Le projet de loi C-64 visant à créer un régime national d’assurance médicaments au Canada continue de cheminer à Ottawa. Il est parvenu au stade de la deuxième lecture. Lors d’un récent débat aux Communes, il a été très peu question des assureurs privés et de leur exclusion du futur programme qui se veut à payeur unique.

Dans son récent budget, la ministre fédérale des Finances, Chrystia Freeland, a annoncé qu’une somme de 1,5 milliard de dollars sur cinq ans était allouée à ce futur régime d’assurance médicaments. Lors de sa première phase, le gouvernement fédéral paiera les coûts de contraception et les médicaments pour traiter le diabète. 

Prochaines étapes 

Quand le projet de loi aura franchi la deuxième lecture, il sera soumis au Comité sur la santé, où des groupes pourront exprimer leur point de vue. Cette deuxième étape fera l’objet d’un rapport, puis le projet de loi retournera à la Chambre des communes pour adoption. Par la suite, il sera envoyé au Sénat pour y recevoir l’aval des sénateurs, qui ne seront pas liés par le vote des députés.

S’il survit à ce long processus, des négociations vont débuter avec les provinces pour l’implanter dans tout le pays, une autre phase qui pourrait prendre des mois. Le Québec, qui dispose d’un régime mixte public-privé, a déjà dit qu’il était disposé à encaisser l’argent fédéral, mais sans conditions.

Pourquoi la contraception et le diabète ?

Pourquoi avoir privilégié la contraception et les médicaments pour le diabète en premier ? Les Libéraux de Justin Trudeau l’ont expliqué à la Chambre des communes. 

« Il faut commencer quelque part. Le diabète touche un grand nombre de personnes, a dit le député Chandra Arya. Environ 9 millions de personnes au Canada ont accès à la couverture pour les contraceptifs et 3,7 millions pour le traitement du diabète ». 

« La personne qui n’a pas accès à ses médicaments contre le diabète risque la crise cardiaque, l’accident vasculaire cérébral, l’insuffisance rénale, la cécité et l’amputation, a renchéri le ministre fédéral de la Santé, Mark Holland (…) Les contraceptifs oraux coûtent 25 dollars par mois et ont un taux d’échec de 9 %. Le stérilet coûte environ 500 dollars, dure cinq ans et a un taux d’échec de 0,2 %. Une personne qui n’a pas d’argent finit donc par choisir la méthode contraceptive la moins chère, qui a un taux d’échec de 9 % ». 

En Chambre, un député libéral a laissé entendre que la phase 2 couvrirait les médicaments pour le cœur. 

L’allié des Libéraux dans ce dossier, le Nouveau Parti démocratique (NPD), est persuadé que la mise en place de ce régime national fera baisser le coût des médicaments. 

« Avec un régime universel, nous pouvons dicter aux compagnies pharmaceutiques les prix que nous allons payer, a soutenu le député néo-démocrate Peter Julian. C’est grâce à la pratique exemplaire de l’achat en vrac que la Nouvelle-Zélande a réduit le coût de certains médicaments de 90 % ». 

Le rôle des assureurs peu considéré  

Lors de ces échanges aux Communes le 16 avril, il a été peu question de la contribution des assureurs privés dans le paiement des médicaments. Libéraux et Néo-démocrates ont passé leur rôle sous silence. Peu d’élus se sont inquiétés de l’effet qu’aurait leur disparition sur la couverture des médicaments payés à leurs assurés. Les mentions à propos des compagnies d’assurance sont venues des rangs des Conservateurs de Pierre Poilièvre

« Plus de 27 millions de Canadiens profitent de régimes privés offerts par leur employeur, s’est insurgé leur député Todd Doherty. J’ai parlé à des assureurs qui n’ont aucune idée de la manière dont ce régime d’assurance médicaments fonctionnerait. Devront-ils supprimer complètement leurs régimes ? Qu’adviendra-t-il des 27 millions de Canadiens qui bénéficient déjà d’un régime ? » 

« lls pousseront ceux qui ont déjà accès à des soins auxquels ils tiennent vers des programmes qui couvriront beaucoup moins de médicaments, s’est indigné son collègue conservateur Stephen Ellis, lui-même médecin de famille. Les choix des Canadiens s’en trouveront donc réduits. Qu’est-ce qui incitera les employeurs à continuer d’offrir à l’avenir des régimes à leurs employés qui travaillent dur si un régime fédéral ne couvrant que quelques vieux médicaments est offert “gratuitement” aux frais de tous les Canadiens ? » 

Le ministre de la Santé n’a pas réagi, ni apporté d’éclaircissement à ces propos. Dans un message transmis au Portail de l’assurance en réponse à nos questions, son ministère s’en est tenu à des considérations générales à propos du rôle des assureurs privés. 

« Le projet de loi ne fait pas référence à l’assurance médicaments privée et ne légifère aucune de ses activités (…) Tant que des accords n’auront pas été conclus avec les provinces et les territoires, il est peu probable que les employeurs et les employés veuillent apporter des changements à leurs régimes d’assurance médicaments ». 

 « Les Canadiennes et Canadiens qui ont une assurance médicaments privée seraient également couverts pour une gamme plus vaste de catégories de médicaments, au-delà des contraceptifs et des médicaments contre le diabète décrits dans le projet de loi », soutient la communication.

Combien de médicaments seront couverts ? 

Le projet de loi prévoit que l’Agence canadienne des médicaments travaillera à l’élaboration d’une liste nationale des médicaments assurés au plus tard un an après la sanction de la loi et qu’elle aura aussi pour mandat d’établir une stratégie nationale d’achat en gros. 

Le Bloc québécois dit ne pas être opposé à un régime fédéral d’assurance médicaments, mais il s’inquiète de son impact sur le régime québécois administré par la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ). 

« Combien de médicaments seront couverts par l’assurance médicaments nationale publique avec un seul payeur universel, s’est inquiété le député bloquiste Luc Thériault, en rappelant que la liste québécoise contenait 8000 médicaments. Est-ce qu’on va prendre la liste québécoise ? Est-ce qu’on va devoir retirer des médicaments de la liste québécoise ? Est-ce que l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux va être mis de côté ou va-t-il pouvoir continuer à faire son bon travail ? »

Le député Stephen Ellis a rappelé que l’Ozempic, médicament phare du traitement du diabète, ne figure pas dans la première liste de médicaments assurés du futur régime national pour traiter cette maladie. 

« ll n’y a là rien de surprenant, a-t-il commenté. L’autre difficulté dont les Canadiens sont également très conscients est que les médicaments les plus récents, une classe de médicaments appelés “biologiques”, qui représentent 2 % des demandes de remboursement, comptent désormais pour 30 % des dépenses. Bien entendu, aucun de ces médicaments biologiques ne figure sur les formulaires fantaisistes proposés par la coalition néo-démocrate-libérale ». 

Le plan proposé par les pharmaciens québécois 

L’Association québécoise des pharmaciens propriétaires (AQPP), qui se dit préoccupée par le projet de loi C-64, propose une solution en trois points dont fait partie le privé. Elle a l’intention de le faire valoir en comité à Ottawa. 

  1. Un formulaire national, qui pourrait comprendre une liste de médicaments essentiels auxquels tous les Canadiens doivent avoir accès par l’entremise de régimes publics ou privés. 
  2. Un soutien financier aux provinces afin qu’elles puissent fournir tous les médicaments inscrits sur la liste nationale des médicaments assurés par l’entremise de leurs régimes publics. 
  3. Une collaboration des régimes publics et privés pour s’assurer que les Canadiens peuvent bénéficier de prix plus bas sur les médicaments.