Une personne qui fait du télétravail et qui se blesse à domicile durant ses heures travaillées peut-elle réclamer des prestations à la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité au travail (CNESST) ?
C’est ce qu’a tenté de faire un courtier en assurance victime d’une entorse lombaire à son domicile, mais la CNESST a rejeté sa demande de prestations. Ce rejet a été confirmé il y a un mois par le Tribunal administratif du travail.
Ce courtier d’assurances fait du télétravail à raison de quatre jours par semaine. Il se trouve à sa résidence le 3 mai 2023 quand son dos se bloque alors qu’il se relève de la toilette. Transporté par ambulance à un hôpital, on lui diagnostique une entorse lombaire.
Il affirme ne pas avoir fait de faux mouvement le matin où cet incident s’est produit. Bien qu’il souffre déjà d’une condition dégénérative qui l’avait amené à se procurer une chaise ergonomique, il attribue cette blessure au fait qu’il travaille en position assise devant son ordinateur de 8 h à 16 h.
Il estime avoir subi un accident du travail, puisqu’il s’est blessé pendant ses heures de travail.
Il réclame des prestations à la CNESST, mais il essuie un refus de l’organisme. Il porte cette décision en appel devant le Tribunal administratif. Devant la juge Martine Desroches, la CNESST soutient qu’il n’y a pas eu d’accident du travail le 3 mai 2023.
Pour bénéficier de la présomption de lésion professionnelle, le travailleur doit prouver de manière prépondérante qu’il a subi une blessure, survenue sur les lieux du travail, alors qu’il est à son travail.
Diagnostic d’entorse lombaire
Dans cette cause, le Tribunal administratif se dit lié par le diagnostic retenu par les médecins qui ont examiné le courtier afin de décider de son admissibilité à une réclamation.
Sur l’attestation médicale du 3 mai 2023, la docteure Karine Turcotte émet un diagnostic d’entorse lombaire. Elle prescrit un arrêt de travail et de la physiothérapie. Une résonance magnétique faite le 19 mai confirme une atteinte au dos et deux autres médecins confirment plus tard l’entorse lombaire, un diagnostic qui est admis par le Tribunal.
Incident survenu à la salle de bain
Toutefois, la vive douleur qu’a ressentie le courtier vers 8 h 30 s’est produite quand il était à la salle de bain et non « à son travail », insiste la cour.
« Être à son travail », souligne la juge Desroches, est interprétée dans la jurisprudence comme étant « le moment où le travailleur se trouve dans l’exécution même de ses fonctions principales ou accessoires, c’est-à-dire toutes tâches pour lesquelles il a été embauché et pour lesquelles il perçoit habituellement une rémunération. »
L’article 2 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles décrit un accident du travail comme un événement imprévu et soudain survenant à une personne directement par le fait de son travail ou encore à l’occasion de son travail et qui entraîne chez elle une lésion professionnelle.
Le fardeau de preuve appartient au travailleur. Cette démonstration implique la preuve d’une relation de cause à effet entre l’événement allégué et la lésion diagnostiquée.
Être assis, la cause de son problème ?
Dans les jours précédents l’incident, le courtier avait ressenti de légers symptômes au niveau lombaire.
En cour, il raconte que, le 3 mai, il s’être redressé de la position assise de la toilette et avoir alors ressenti une douleur fulgurante. Il affirme ne pas avoir fait de faux mouvement, de mouvement de torsion ou d’extension du rachis, ne pas avoir bougé rapidement et ne pas avoir fait d’effort.
Il prétend, sans en faire la preuve, que c’est la position assise toute la journée dans le cadre de son travail qui est la cause de sa douleur. Il affirme d’ailleurs que son médecin lui a affirmé qu’il s’agissait « d’une des causes » de son problème.
Des arguments qui n’ébranlent pas la juge
Ce point de vue médical ne persuade pas la juge.
« Le Tribunal, écrit la magistrate dans son jugement, conçoit que l’apparition de la douleur tout comme la douleur en soi ont été imprévues et soudaines, mais il ne peut assimiler à un événement imprévu et soudain le fait de se relever de la position assise. Il s’agit là d’un mouvement normal et habituel. »
Elle ne reconnaît donc pas d’emblée un accident de travail, car il doit être démontré qu’un mouvement a occasionné la blessure. En l’absence de démonstration qu’un événement imprévu et soudain était survenu, elle a conclu que l’homme n’a pas subi de lésion professionnelle.
Le courtier d’assurance n’a pas droit aux prestations prévues par la Loi et doit par ailleurs remettre la somme de 1 625,97 dollars à la CNESST. Le jugement n’en fournit cependant pas la raison.