Les PME sont-elles capables de s’offrir maintenant des programmes de promotion de la santé? Trois experts invités au Congrès de l’assurance et de l’investissement, le 21 novembre, à Montréal, ont tenté de montrer que ces programmes sont non seulement accessibles, mais essentiels aux PME.André Di Vita, vice-président des ventes et développement chez Solicour, cabinet de services financiers associé à l’Industrielle Alliance, a d’abord présenté le point de vue de l’entrepreneur : « La majorité du temps, les employeurs que nous rencontrons comptent moins de 100 employés. En moyenne, les nouvelles entreprises ont une durée de vie de cinq ans. Comme intermédiaire, il faut en être conscient. »

Seulement 40 % des entreprises de moins de 20 employés ont un régime d’assurance collective. Cette proportion grimpe à 80 % pour les entreprises comptant de 21 à 99 employés. M. Di Vita rappelle que 63 % des entreprises ont des revenus annuels inférieurs à 500 000 $. Selon lui, le taux de roulement dans les PME de moins de 20 employés oscille entre 15 et 20 %, tandis qu’il est de seulement 9 % dans les entreprises de plus de 250 employés.

Il y a un énorme marché potentiel à exploiter pour le courtier en assurance collective, car les PME représentent 57 % des emplois et la moitié du produit intérieur brut (PIB). « Dans le budget Marceau, on dit que le Québec a besoin du secteur privé pour créer de la richesse », précise-t-il.

Mais les entrepreneurs sont nerveux à cause du contexte fragile de la reprise de l’économie nord-américaine. « Les entrepreneurs sont des gens passionnés, avec des idées et des convictions, et ils veulent mener leurs projets jusqu’au bout à tout prix. Pour cela, ça leur prend de bons employés. En même temps, prennent-ils tous les moyens pour les conserver, ces bons employés, et pour qu’ils demeurent en bonne santé? »

La santé de l’entrepreneur passe souvent au dernier rang des priorités de l’employeur, poursuit André Di Vita. Le travail de l’intermédiaire est de lui faire « ouvrir les oreilles » à cette nécessité de se préoccuper de sa santé, autant que de celle de son entreprise et de son personnel.

La vice-présidente de l’Association canadienne des compagnies d’assurance de personnes (ACCAP), Claude Di Stasio, a de son côté rappelé que le problème de l’absentéisme représente 1,4 % de la masse salariale des entreprises, soit 7,4 milliards de dollars (G$) par année, au Canada. Les employeurs constatent que les avantages sociaux représentent 10 % de leur masse salariale et ils estiment que ce seuil est déjà critique. « En 2010-2011, la hausse moyenne du cout des avantages sociaux a été de 6,2 %, soit plus de deux fois l’augmentation de l’indice des prix à la consommation (IPC) », note-t-elle. La réduction des couts, aussi efficace soit-elle, ne remplace pas les avantages de la prévention et de la promotion de la santé au travail, ajoute-t-elle en citant diverses recherches.

Ainsi, selon une étude publiée en 2010 dans la revue Journal of Occupational and Environmental Medicine, la durée moyenne de l’invalidité est de 34 jours, ou 9 027 $ par année. « Prévenir un seul cas d’invalidité, ça rapporte. » Selon CubicHealth, environ 39 % des personnes atteintes de diabète et 38 % de celles souffrant d’un problème de cholestérol adhèrent mal à leur traitement. Pire, selon IMS Brogan, près de la moitié de ces mêmes personnes ne renouvèlent même pas leur prescription après 12 mois.

Les troubles de santé mentale sont encore mal perçus dans les entreprises, ajoute Mme Di Stasio, en citant le docteur Richard Earle, de l’Institut canadien sur le stress. Ce dernier affirme que 35 % seulement des personnes atteintes cherchent à se faire soigner. « Si votre employé malade ne consulte pas et ne guérit pas, que se passe-t-il? Il s’absente. Il va un peu mieux, il revient, il rechute et s’absente encore plus longtemps. On peut intervenir pour diminuer ce nombre de cas », dit-elle.

La notion de présentéisme au Québec permet d’évaluer la perte de productivité associée à la présence au travail d’un employé préoccupé par une situation personnelle. La professeure Carolyn Dewa, de l’Université de Toronto, est en train de mettre à jour ses travaux sur la santé mentale. Dès 2003, elle estimait que la perte de productivité due au présentéisme (4,6 heures/semaine) et à l’absentéisme (1 heure/semaine) représentait des sommes colossales. « Ces 5,6 heures, à un salaire horaire de 20 $, représentent annuellement 5 824 $ par employé », illustre la vice-présidente de l’ACCAP.

Le contexte démographique associé au vieillissement du personnel, à la pénurie de main-d’œuvre qualifiée et à la difficulté de retenir les jeunes générations dans les entreprises force les assureurs à concevoir autrement les régimes collectifs. Les courtiers ont leur rôle à jouer pour mieux comprendre ces nouveaux besoins du marché du travail. « Si vous aidez l’employeur à déterminer où il peut investir son dollar, peut-être arriverez-vous à dégager des économies qui pourront servir ailleurs », dit-elle.

Une autre étude menée par l’Université de Harvard montre que pour chaque dollar investi dans un programme de santé et de mieux-être, on économise 3,27 $ en cout de médicaments et 2,73 $ en cout d’absentéisme. « Cela veut dire que pour une entreprise de 100 employés, investir 10 000 $ permet d’en économiser 60 000 $. Ce n’est pas négligeable. » Au ministère de la Santé de l’Ontario, on estime que pour chaque dollar investi en programme touchant la santé mentale et les dépendances (alcool, drogue), on note une économie de 7 $ en couts de soins de santé et de 30 $ en réduction de la baisse de productivité.

Mme Di Stasio insiste sur l’importance de la prévention. « En travaillant en amont, on améliore les bienfaits sur la santé, on augmente la productivité et on assure la pérennité de l’entreprise. La vraie question est de savoir si les entreprises ont le moyen de se passer d’un programme de promotion de la santé », dit-elle.

Le rôle du courtier

Jean Fiola, conseiller principal chez Vézina et Associés, a ensuite parlé du rôle de conseiller des courtiers. La croissance spectaculaire des couts des soins de santé, surtout l’assurance médicaments, oblige l’employeur à revoir les avantages du régime, et le courtier doit l’aider à prendre des décisions éclairées. « Entre 1998 et 2007, les dépenses d’achats de médicaments au Canada sont passées de 8 à 19 G$. Depuis 10 ans, l’inflation des couts en assurance maladie a varié de 12,5 % à 16 % par an, soit plus de 300 % pour la période. Depuis 20 ans, l’assurance médicaments a été le facteur le plus en hausse parmi tous les couts de soins de santé au Canada. »

Se doter d’un programme de santé et de mieux-être est une bonne idée, dit-il. L’existence d’un tel programme ou de n’importe quel type de programme de promotion de la santé ou d’aide aux employés est un avantage, car les entreprises plus actives en la matière peuvent obtenir des réductions de leur prime d’assurance invalidité. La promotion de la santé et la bonne gestion du retour au travail représentent un certain cout pour l’employeur, reconnait-il. « Saviez-vous qu’un employé actif physiquement est 12 % plus productif que son collègue sédentaire? »

L’objectif du programme santé est de réduire le nombre et la durée des invalidités. « Gardez à l’esprit que la grande majorité des employés en invalidité veulent retourner au travail le plus vite possible. S’ils sentent l’intérêt sincère de leur employeur, ils vont collaborer. » Comme le nombre de jours moyen d’invalidité pour maladie ou blessure a grimpé de 10 % depuis une décennie, et de 20 % pour la santé mentale, M. Fiola assure que les économies réalisées dépassent largement le cout d’implantation de ces programmes. « Le courtier peut aider son client en lui fournissant des rapports clairs et détaillés sur l’utilisation du service par les membres du groupe. »

Les échanges avec l’assistance ont permis aux trois experts invités de préciser certains éléments. Jean Fiola note ainsi que programme de base inclus dans les régimes actuels est « réactif, et non préventif ». « Si l’employé qui a un problème de toxicomanie doit payer lui-même les 2 500 $ que coutent sa cure, ça se peut qu’il décide d’attendre longtemps avant de se faire soigner », dit-il.

Mme Di Stasio souligne aussi que le programme de santé doit être conçu de manière globale. « L’assurance maladie complémentaire comporte souvent des limites au remboursement des frais. Mais si votre employé a un problème de santé mentale et qu’on lui limite l’accès à de l’aide, ce n’est pas très productif. » Elle répète qu’il est du devoir des courtiers de discuter avec les assureurs pour trouver des solutions à l’explosion du cout des régimes, lesquelles sont réclamées par les employeurs.

« Autrement dit, avant de négocier les taux à la baisse, il faut au moins laisser le temps au programme de santé de faire ses preuves. Si le taux de roulement est élevé au sein de l’entreprise, ça peut être le symptôme de la fatigue des gens qui doivent réaliser l’ouvrage de ceux qui sont absents », dit-elle.

M. Di Vita renchérit sur le même thème. Le programme de santé est un élément de la politique de mobilisation du personnel. « La mobilisation du personnel, ce n’est pas encore très répandu. En privé, les employeurs nous disent que ce qui les déprime le plus, c’est d’avoir des employés de qualité qui se trouvent en invalidité. »

Pour aider l’employeur, le courtier doit d’abord lui faire comprendre l’existence d’un problème, ajoute-t-il. Il faut travailler en amont avant de se préoccuper du cout des médicaments et de la mutualisation des risques. « Le changement de culture, on peut tous intervenir là-dessus. On peut tous contribuer à changer les habitudes de vie. Il faut trouver les bons mots pour convaincre les employeurs et les employés », dit-il.