté a prononcé six conférences sur le sujet. L’association a un comité, qui se réunit mensuellement, et ses membres participent aux projets pilotes sur le paiement accéléré.
« Quand je dis accéléré, ils font juste payer dans les 30 jours comme prévu dans les contrats. Et les gens sont satisfaits », rapporte M. Côté.
La CEGQ faisait partie de la Coalition contre les retards de paiement. La CEGQ a réagi ainsi à l’amendement adopté dans sa communication à ses membres, dont nous avons obtenu copie : « Il va sans dire que c’est une grande étape qui vient d’être franchie. Les amendements déposés enchâssent dans la LCOP les principes de base du paiement rapide. Toutefois, les modalités doivent être adoptées ultérieurement dans un règlement », indique la CEGQ.
Étude du GAMP
La CEGQ est aussi membre du Groupe d’accès aux marchés publics (GAMP) avec d’autres associations reliées à l’industrie de la construction. À la demande du GAMP, une étude a été faite par Raymond Chabot Grant Thornton (RCGT) à la fin de 2020. Les résultats ont été publiés au printemps 2021.
Selon l’étude, au cours des cinq années précédentes, 38 % des répondants parmi les entrepreneurs ont indiqué que leur intérêt avait baissé à l’égard des marchés publics. Cette proportion atteint même 40 % chez les professionnels.
Seulement 13 % des entrepreneurs et 19 % des professionnels ont vu leur intérêt augmenter face aux marchés publics. Pour les autres, soit 49 % des entrepreneurs et 41 % des professionnels, leur intérêt face aux marchés publics est resté stable depuis cinq ans.
Pour 40 % des professionnels, le secteur public représente une part majoritaire du chiffre d’affaires, alors que ce taux est de 32 % pour les entrepreneurs. Seulement 4 % des répondants chez les entrepreneurs et 3 % des répondants chez les professionnels disposent d’un volume d’affaires uniquement avec le public.
L’effervescence des marchés permet aux entrepreneurs et aux professionnels de choisir les donneurs d’ouvrage. Quelque 72 % des entrepreneurs et 82 % des professionnels se permettent d’écarter les donneurs d’ouvrage publics en fonction des conditions qu’ils offrent.
Si le contexte économique actuel se maintient au cours des prochaines années et que les conditions contractuelles offertes par les donneurs d’ouvrage publics ne changent pas, 63 % des entrepreneurs et 59 % des professionnels ont mentionné qu’ils songent à faire augmenter la proportion de leur chiffre d’affaires généré dans le secteur privé.
Les enjeux d’approvisionnement ont été documentés dans plusieurs études réalisées à travers le monde. Parmi les facteurs les plus souvent mentionnés, les clauses contractuelles incluant notamment un partage inéquitable des risques, les retards de paiement, les enjeux en lien avec le processus d’appel d’offres et la lourdeur de la gestion contractuelle sont au cœur des raisons qui expliquent le désintérêt des entrepreneurs et des professionnels.
Les modalités de paiement représentent un enjeu important. Les répondants déplorent particulièrement la présence de clauses abusives qui protègent uniquement le client ou qui n’apportent aucune valeur ajoutée. Les clauses de pénalité diverses font partie des principales raisons mentionnées qui contribuent à la baisse d’intérêt des répondants pour les marchés publics.
La durée de la validité des soumissions est un irritant majeur. Les entrepreneurs doivent être en mesure de garantir la main-d’œuvre et leurs approvisionnements en matériaux durant la période de validité des soumissions afin de maintenir le prix affiché dans leurs soumissions.
Les entrepreneurs doivent obtenir un cautionnement de soumission auprès de leur institution financière. Celui-ci doit être valide pour l’ensemble de la durée de validation de la soumission. Ainsi, les délais avant le début d’un projet limitent la capacité financière d’une entreprise, ce qui peut ensuite les limiter à soumissionner sur d’autres appels d’offres.
Selon le GAMP, l’analyse des soumissions pourrait être écourtée afin de favoriser l’intérêt des entrepreneurs à participer aux marchés publics.
Cet article est un Complément au magazine de l'édition de juin 2022 du Journal de l'assurance.