La classe moyenne, dans de nombreux marchés à travers le monde, est remplie d’aspirations. Or, plusieurs constatent aujourd’hui qu’il est de plus en plus difficile de les concrétiser. Selon les chercheurs d’Ipsos, cela s’explique en partie par l’effritement du contrat social sur lequel cette classe a longtemps fondé ses espoirs, soit que le travail acharné mène à l’ascension sociale. Cette promesse, disent-ils, ne tient plus. 

« Une crise se profile à l’horizon », affirme Oli Sweet, directeur de l’ethnographie chez Ipsos, lors du webinaire sur la classe moyenne organisé par l'organisation. 

D’un point de vue financier, les experts soulignent que les 10% les mieux rémunérés à l’échelle mondiale ont vu leurs revenus grimper en flèche depuis 1985. « La classe moyenne, elle, n’a pas connu une croissance comparable », observe Christie Moorman, première vice-présidente aux communautés en ligne chez Ipsos aux États-Unis. « Pour bien des personnes à revenu moyen, il devient difficile d’aspirer à une quelconque mobilité ascendante, et parfois même de conserver la stabilité financière qu’elles avaient autrefois dans la classe moyenne. » 

D’une paie à l’autre 

Aux États-Unis, ajoute Mme Moorman, la proportion d’Américains vivant dans un ménage de classe moyenne a chuté de 10% depuis 1971. Deux personnes sur trois vivent d’une paie à l’autre. « Cela vaut même pour certains ménages gagnant dans les six chiffres », précise-t-elle. À peine 36% croient que leurs enfants atteindront un niveau de vie supérieur au leur. 

Cela dit, même si les règles sociales sont en train de changer, Christie Moorman souligne que l’essence morale associée à la classe moyenne — c’est-à-dire le mérite obtenu par le travail et la détermination — demeure bien vivante. Ce concept est cependant soumis à de fortes pressions. « Aujourd’hui, il s’agit de plus en plus de s’accrocher, de tenter de préserver ce qu’on possède », explique-t-elle. « Il est crucial, lorsqu’on s’adresse à la classe moyenne, de reconnaître les défis qu’elle traverse, et de refléter ses valeurs. » 

Les chercheurs ont ainsi identifié cinq grandes règles sociales qui semblent encadrer le comportement des classes moyennes à l’échelle mondiale. 

Les règles sociales comprennent : 

1. La règle du travail : le postulat selon lequel le travail devrait mener à la mobilité sociale. 

2. Les règles de consommation : la manière de dépenser son argent en dit long sur la personnalité. « Cette perception varie d’un marché à l’autre », note Oli Sweet. « Le Royaume-Uni et le Canada partagent une approche similaire fondée sur la frugalité et la modestie. Cette tendance à la parcimonie peut même devenir un facteur de distinction, où l’on aime démontrer qu’on n’a pas trop dépensé. » 

3. La règle de l’apparence : il faut avoir une apparence soignée, voire élégante, mais jamais ostentatoire. Maya Ilic, vice-présidente à l’innovation au sein des communautés mondiales, souligne que, au Canada, les démonstrations de richesse discrètes et minimalistes sont valorisées. 

4. Les règles du soin : la manière dont on prend soin des personnes à charge, qu’il s’agisse d’enfants ou de personnes âgées. Le Canada se distingue ici comme un pays où une grande part des soins est confiée à des services externes, comparativement à d’autres régions du monde. 

5. La règle de la récompense de l’effort : la croyance selon laquelle les institutions devraient récompenser les efforts à leur juste mesure. 

« Dans des pays comme la Chine, le Japon ou le Brésil, on observe encore un lien fort entre le travail acharné et le progrès collectif ou générationnel. À l’autre extrême, en France ou en Espagne, plusieurs croient que le système ne récompense plus les gens comme eux, ce qui reflète une certaine méfiance, voire un sentiment de trahison institutionnelle », explique Maya Ilic. « Deux éléments influencent ces perceptions : la croissance économique et le niveau d’emploi. Lorsque ceux-ci sont élevés, la foi dans le contrat effort-récompense est généralement plus forte. » 

Un recul de la mobilité sociale 

Différents facteurs sociaux, politiques et économiques viennent aujourd’hui bousculer ces règles, notamment le manque de mobilité sociale, la hausse du coût de la vie, le transfert de richesse entre générations, les crises du logement et la montée des gouvernements populistes. 

« Lorsque nous observons la règle du travail comme fondement de l’ensemble, on constate que l’effort est de plus en plus tenu pour acquis, dit Oli Sweet. La stagnation des salaires fait en sorte que les membres de la classe moyenne doivent travailler encore plus fort simplement pour maintenir leur niveau de vie. » 

Nanzala Mwaura, chef de la croissance chez Ipsos pour l’Afrique subsaharienne, avertit également qu’un nouveau groupe de clients émergera bientôt : un groupe qui, pour la première fois, aura moins que ses parents. « Il faut s’y préparer », dit-elle.