Le 18 septembre dernier, la sanction de cinq années de radiation temporaire, imposée à Pascale Cauchi par le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière, a été suspendue par le juge Daniel Bourgeois, de la division administrative et d’appel de la Cour du Québec. Comme nous l’avions rapporté le 23 septembre dernier, le tribunal suspend l’exécution de la sanction, le temps d’entendre les appels de la représentante sur les trois décisions rendues à son endroit par le comité.
Mme Cauchi porte en appel trois décisions du comité, soit :
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La décision interlocutoire du 15 décembre 2017, où son procureur demandait l’arrêt des procédures;
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la décision sur culpabilité du 7 octobre 2019, où elle a été déclarée coupable sur les 15 chefs de la plainte disciplinaire;
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la décision sur sanction du 29 juin 2020, où on lui a imposé une période de radiation globale de 5 ans.
Le texte de la décision rendue par le juge Bourgeois est enfin disponible.
Les moyens d’appel
Le juge Bourgeois précise le contexte de la plainte et les moyens soutenant l’appel de la demanderesse sur chacune des décisions. L’intimée est représentée par le procureur Pascal A. Pelletier. Concernant la décision interlocutoire, Me Pelletier fait essentiellement valoir la durée de la procédure et les délais qui ont imposé un fardeau plus sévère à sa cliente.
À propos de la décision sur culpabilité, le procureur de l’intimée fait valoir « qu’il y a eu violation de son droit à une défense pleine et entière, en ce que le comité et sa présidente ont fait preuve de partialité ».
L’appelante allègue également que le comité a erré en droit au moment de cibler les limites du champ d’exercices de planificateur financier. Elle ajoute qu’il n’a été aucunement démontré que son comportement s’était écarté de manière marquée du comportement acceptable recherché des professionnels dans la même situation. Selon Me Pelletier, cette preuve aurait dû se faire via l’opinion d’experts, ce qui n’a pas été le cas dans cette instance.
Enfin, concernant la décision sur sanction, l’appelante a encore une fois soumis le non-respect des principes de justice naturelle et d’équité procédurale, plaidant la partialité du comité. Le procureur de l’intimée fait aussi valoir des erreurs manifestes à l’égard des conclusions utilisées pour déterminer la durée de la peine.
L’analyse
Dans sa décision, le juge Bourgeois rappelle qu’à l’étape de la demande en suspension de l’exécution, il ne doit procéder qu’à un examen sommaire de la décision afin de déterminer si elle dénote, à première vue, quelques faiblesses apparentes justifiant le sursis. Le tribunal ne prend pas connaissance de la preuve et ne s’ingère pas dans le mérite de l’appel. Pour octroyer un tel sursis, le tribunal reprend les critères établis par la Cour suprême du Canada qui ont déjà été utilisés dans d'autres décisions disciplinaires :
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L’esprit de la loi : Dans ce cas, la protection des investisseurs est au cœur des dispositions législatives et le sursis ne sera accordé que de façon exceptionnelle. Malgré l’appel, le législateur veut que les sanctions soient exécutoires et l’ouverture au sursis doit être prouvée par la partie appelante.
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La faiblesse apparente de la décision attaquée : Le tribunal est d’avis que les motifs d’appel comportent à leur face même des allégations qui devront être analysées avec beaucoup d’attention en appel.
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L’existence de circonstances exceptionnelles justifiant la demande de sursis : même si la sanction de radiation n’a pas un caractère permanent, la durée de cinq ans imposée à l’intimée équivaut pour elle, à ce moment de sa carrière, à une retraite forcée. En l’absence d’antécédent disciplinaire, le tribunal considère que le caractère exceptionnel des circonstances justifiant la demande de sursis est respecté.
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Le préjudice sérieux et irréparable si l’ordonnance de sursis n’est pas accordée : même si la radiation n’est pas permanente, la sanction équivaut à la fermeture pure et simple de la pratique professionnelle de l’appelante, la prive de son gagne-pain et la force à procéder au licenciement des 15 employés qui travaillent à plein temps dans ses sociétés.
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La balance des inconvénients et l’intérêt public doivent primer sur l’intérêt privé : les faits reprochés à l’appelante remontent à une période allant de 2003 à 2007, pour les chefs 1 à 14, et à mai 2012 pour le chef 15. L’audition sur culpabilité a donc commencé quelque 15 ans après les premiers faits reprochés. Le tribunal est d’avis que la balance des inconvénients joue nettement en faveur de l’appelante.
Pour toutes ces raisons, le juge Bourgeois accueille la demande de l’appelante pour la suspension de l’exécution de la décision sur sanction, rendue le 29 juin 2020. Le sursis durera jusqu’au jugement final en appel.
Rares appels
Selon les données fournies par Priscilla Franken, conseillère principale aux communications de la Chambre, le nombre de dossiers disciplinaires qui sont portés en appel devant la Cour du Québec demeure minime. Trois décisions ont été l’objet d’un appel en 2017 et 2019, et un seul l’a été pour l’année 2018.
Nous avons demandé une estimation des couts engendrés par les procédures devant la division administrative et d’appel de la Cour du Québec. « Il est très difficile de comparer les dossiers entre eux, car les couts varient en fonction d’une multitude de facteurs, dont la complexité des dossiers, les différentes procédures et les délais encourus », indique Mme Franken dans un courriel reçu le 28 septembre dernier.
Dans son budget des dépenses, les charges reliées au volet déontologie et discipline « varient d’une année à l’autre en fonction du nombre de demandes d’enquête reçues, du nombre de plaintes déposées au comité de discipline et de la complexité des dossiers traités », poursuit-elle.
Selon le rapport annuel de la Chambre, les dépenses de ce volet déontologie et discipline ont été inférieures en 2019, à 1 443 748 $, comparativement à l’année précédente, où elles ont atteint 1 523 470 $.
On peut présumer que le nombre de journées d’audition explique la différence. Quelque 72 dossiers ont requis 107 journées d’audition en 2018, comparativement à 101 journées (77 dossiers) en 2019.
Par ailleurs, les services professionnels externes montrent des couts à la hausse en 2019, à 703 977 $, en hausse de 8,3 % sur l’année précédente. Y a-t-il un lien avec la hausse des décisions portées en appel?
« Il n’est pas possible de faire de corrélation entre une diminution des charges au volet déontologie et discipline et une augmentation des charges au niveau des services professionnels externes », indique Mme Franken. Ceux-ci comprennent les projets reliés aux technologies de l’information, à la comptabilité, aux communications, aux ressources humaines ainsi qu’aux affaires juridiques.
En 2019, le comité de discipline a publié 83 décisions, comparativement à 91 l’année précédente. Huit décisions traitaient de questions préliminaires ou interlocutoires. Toujours en 2019, quelque 57 décisions incluaient une sanction. Des peines de radiation ont été imposées à 45 représentants en 2019 (46 en 2018). Deux représentants ont été punis par la sanction de radiation permanente (six en 2018).