Alors que les événements climatiques extrêmes se multiplient, les experts de l’industrie de la construction, de l’assurance et de la gestion de sinistres s’interrogent sur les façons de bâtir et de reconstruire autrement.
Durant la conférence Reconstruction : changer nos façons de faire s’impose, qui s’est tenue lors de la Journée de l’assurance de dommages, organisée le 2 avril dernier au Palais des congrès de Montréal par les Éditions du Journal de l’assurance, des pistes concrètes ont été évoquées pour améliorer la capacité des bâtiments à faire face aux aléas.
Repenser les matériaux
Le point de départ de la discussion : le sous-sol. Marco Lasalle, directeur principal des services techniques et de la qualification pour l’Association des professionnels de la construction et de l’habitation du Québec (APCHQ), souligne que cette configuration architecturale typiquement nord-américaine pourrait ne plus être adaptée aux réalités climatiques actuelles. Mais plutôt que de les interdire totalement, il propose de revoir leur conception et leur aménagement.
« Ce n’est pas normal d’aménager un sous-sol comme un rez-de-chaussée », affirme-t-il. L’utilisation des mêmes matériaux, comme les plinthes en panneau de fibres à densité moyenne (MDF) ou les planchers flottants, entraîne des dommages importants en cas d’infiltration.
Selon M. Lasalle, il est temps d’adopter des matériaux imputrescibles qui ne se détériorent pas au contact de l’eau, aussi bien dans les sous-sols que le reste des habitations.
En collaboration avec l’Université Laval, l’APCHQ a travaillé sur le concept du « mur parfait », inspiré du perfect wall du Dr Joseph Lstiburek, soit un mur entièrement isolé par l’extérieur, qui protège les tuyaux du froid et qui limite les dégâts à l’intérieur de la maison.
Plusieurs autres pistes ont été évoquées : installer des cheminées d’accès aux drains, prévoir un système de drainage par gravité avec un plan de contournement si le réseau municipal est surchargé, ou encore utiliser des matériaux plus résistants dans les zones à risque.
Une industrie en mutation, mais encore trop cloisonnée
Forte de trois décennies d’expérience en règlement de sinistres, Suzie Godmer, experte en sinistre au sein du cabinet Authentik, pointe du doigt la difficulté d’intégrer des matériaux résilients après un sinistre. « Pour un assuré, un sinistre n’est jamais prévu, ni dans son agenda ni dans son portefeuille », rappelle-t-elle.
Ces options ne sont pas toujours proposées aux clients, notamment parce que chaque acteur de la chaîne du sinistre travaille en silo.
Ainsi, une meilleure coordination entre eux est nécessaire. « La communication sera la clé, parce que si on souhaite aller vers des matériaux plus résilients, il faudra que les assureurs en souscription, les experts en sinistre, mais aussi ceux qui sont sur le terrain dans l’après-sinistre et dans la reconstruction fassent partie des discussions communes », dit-elle.
Patrick Décarie, vice-président régional, centre de contact en assurance de dommages pour le Québec, chez Co-operators, abonde. Il souligne que la hausse des réclamations liées aux événements climatiques oblige l’industrie à revoir ses pratiques.
Chez Co-operators, une initiative appelée Sécur-Futur permet aux assurés d’opter pour des réparations plus résilientes, comme l’installation d’un toit plus robuste après un événement de grêle. « C’est bon pour le client, bon pour l’environnement et bon pour nous », soutient-il.
Cet avenant offert gratuitement s’autofinance avec les économies effectuées en réparant plutôt qu’en remplaçant et par le fait que ces réparations, plus résilientes, évitent des réclamations futures, souligne M. Décarie.
Réparer au lieu de remplacer : un virage nécessaire
Selon un sondage réalisé par Co-operators, 63 % des Canadiens préfèrent réparer que remplacer, mais 23 % ignorent qu’ils peuvent le faire dans le cadre d’une réclamation. Cette méconnaissance engendre des décisions coûteuses, tant sur le plan financier qu’environnemental.
L’industrie de l’assurance est aussi à l’origine de nombreux déchets, comme l’a révélé une étude menée par l’assureur. Mais le défi est réel. Les entrepreneurs spécialisés en résilience sont rares, notamment au Québec. « Il faut développer l’offre pour qu’elle devienne la norme », estime Patrick Décarie.
Un besoin criant d’éducation
Tous les panélistes s’accordent sur un point : l’éducation est cruciale. Tant pour les assurés, les entrepreneurs que les courtiers. « Beaucoup de gens ne savent même pas comment leur maison est construite, déplore Suzie Godmer. Ils ne savent pas par où l’eau rentre. »
Elle raconte que certains assurés ignorent l’existence de leur clapet antirefoulement ou ne l’entretiennent pas. « Or, c’est la première chose que les municipalités demandent lors d’une réclamation », note-t-elle. Une meilleure éducation permettrait également de prévenir les réclamations répétées pour les mêmes causes, comme cela a été observé lors des inondations de 2017, 2019 et 2024.
Un rôle clé pour les courtiers et les agents
Les courtiers et les agents ont aussi un rôle à jouer pour mieux guider les assurés. « Il est déjà arrivé qu’on visite des maisons sinistrées d’à peu près 700 ou 800 000 dollars, qui ont une couverture de 20 000 $ pour un refoulement d’égout au sous-sol, raconte Mme Godmer. Les gens tombent sur le dos ; ils s’attendaient que ça passe sur la couverture du bâtiment. Donc je pense qu’avant de conseiller les gens sur le montant de couverture qu’ils devraient prendre, on devrait s’informer sur ce qu’ils ont dans leur sous-sol. »
Patrick Décarie souligne pour sa part l’importance de valoriser le rôle-conseil des professionnels en assurance. « Ce ne sont pas de simples preneurs de commandes. Ils protègent le patrimoine des assurés, ce qui est probablement le plus important pour eux », note-t-il.
En visitant les lieux lors d’une réclamation, les professionnels de l’assurance pourraient déjà relever d’autres risques et les communiquer au client pour prévenir de futurs sinistres. « Comme expert en sinistre, on est déjà sur les lieux. Même si c’est pour un autre événement qu’un dégât d’eau, pourquoi on n’en profiterait pas pour observer comment le sous-sol est fait pour revoir les risques avec le souscripteur ? », réfléchit Suzie Godmer.
« On communique les dommages qu’on voit sur le bâtiment, mais de là à agir en prévention d’un sinistre, ça ne se fait pas actuellement, poursuit-elle. Mais comme on est déjà sur les lieux, moi je pense que ça serait une bonne opportunité de le faire. »
Vers une certification de la maison résiliente ?
L’idée d’un certificat pour les habitations résilientes a aussi été évoquée. Une telle certification pourrait aider les assureurs à mieux évaluer les risques et à offrir des primes plus justes. « Dans l’automobile, la majorité des assureurs offrent un rabais quand il y a un système de prévention contre le vol. Peut-être que dans l’habitation, on pourrait avoir ce genre de système avec les détecteurs d’eau », croit Patrick Décarie, qui y voit un potentiel incitatif important.
Dans la même veine, Marco Lasalle mentionne les travaux du gouvernement québécois sur la qualité de la construction. Le projet de loi 76 prévoit que chaque chantier fasse l’objet d’au moins trois inspections, une mesure saluée par l’APCHQ.
« Dans le fond, quand ça coule dans une maison, à quel endroit ça coule ? Entre deux corps de métier. Et ça, c’est la job de l’entrepreneur général, entre deux entrepreneurs spécialisés. C’est lui le chef d’orchestre », illustre le directeur.
Une responsabilité partagée
Le message est clair : la résilience doit être une responsabilité partagée : les citoyens doivent s’éduquer, les entrepreneurs doivent s’adapter, les assureurs doivent accompagner. Et entre eux, tous doivent communiquer.
Tous s’accordent à dire que les mentalités évoluent, mais lentement. La formation obligatoire des entrepreneurs est un pas dans la bonne direction, tout comme les efforts conjoints de l’APCHQ, d’Architecture sans frontières (ASF) et d’autres partenaires.
« Jadis, naguère, autrefois, un entrepreneur qui avait obtenu sa licence en 1975 n’était pas obligé de suivre de formation, tant qu’il avait sa licence. Et pourtant, au niveau des codes du bâtiment, il y a de nouveaux cycles aux cinq ans. Aujourd’hui, c’est 16 heures de formation continue aux deux ans. C’est peu, mais on commence quelque part », reconnaît Marco Lasalle.