Le marché de l'assurance des résidences de luxe au Québec se porte bien, même si la récession l'a légèrement affecté. Le nombre des fortunes au Québec a connu une importante hausse au cours des 30 dernières années, ce qui a ouvert la porte d'un nouveau marché aux courtiers du Québec.Peu d'assureurs sont présents dans le marché des résidences valant plus d'un million de dollars (M$) au Québec. Le Journal de l'assurance en a recensé trois : Chubb, La Garantie et Chartis. Lloyd's en fait aussi, mais à moins grande échelle. Les assureurs généralistes se limitent généralement aux maisons valant moins de 1 M$.
« Il a toujours existé des gens riches et célèbres, mais les standards ont augmenté, fait remarquer Daniel Binette vice-président exploitation Québec et Maritimes du courtier BFL Canada. Chaque assureur se met des limites, mais il est maintenant commun de voir une maison valant de 300 000 $ à 400 000 $ de nos jours au Québec. Quant aux maisons valant 1 M$ et plus, il n'y a pas beaucoup d'assureurs qui sont prêts à prendre ce genre de risques. »
L'assurance habitation haut de gamme est le seul segment où BFL Canada est présent en assurance des particuliers. Le courtier y a créé un programme VIP pour accommoder ses clients en assurance aux entreprises.
M. Binette ajoute que ce marché ne se limite pas uniquement à Westmount, contrairement à la croyance populaire. On retrouve des résidences de luxe partout au Québec. Il souligne d'ailleurs qu'il y en a de plus en plus dans les environs de Mont-Tremblant.
« Il y a plusieurs fortunes familiales au Québec, soutient Michel Brosseau, président du cabinet Assurances Michel Brosseau. Avant, elles étaient toutes à Westmount. Elles se sont ensuite propagées à Outremont, sur la Rive-Sud de Montréal, à Laval, à Trois-Rivières et à Québec. Il y en a aussi beaucoup en Beauce. On compte aussi de nombreux chalets de haute valeur dans les Laurentides. Beaucoup de fortunes se sont amassées au Québec au cours des 30 dernières années. Ces personnes se sont ainsi construit des résidences à la hauteur de leur statut », dit M. Brosseau.
Guy Bonin, vice-président de l'assurance des particuliers au Québec de La Garantie, apporte toutefois une nuance. La hausse du nombre de résidences de haute valeur construites au Québec ne va pas de pair avec la croissance du bassin de clients VIP.
« La valeur du bâtiment est une chose. Le profil de la clientèle est autre chose. On voit de plus en plus de jeunes professionnels faire de très bons revenus. Ça n'en fait pas nécessairement une clientèle VIP. La prime n'est pas le premier critère du client VIP. Il veut la paix d'esprit et désire qu'on s'occupe de lui de façon royale. Le nombre de clients VIP n'a pas varié beaucoup, car les fortunes n'ont pas bougé beaucoup », dit-il.
M. Bonin note aussi que la récession a fait perdre quelques plumes à cette clientèle, comme à tout le monde. Il estime ainsi à environ 20 000 à 30 000 personnes le nombre de clients fortunés au Québec.
« Contrairement à ce que l'on peut penser, ils se connaissent et se parlent, que ce soit lors de conseils d'administration ou d'activités afférentes à leurs activités courantes. Ils se parlent aussi d'assurance. Les voisins de cour sur la montagne à Westmount ont des discussions sur leurs assurances le samedi après-midi », dit-il.
Michel Brosseau fait affaires dans ce segment avec l'assureur Chartis principalement. Il affirme que ce marché est en progression. Il dit aussi avoir observé plusieurs assureurs tenter de pénétrer le marché des résidences de luxe, sans toutefois réussir. Deux raisons l'expliquent : leur manque de réserves financières et la méconnaissance de cette clientèle.
« Ces gens ont souvent une résidence qui vaut 5 M$, mais ont aussi des résidences secondaires d'égale valeur en Europe ou aux États-Unis. Ils sont aussi des collectionneurs de peintures ou encore de sculptures », dit-il.
Il ajoute que, pour traiter avec cette clientèle, les assureurs doivent créer des accommodements dans le mot-à-mot de la police. Le plus bel exemple a trait à l'obligation de remplacer sans remplacer. Si la collection de toiles du client passe au feu, il ne pourra pas la remplacer. L'assureur doit donc s'engager à lui remettre un montant d'égale valeur », explique M. Brosseau.
Plusieurs courtiers peuvent desservir les clients VIP, affirme M. Bonin. Il estime leur nombre à environ 70 au Québec.
La plupart des polices des résidences de haute valeur sont liées à des comptes commerciaux. C'est le cas à La Garantie, où 75 % des contrats sont liés à un contrat en assurance des entreprises.
« Les clients VIP font confiance à leur courtier et ne seront pas attirés par toutes sortes de publicités. Ils sont inondés de pourriels et ne veulent même pas les regarder. Il y a aussi beaucoup de bouche à oreille. Pour un assureur qui se lance dans ce marché, c'est difficile. Ça peut prendre de cinq à dix ans avant de s'y implanter. Il faut être extrêmement patient », dit-il.
Chubb est présent dans ce segment depuis 50 ans. « Il faut avoir des gens spécialisés pour y réussir. Il faut bien comprendre les besoins spécifiques de cette clientèle. Chaque résidence a son caractère unique. Il faut donc former nos employés pour qu'ils puissent le reconnaitre. Ils doivent aussi être en mesure de distinguer les petites touches des collections diverses des clients, qui peuvent influencer la valeur de leurs résidences », dit Cinzia Vittorio, vice-présidente adjointe et directrice du département de l'assurance des particuliers chez Chubb.
Critères de souscription élevés
Les critères de souscription seront aussi plus élevés, dit M. Bonin. « Ce qu'on recherche comme client, c'est quelqu'un d'établi, qui est connu, qui a une bonne réputation et qui ne compte pas sur l'assureur pour faire l'entretien de sa toiture. Ce n'est pas un gagnant à la loterie! De son côté, il recherche un assureur qui va reconnaitre son style de vie. Il s'attend à ce qu'on ne pose pas toutes sortes de questions parce qu'il possède 38 paires de chaussures », dit-il.
Pour un assureur, deux éléments clés sont déterminants dans ce marché pour y réussir, souligne M. Bonin. Tout d'abord, bien évaluer la valeur de reconstruction. « On offre le cout de remplacement garanti. On fait ainsi l'évaluation des résidences. Le client n'est pas pénalisé si on se trompe. On doit collecter le juste prix. Le portefeuille doit donc être évalué de la bonne façon. On le traite comme un compte en assurance aux entreprises. Ça donne aussi un revenu stable au courtier et lui permet de solidifier sa relation avec son client », dit-il.
Deuxième élément clé : compter un bon service de réclamation et un bon service après-vente. « Tout le monde peut présenter un beau bout de papier. Toutefois, on voit des assureurs non spécialistes s'y essayer, en diminuant les prix. La prime n'est pas chère, mais lors de la réclamation, le processus est plus difficile pour le client, car cet assureur ne reconnait pas son style de vie. Il faut parfois être capable de supporter une perte unique de 4 M$. C'est une clientèle qui ne donne pas grand chance à l'erreur. Il faut livrer la marchandise », dit M. Bonin.
Michel Brosseau souligne que le service de réclamation est ce qui fait toute la différence auprès du propriétaire d'une résidence de luxe. « Ce sont souvent des hommes d'affaires ou des héritiers de fortunes importantes. Ils ne veulent pas se faire poser 25 000 questions ou subir une enquête approfondie sur leurs états financiers. L'assureur doit donc poser le moins de questions possibles lors d'une réclamation, en autant qu'elle soit justifiée », dit-il.
Daniel Binette, de BFL Canada, abonde dans le même sens. Il ajoute que la qualité du service doit aussi être au rendez-vous pour le courtier. « Nous n'avons pas le droit à l'erreur. Ça prend des gens qui sont d'une diplomatie extraordinaire. Ces clients ont besoin de sentir qu'ils sont importants. Ils ont parfois des demandes plus farfelues, mais il faut être capable d'y répondre. Ils peuvent acheter une voiture de luxe et avoir besoin du contrat le lendemain pour la conduire. Ils peuvent aussi acquérir quelque chose de grande valeur, mais on le sait seulement une semaine plus tard », relate-t-il.
Cinzia Vittorio, de Chubb, ajoute que les propriétaires des résidences de luxe sont des gens qui sont bien informés. « Ils tirent une grande fierté de leur propriété et de leurs collections. Ça change beaucoup la façon dont on doit souscrire le risque », dit-elle.
Michel Brosseau confirme aussi qu'il s'agit d'une clientèle bien informée. « Ils connaissent le mot-à-mot du contrat d'assurance. Il ne faut pas oublier non plus qu'une assurance pour une résidence de luxe couvre aussi les bris d'équipement domestiques. Ainsi, si le système d'air climatisé brise, on donne la valeur au client pour qu'il le remplace. La protection contre l'incendie est aussi très importante. Ils comprennent bien leur contrat et on n'a pas de vente à leur faire », dit-il.
Habitudes de vie différentes
Les habitudes de consommation de cette clientèle sont différentes du consommateur régulier. « Ce ne sont pas des gens qui magasinent énormément leurs courtiers. On essaie de penser à tout pour eux », dit Pina Kouvino, directrice VIP et assurances des particuliers chez BFL Canada.
L'inspection de la résidence est aussi fort différente pour établir le prix de la prime. « On s'engage ainsi à aller visiter toutes les résidences, et ce, peu importe leur valeur. On ne peut pas souscrire le risque dans Compu-Quote. Il faut aussi comprendre qu'un portefeuille VIP peut aussi comprendre la résidence secondaire et celle de l'homme de service. On inspecte tout, allant de la résidence au boat house. Si nous avons bien établi la valeur, nous n'aurons pas de problèmes lors d'une réclamation. Toutefois, si on se trompe, c'est nous qui devons porter le fardeau financier, car nous garantissons la valeur à neuf », dit Mme Kouvino.
En plus de l'inspection, une évaluation de la résidence est aussi faite pour s'assurer que tout soit conforme. « Le client reçoit un cartable qui indique tous les détails de l'inspection et de l'évaluation. On y fait aussi des recommandations », dit M. Binette.
Plusieurs éléments sont intégrés dans l'inspection. « On n'inclut pas uniquement le prix des matériaux. Il faut aussi intégrer le cout du designer. Il peut venir de l'Europe dans certains cas. Pour certaines boiseries, il n'y a qu'un seul spécialiste au Canada capable de les refaire. Il faut donc prévoir son salaire dans le cas d'une éventuelle reconstruction », souligne Mme Kouvino.
L'inspection d'une résidence de luxe ne ressemble ainsi en rien à l'inspection d'une maison standard, ajoute M. Binette. « On doit bien considérer le risque d'incendie et le risque de vol dans la résidence. Il faut regarder s'il y a des fils « posés tous croches » par exemple. Au bout du compte, on fait son risque de responsabilité civile », souligne-t-il.