« Il y a un prix à payer pour résider au paradis », épilogue en entrevue avec le Portail de l’assurance Louise Houle, courtière en assurance de dommages originaire de Québec qui travaille en Floride, où elle assure exclusivement des maisons mobiles. Et ce prix, beaucoup de propriétaires québécois qui avaient pris le risque de ne pas s’assurer contre les ouragans, et dont la propriété a été fortement endommagée ou entièrement détruite par l’ouragan Ian le 28 septembre dernier, vont le payer très cher.
« La plupart vont subir une perte totale. C’est tellement affreux ce qu’a causé Ian. Quand tu as entre 8 et 10 pieds d’eau dans ta maison, tu n’as pas grand-chose à récupérer », se désole-t-elle. Les nombreux vidéos diffusés sur YouTube en témoignent. Tout n’est que ruines ou dommages semblables aux effets d’un énorme tsunami.
Crédits photos : Avant - Google Maps ; Après - L'Agence américaine d'observation océanique et atmosphérique
Un grand nombre de propriétaires vivant dans des zones sinistrées ne possédaient pas la couverture contre les ouragans. Même s’ils avaient eu la sagesse ou le portefeuille pour l’acquérir, la dépréciation risque de leur faire perdre beaucoup d’argent lors du règlement.
En outre, la reconstruction s’annonce extrêmement coûteuse pour les maisons mobiles, les résidences unifamiliales ou les condominiums en raison de la demande très élevée qui touche les entrepreneurs et les matériaux de construction après une catastrophe de cette ampleur.
Dans le passé, en Floride, des immeubles endommagés n’ont pu être rénovés faute de main-d’œuvre et ils ont fini par être condamnés. Après un ouragan, comme le vivront les victimes de Ian, il n’y a aucun marchandage possible des prix : les entrepreneurs n’ont que l’embarras du choix des clients.
Tout rebâtir pourrait être très long et prendre plusieurs années, mais selon Martin Rivard, courtier en assurance originaire de Shawinigan qui vit et travaille dans le Sunshine State, interrogé par le Portail de l’assurance, la plupart des gens voudront reconstruire exactement là où ils étaient établis, sans se préoccuper qu’un autre ouragan pourrait à nouveau frapper le même territoire dans le futur. En Floride, il n’est pas encore question de délocalisation à grande échelle des zones inondables.
Inaccessibles pour les évaluateurs d’assurance
Louise Houle se rappelle encore des dégâts immenses provoqués par Wilma en 2005, mais Ian en 2022 s’annonce encore plus dévastateur et pourrait représenter l’ouragan le plus destructeur qui ait jamais touché la Floride à ce jour. Sa trajectoire l’amenait vers la ville de Tampa, mais il a dévié et a rasé le secteur de Fort Myers et de Sanibel Island. Les vents ont dépassé par moments 150 mph et des vagues de 15 pieds ont été observées. Les dommages qu’il a provoqués en Floride uniquement sont sommairement évalués à 100 milliards de dollars américains (G$ US). Il a aussi fait au moins une centaine de victimes.
Deux semaines après son passage, des évaluateurs d’assurance n’avaient toujours pas accès à des zones sinistrées parce que l’eau ne s’était pas encore retirée ou que les secouristes y cherchaient toujours des cadavres, dit Louise Houle. Sa patronne possédait une propriété à temps partagé à Sanibel Island. Elle a été entièrement détruite et même le pont qui relie l’île au continent s’est effondré à quatre endroits. Martin Rivard a une cliente à Fort Myers qui avait refusé d’évacuer les lieux malgré les appels des autorités. Quand le toit de sa maison a été emporté par le vent, elle s’est couchée dans son bain et s’est recouverte d’un matelas afin de se protéger des débris et de l’eau.
Plusieurs motifs expliquent pourquoi des résidents étaient restés dans leur maison malgré l’arrivée annoncée de Ian et une description de sa puissance de niveau 4 : leur région avait toujours été épargnée par ce type de cataclysme à ce jour ; des évacuations de masse dans le passé s’étaient révélées inutiles parce que l’ouragan avait changé de trajectoire ; par manque d’argent ou de ressources pour aller provisoirement se loger dans une autre région ; ou encore par crainte des voleurs qui se livrent à des pillages dans les quartiers dévastés, dit Louise Houle, qui compte des clients québécois parmi les sinistrés.
Plusieurs faillites d’assureurs avant Ian
Cet énorme désastre naturel forme un autre coup dur pour l’industrie de l’assurance de dommages en Floride. Ces deux dernières années, avant le passage de Ian, de six à huit assureurs y avaient fait faillite en raison d’abus et de fraudes de réclamations, décrivent les deux courtiers originaires du Québec. Après de gros sinistres naturels, des évaluateurs indépendants se promènent dans les quartiers, offrent leurs services aux assurés et les encouragent à déclarer des dégâts non liés à l’événement pour des milliers de dollars additionnels, sans mentionner qu’ils toucheront une partie de ces indemnités.
En raison des indemnités très élevées qu’ils ont dû verser en raison de ces fraudes, plusieurs assureurs ont fait banqueroute, ce qui diminue l’offre de services et en vient à pénaliser les assurés, anciens et nouveaux. Martin Rivard possède son bureau à Boynton Beach, Rivard Insurance Agency, propriété du groupe Assured Partners. Près de 40 % de la clientèle de son bureau provient du Québec. Il se rappelle que dans le secteur de Boca Raton il y a dix ans, une vingtaine de compagnies pouvaient assurer une maison. Aujourd’hui, elles ne sont plus que quatre ou cinq. « Ça devient plus difficile de marchander et de trouver des primes intéressantes pour nos clients », dit-il.
Beaucoup de propriétaires n’auront d’autre choix que de se tourner vers Citizens Property Insurance Corporation (Citizens), créé par l’État de la Floride en 2002 à la suite d’un autre ouragan historique, Andrew, et qui représente l’ultime option pour les gens qui ne peuvent s’assurer au privé contre les ouragans.
Martin Rivard craint que l’impact des réclamations liées à Ian se fasse surtout sentir au niveau des réassureurs, qui avaient déjà commencé à hausser fortement leurs primes avant Ian. Il s’attend à une réaction de leur part et à des répercussions pour les assurés. Comme lui, Louise Houle croit que l’on assistera à de fortes augmentations des prix en raison des immenses dommages causés par l’ouragan. Quand les prix grimpent, les couvertures deviennent encore plus inabordables pour de petits propriétaires.
Des gens qui s’assurent de moins en moins contre les ouragans
Les deux courtiers avaient déjà observé ces dernières années une désaffection de la clientèle envers la protection contre les ouragans. « Il y a des gens qui ne me demandent plus que la responsabilité civile », constate Martin Rivard, alors que toutes les maisons situées en Floride sont sujettes à être lourdement endommagées ou détruites par des ouragans même si elles sont situées dans les terres ou en plein milieu de l’État, selon lui. Un ouragan de niveau 4 ou 5 peut s’étendre sur des dizaines de milles de largeur et personne, où qu’il vive, ne peut se croire à l’abri, fait-il valoir à ses clients.
Les motifs de renonciation sont nombreux : ma maison est située à 15 milles de l’océan ; il n’y a jamais eu d’ouragan ici en 20 ans ; les gens écoutent davantage les mauvais conseils autour d’une piscine que leur assureur de dommages ; ils la refusent par souci d’économie ou en raison des coûts élevés de cette couverture selon les régions de la Floride ou de la dépréciation importante lors d’une demande d’indemnité dans le cas des maisons mobiles. Même s’il met ses clients en garde contre le risque à ne pas prendre cette protection capitale en Floride, il n’y a rien à faire chez certains pour les faire changer d’avis, déplore Martin Rivard.
« On se bat contre des mentalités »
La prime va beaucoup baisser si on ne prend pas la protection contre les assurances, explique-t-il. Pour plusieurs, c’est un incitatif de plus pour y renoncer. « Les gens pensent qu’on essaie de leur vendre de l’assurance pour faire augmenter la facture. Je dis à mes clients que j’essaie de bien les informer et bien les conseiller, mais on se bat contre des mentalités, regrette Martin Rivard. Après le passage de l’ouragan, on reçoit des appels de reproches de gens qui nous disent qu’on aurait dû leur conseiller de contracter cette assurance. Nos dossiers montrent le contraire : ils ont refusé la couverture ». Il constate aussi que beaucoup de gens commettent l’erreur de sous-assurer leur condominium, qui eux aussi sont exposés aux éléments même s’ils se trouvent à des étages supérieurs.
Des propriétaires misent sur le programme d’indemnisations étatique Federal Emergency Management Agency (FEMA) pour recevoir des indemnités si leur maison est endommagée ou détruite par un ouragan. Mais ils oublient que FEMA a des règles strictes et qu’il ne dédommage qu’un certain pourcentage de la propriété. La facture que devront payer de leurs poches les gens partiellement indemnisés par FEMA sera lourde en raison du coût de reconstruction et du prix des matériaux. Elle le sera encore plus pour les Québécois et les Canadiens en raison de la force du dollar américain comparé au dollar canadien. Et ceux qui ne disposaient d’aucune assurance contre les ouragans devront repartir à zéro ou voir leur rêve floridien anéanti.
Dès qu’il est annoncé qu’un ouragan se dirige vers la Floride, des propriétaires de maisons mobiles appellent leur courtier en assurance pour leur demander de prendre la couverture. C’est trop tard, tout est gelé, dit Louise Houle.
Après le passage de Ian, Martin Rivard a reçu des appels de gens désireux de s’assurer contre les ouragans. C’est possible si leur maison unifamiliale n’a pas été endommagée. Mais une surprime leur est imposée si leur résidence ne disposait pas de cette couverture depuis des années et il existe un délai de 30 jours avant que le dossier soit en vigueur. Si un nouvel ouragan la détruisait durant cette période, ses propriétaires ne seraient pas indemnisés.
Des coûts d’assurance variables selon les régions
Dans le sud de la Floride, une couverture de sa maison mobile contre les ouragans peut coûter annuellement jusqu’à 3 000 dollars américains ($ US) et plus selon la valeur de la propriété, précise Louise Houle. C’est énorme pour de petits propriétaires.
À l’ouest et au nord, où beaucoup de Québécois ont choisi d’aller s’installer, la facture est bien moindre, un peu plus de 1 000 $ US, mais c’est suffisant pour que beaucoup de gens prennent le risque de s’en passer, se fiant à leurs voisins qui disent que leur secteur n’a jamais été touché par un ouragan. Pour une résidence unifamiliale ou un condominium de 300 000 $ US et plus, la facture d’assurance varie aussi beaucoup du nord au sud et selon qu’ils soient situés dans une zone à risque ou pas d’inondations.
Si les condos et propriétés unifamiliales peuvent être assurés à leur pleine valeur, ce n’est pas le cas pour les maisons mobiles. Il est impossible de les couvrir à 100 % même quand elles viennent tout juste de sortir de l’usine. Comme pour les automobiles, elles subissent une dépréciation immédiate. Et plus la maison est âgée, plus cette baisse de valeur augmente, selon des règles telles que l’année de construction, qu’appliquent les assureurs. Le maximum que l’on puisse assurer pour une maison mobile en Floride est de 200 000 $ US, voire de 250 000 $ US dans des cas rares. Cependant, celles qui ont été construites entre 1975 et 1990, les plus populaires, ne peuvent pas être assurées à plus de 50 000 $ US, même si elles ont été entièrement rénovées, précise Louise Houle.
Or, dans le marché immobilier haussier de ces dernières années, des maisons mobiles en Floride valent aujourd’hui 300 000-400 000 $ US et même plus selon leur emplacement. L’écart avec le maximum assurable est énorme. Et souvent, les gens qui possèdent une maison mobile ne sont pas propriétaires de leur terrain, contrairement à ceux qui possèdent une maison unifamiliale. En cas de destruction, les premiers perdent absolument tout. Alors, étant donné qu’ils ne pourraient pas être dédommagés à 100 % en cas de dévastation totale, beaucoup abandonnent ou écartent la couverture contre les ouragans. « Ils nous disent que c’est trop cher pour la couverture qu’ils ont », résume Louise Houle. Ils espèrent que Mère Nature les épargnera, jusqu’à ce que Ian ou une autre leur fasse amèrement regretter leur choix.
Ne pas prendre de chances
Quelles leçons va-t-on tirer de leçons de Ian ? « Les gens se pensent à l’épreuve de tout, mais nous ne le sommes pas, répond Martin Rivard. Si on m’avait dit il y a dix ans que New York et la Nouvelle-Écosse seraient touchés par des ouragans, je ne l’aurais pas cru. Alors, ce qu’il faut retenir de ce qui vient de se produire quand on possède une propriété en Floride, c’est de ne pas prendre de chances et de l’assurer correctement contre les ouragans. Je préfère voir un client prendre cette couverture avec une plus grosse franchise, de 5 000 $ US, 10 000 $ US, que de le voir ne pas s’assurer contre les ouragans avec une franchise plus basse. »