À la demande du Bureau d’assurance du Canada (BAC), le cabinet d’avocats Dentons vient de produire un rapport dans lequel on constate que les coûts de réclamation en responsabilité civile sont en hausse en raison de la judiciarisation des litiges. 

« Au Canada, le financement de litiges demeure un marché financier spéculatif en grande partie non réglementé, souligne Liam McGuinty, vice-président, stratégie du BAC. Si rien n’est fait, cette situation pourrait influencer davantage le marché canadien de l’assurance de dommages d’entreprise et faire grimper le coût de l’assurance d’entreprise. » 

Dentons a étudié les tendances émergentes nord-américaines dans les cabinets juridiques pour déterminer ce qui met sous pression les réclamations d’assurance aux entreprises. La Chambre de commerce des États-Unis a estimé le coût des poursuites judiciaires à 2,1 % du produit intérieur brut (PIB) du pays, soit 3 600 $ US pour chaque ménage. 

Dans son rapport, intitulé Nouvelles tendances en matière de responsabilité civile des entreprises dans le marché de l'assurance du Canada, Dentons note trois tendances qui contribuent à l’inflation sociale aux États-Unis et sont désormais perceptibles au Canada. 

On souligne notamment qu’en 2016 aux États-Unis, le coût total des indemnités versées dans le cadre d’actions collectives s’élevait à 429 milliards de dollars (G$), dont 250 G$ (soit 58 % des indemnités) pour la responsabilité civile générale des entreprises. 

Actions collectives en hausse 

Même si la pression est moins forte qu’aux États-Unis, on constate que le nombre d’actions collectives a grimpé en flèche au Canada durant la dernière décennie. On cite des litiges contre des sociétés pharmaceutiques en lien avec la crise des opioïdes et contre des fabricants de « polluants éternels », les perfluoroalkylés et polyfluoroalkylés (PFA), qui contaminent les sources d’eau potable. 

Cette première tendance est notamment attribuable à l’expertise grandissante des avocats canadiens des demandeurs. Les auteurs du rapport soulignent aussi que les gouvernements canalisent les ressources pour gérer les questions de santé publique au moyen d’actions collectives. 

Au Canada, le seuil requis pour la certification d’une action collective est généralement plus bas que devant les tribunaux américains, ce qui explique une moindre prévalence des actions en responsabilité délictuelle de masse. Par contre, l’Ontario a modifié sa législation afin de rendre la certification plus contraignante, ce qui ouvre la porte aux litiges de masse dans cette province. 

Publicité des litiges 

Les auteurs du rapport expliquent cela par la multiplication des campagnes publicitaires qui encouragent les gens à se joindre à une poursuite. L’Association du Barreau canadien indique qu’au cours des 30 dernières années, la publicité à caractère juridique a connu une croissance importante. Des décisions disciplinaires récentes ont été rendues à l’encontre d’avocats pour violation de la réglementation relative à la promotion de services juridiques. 

« Ce sont les consommateurs d’assurance qui, ultimement, paient la facture des abus juridiques », déclare M. McGuinty. « Il est important de disposer d’un cadre juridique qui traite des délits civils et offre des recours aux personnes qui ont été lésées par les actions d’autrui. » 

Financement par des tiers 

Selon Dentons, il importe que les gouvernements imposent des mesures réglementaires pour restreindre le financement des litiges par des tiers, car « cette pratique est détournée de sa finalité initiale, à savoir l’accès à la justice ». Les sociétés de financement s’appuient sur le système judiciaire pour générer des profits, soulignent les auteurs du rapport.

Pendant près de deux siècles, les règles de droit commun applicables dans les provinces hors Québec interdisaient le financement de litiges. Le financement de litiges est de plus en plus courant dans les causes d’arbitrage, les procédures d’insolvabilité, les procédures destinées à faire respecter les droits de propriété intellectuelle, les différends dans le secteur de la construction ou les différends commerciaux entre les entreprises, l’exécution des jugements, etc. 

« Les sociétés de financement facturent des intérêts et des frais sur les montants avancés, ce qui incite les demandeurs à réclamer des indemnités plus élevées afin de compenser le remboursement dû à la société de financement, ainsi que les honoraires de leurs avocats. Il en résulte un cercle vicieux qui exerce progressivement une pression à la hausse sur les dommages-intérêts réclamés et les montants accordés dans le cadre des litiges », écrivent les auteurs. 

Dentons fait observer que le Canada n’a pas connu le même type de progression des dommages-intérêts qu’aux États-Unis. Les auteurs du rapport disent ne pas s’attendre à ce que les verdicts nucléaires (plus de 10 millions $) ou thermonucléaires (plus de 100 millions $) se généralisent à un niveau comparable au cours des cinq prochaines années. 

Mauvaise foi 

Les dommages-intérêts pour mauvaise foi au Canada ne représentent généralement qu’une fraction de ce qu’ils sont aux États-Unis. La plus importante condamnation à des dommages punitifs de l’histoire du Canada a été de 1,5 million $. Elle a été accordée en 2023 par la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt Baker c. Blue Cross Life Insurance Company of Canada

« Au Canada, un assureur peut être considéré comme ayant agi de mauvaise foi s’il ne donne pas de raison pour refuser une demande d’indemnité, s’il ne fait pas une enquête exhaustive sur une demande, s’il retarde les paiements sans raison légale ou s’il fait de fausses déclarations à l’assuré. Ces plaintes sont plus difficiles à établir au Canada », ajoutent les experts de Dentons.