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L’existence des changements climatiques est connue et bien documentée. Au Canada, et particulièrement au Québec, il est temps de rattraper le retard et de mettre en place des mesures pour s’assurer que les propriétés résidentielles soient bel et bien préparées aux intempéries.
C’est ce que plaide Isabelle Thomas, professeure titulaire et directrice du groupe de recherche AriAction de l’école d’urbanisme et d’architecture du paysage de l’Université de Montréal.
« Pour y parvenir, il faut un mélange d’outils : il faut le côté réglementaire, mais aussi un programme qui permet de financer l’adaptation des bâtiments après un diagnostic », indique celle qui s’est intéressée au lendemain de l’ouragan Katrina (2005) lorsqu’elle était professeure à la Nouvelle-Orléans, en Louisiane.
Déjà, le gouvernement du Québec est en train d’adopter un nouveau cadre réglementaire dans la foulée de son Plan de protection du territoire face aux inondations, dans lequel on retrouvera la publication, ce printemps, des nouvelles cartes des zones inondables.
Le groupe de recherche dirigé par la professeure Thomas a conçu, de concert avec le ministère de la Sécurité publique du Québec, un outil nommé Capacité de résilience aux inondations (CAPRI) et qui permet de réaliser un diagnostic du risque d’une résidence. Une fois les vulnérabilités de la propriété identifiée, des recommandations sont formulées afin de la rendre plus résiliente.
L’outil, qu’on souhaite offrir à la province tout entière, a été testé dans la municipalité de Saint-André-d’Argenteuil.
Isabelle Thomas est d’avis que si CAPRI était appliqué à toutes les résidences en vertu d’une obligation législative et qu’un financement du ministère de l’Environnement, de la Lutte aux changements climatiques, de la Faune et des Parcs (MELCCFP) subventionnait une partie des travaux de résilience proposés, « tout le monde gagne ».
« La municipalité conserve ses taxes foncières, la maison conserve sa valeur, le citoyen ne perd pas son patrimoine matériel et les assureurs défraient moins en dédommagements », énumère la chercheuse.
Une accréditation pourrait ensuite être octroyée aux propriétaires ayant adapté leur maison, accréditation qui pourrait mener à des rabais sur les taxes foncières, sur leur prime d’assurance habitation ou d’autres incitatifs, avance Mme Thomas.
Élène Levasseur, directrice à la recherche et à l’éducation pour Architecture sans Frontières Québec (ASFQ), n’est pas contre l’idée d’une certification résiliente pour les maisons adaptées aux changements climatiques, bien au contraire. « Mais en même temps, comment déterminer ce qui ira dans une telle accréditation, et comment s’assurer que toutes les maisons soient inspectées ? Qui aurait la charge de certifier? » demande-t-elle.
« Quand on parle d’adaptation, c’est très difficile de la quantifier tant et aussi longtemps que l’aléa n’est pas arrivé, relativise-t-elle. Une simple lacune au niveau de l’entretien [de la propriété] peut rendre les mesures d’adaptation inefficaces. »
Des mesures correctives et préventives
Mme Thomas et Mme Levasseur ont travaillé de concert pour développer une série de fiches proposant des adaptations résidentielles pour rendre les maisons plus résilientes. Celles-ci ont été publiées en 2023.
On y retrouve des mesures clés à adopter de manière préventive et relativement peu coûteuses, mais aussi des mesures d’adaptation pouvant être mises en place en prévention ou à la suite d’un sinistre. Enfin, les fiches contiennent des mesures d’évitement qui « visent à réduire au maximum l’exposition d’une habitation aux inondations. »
ASFQ réalise aussi, avec ses partenaires, des essais en laboratoire pour déterminer la manière dont les matériaux réagissent lorsqu’ils sont mouillés. Plusieurs structures et différents types de portes, de fenêtres et d’innovations adaptatives sont aussi mis à l’épreuve pour évaluer leur performance.
Ces essais techniques, dont les résultats devraient être publiés plus tard en 2025, s’effectuent en partenariat avec la Chaire en physique du bâtiment multi-échelle de l’Université de Sherbrooke, le Conseil national de recherches du Canada (CNRC), le Centre Eau Terre Environnement de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS) et Ecohabitation.
« Ces informations-là serviront de données probantes qui pourront servir aux assureurs en temps et lieu », avance Élène Levasseur.
Une question de volonté politique
Isabelle Thomas assure que le gouvernement québécois est davantage préoccupé par les impacts des changements climatiques depuis les inondations survenues entre 2017 et 2019. « Il a pris acte et a mis en place un comité interministériel qui regroupe des chercheurs, des experts et des représentants des municipalités pour se pencher sur la question », souligne-t-elle.
Dans cette lignée, elle souhaiterait qu’un projet-pilote reprenne les grandes lignes du projet CAPRI, en collaboration avec le MELCCFP et les assureurs, pour en tester la viabilité à plus large échelle.
Mais c’est la volonté politique des décideurs qui déterminera l’échéancier de l’implantation de mesures concrètes.
« Je parle de telles mesures depuis au moins 2019, calcule la professeure. Si le gouvernement a la volonté d’aller de l’avant, le temps que les études se placent, que la loi soit adoptée et que ça percole dans les municipalités, que les ingénieurs et les architectes sont formés en ce sens, ça pourrait aller très vite. Mais si la volonté politique n’est pas derrière les efforts, ça pourrait aussi prendre vingt ans. »
Au Canada : des outils pour rendre les maisons résilientes
Ailleurs au pays, des initiatives ont déjà été mises en place pour outiller les propriétaires à préparer leur résidence face aux aléas de Dame Nature.
En 2018, huit municipalités albertaines se sont adonnées à des ateliers collaboratifs visant à dégager des priorités régionales d’adaptation aux changements climatiques, le tout supervisé par la fondation All One Sky dans le cadre du projet national Climate Resilience Exchange. Celui-ci a été financé par le programme Municipalités pour l’innovation climatique de la Fédération canadienne des municipalités.
En est ressorti l’année suivante l’outil Climate Resilient Home, un guide prodiguant divers conseils pour rendre les maisons plus résilientes aux différents impacts des changements climatiques, dont les feux de forêt, les inondations ou des températures extrêmes.
Selon les paramètres sélectionnés par l’utilisateur sur son type d’habitation et sur les risques qu’il souhaite mitiger, l’outil interactif — uniquement disponible en anglais — propose diverses rénovations en expliquant les bénéfices qu’elles apporteront au propriétaire.
En Nouvelle-Écosse, on retrouve le programme Resilient Home Retrofits de la Fondation Clean. Celle-ci estime que d’investir pour prémunir sa propriété d’une inondation coûtera moins cher, à long terme, que la facture moyenne de 43 000 $ qu’entraîne la réparation d’un sous-sol inondé.
À chaque appel de candidatures, une vingtaine de participants demeurant dans des zones à risque sont retenus. Des représentants du programme visitent les propriétés et leurs propriétaires recevront par la suite une liste de travaux à effectuer, lesquels visent à mieux préparer leur maison contre les inondations. La moitié des participants se verront offrir les travaux dans le cadre du programme, qui offre aussi des conseils pour être mieux préparé face aux chaleurs extrêmes et aux incendies de forêt.
Des précédents ailleurs dans le monde
Le Canada est loin d’être précurseur dans l’adaptation des maisons face aux changements climatiques. Le pays emboîte plutôt le pas à d’autres, plus visionnaires, qui encouragent les propriétaires à détecter et à corriger les faiblesses de leur maison avant qu’elle ne soit frappée par une catastrophe.
« Le genre de diagnostic offert par l’outil CAPRI existe déjà en France », relève Isabelle Thomas.
En 2021, CDC Habitat en Auvergne-Rhône-Alpes a mis en place un Diagnostic de Performance Résilience (DPR), qui permet aussi aux citoyens qui le souhaitent de déceler les vulnérabilités de leur propriété face aux intempéries et de mettre en place les actions préventives appropriées. En décembre 2024, l’organisme a annoncé avoir élargi son DPR à d’autres régions françaises — Toulouse, Bordeaux, Sète, Palavas-les-Flots et Montpellier.
L’État de Queensland en Australie, est celui qui est le plus touché par les désastres météorologiques. En conséquence, son gouvernement a mandaté la firme James Davidson Architecture pour la rédaction de guides à l’attention de ses résidents pour bâtir et à rénover leurs maisons pour les rendre plus résilientes face aux inondations, les incendies de forêt et aux cyclones.
On y explique notamment que l’adaptation des bâtiments entraîne des économies à long terme sur les primes et les réclamations de dommages en assurances. Le retour sur investissement estimé varie entre un et douze ans, selon les travaux réalisés et les intempéries vécues.
États-Unis : être préparé, c’est épargner
Du côté des États-Unis, la Federal Emergency Management Agency (FEMA) a publié différents guides pour soutenir les propriétaires dans l’adaptation de leur maison, notamment face à de potentielles inondations.
La FEMA administre le Programme national d’assurance contre les inondations, qui existe chez nos voisins du Sud depuis 1968. Cette assurance est offerte aux communautés résilientes ayant adapté leurs infrastructures pour faire face aux changements climatiques : les personnes souscrivant au programme ont dès lors des rabais pouvant aller de 5 % à 45 % de leur prime d’assurance.
La professeure Thomas mentionne d’ailleurs qu’il faut bénéficier de cette assurance chapeautée par la FEMA pour acquérir une propriété située en zone inondable.
« On s’est rendu compte qu’après Katrina, les primes d’assurance avaient énormément augmenté, raconte Isabelle Thomas. Les Américains ont développé un programme pour les propriétés touchées de façon sévère afin de les [rendre plus résilientes] dans le futur. »
Grâce au National Disaster Resilient Competition, les municipalités ont accès à un milliard de dollars en financement pour rendre les quartiers plus résilients. Cela a aussi pour effet de garder certains assureurs dans le secteur, alors que plusieurs se retirent des municipalités ou des zones plus à risque.
« Je pense que les Américains ont compris qu’en s’adaptant, ça coûte moins cher que de dédommager, relève Isabelle Thomas. Je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas avoir des programmes similaires partout au Canada. »
Ce texte s’inscrit dans une série de cinq articles consacrés à la résilience des habitations face aux changements climatiques. Pour lire les autres :