Cet article est un Complément au magazine de l'édition de septembre 2020 du Journal de l'assurance.
La fraude et l’abus représentent jusqu’à 10 % des coûts des soins de santé au Canada, estime l’Association canadienne de prévention des fraudes dans les soins de santé. Ainsi, les fraudeurs se remplissent les poches de 1 à 5 milliards de dollars (G$) chaque année, prévient l’association.
Pour lutter contre ce type de fraude, il est primordial de comprendre le triangle de la fraude développé par le criminologue américain Donald Cressey, dans les 1960, surtout au temps de la COVID-19, explique Louis-Philippe Corbeil Girard, conseiller en assurance et en rentes collectives pour la firme Gestion Tim Cummings, lors d’un webinaire sur la fraude organisée par l’Institut canadien de la retraite et des avantages sociaux (ICRA).
La pression est le premier aspect de cette pyramide. Elle est pécuniaire, « mais les gens ne fraudent pas pour l’argent cash ou pour frauder. Ils fraudent parce qu’ils ont un besoin et qu’ils vivent une insécurité financière », explique M. Corbeil Girard.
La moitié des salariés vivent d’une paie à l’autre, révélait l’Association canadienne de la paie en 2018. Les imprévus comme la fermeture temporaire d’un bon nombre d’entreprises au Canada, à l’arrivée de la COVID-19, exacerbent la pression subie par les travailleurs, ajoute le conseiller en assurances et rentes collectives.
Les circonstances et occasions comptent également pour beaucoup dans la réalisation d’une fraude. « S’il y a une faille connue dans le système, l’employé sera tenté. Même chose s’il y a un manque d’encadrement dans les soins paramédicaux », indique M. Corbeil Girard.
La rationalisation est le troisième aspect qui contribue à la fraude. Cet élément déculpabilise les malfrats. « Ces derniers se disent que ce qu’ils font, ce n’est pas si mal considérant qu’ils paient cher pour obtenir un minimum de service, qu’ils ont droit à ces avantages et que de toute façon, les primes augmentent », dit le conseiller.
Un encadrement inégal est une porte ouverte
Les soins médicaux, paramédicaux et dentaires représentent le top 3 des types de soins les plus touchés par la fraude dans les régimes collectifs. Les inégalités d’une province à l’autre de l’encadrement des spécialistes paramédicaux au Canada sont aussi problématiques pour les assureurs.
Par exemple, le Québec est l’une des rares provinces à encadrer la vente de chaussures orthopédiques. Par contre, la Belle Province manque d’encadrement au niveau des soins de massothérapie. Comme il n’y a aucune règlementation dans ce secteur, la porte pour les fraudeurs est grande ouverte.
« Il est facile de faire rembourser un massage érotique en le faisant passer pour un soin de massothérapie. Certains salons de massages font des reçus en usurpant l’identité d’un massothérapeute, par exemple. Il peut arriver aussi qu’il y ait des reçus de complaisance si l’adhérent atteint son maximum remboursable. Le thérapeute fait alors un reçu pour un traitement de naturopathie, qui est un autre segment mal encadré au Québec », mentionne le conseiller. En revanche, en Colombie-Britannique et en Ontario, il y a une forte règlementation pour ce genre de soin, ajoute-t-il.
Selon une étude menée par l’Association canadienne de prévention des fraudes en partenariat avec Fraudbox, la grande majorité des fraudes dans les secteurs des soins de santé sont dues à une facturation pour des services non rendus ou à l’utilisation d’un code pour des soins ou des produits plus coûteux que ce qui a réellement été fourni. Cette dernière méthode est d’ailleurs utilisée tant pour les assurés que pour les fournisseurs.
L’importance de la prévention
La révision des réclamations compte pour beaucoup dans la détection des fraudes tout comme avec l’aide de délateurs. « La fraude à l’assurance affecte tout le monde en fin de compte », dit M. Corbeil Girard.
Ainsi, l’adhérent doit être conscient que des mesures disciplinaires pourraient être prises à son égard et en cas d’abus ou de fraude. Il pourrait être congédié et accusé au criminel. La fraude et les abus contribuent à faire augmenter les primes déduites sur la paie et les avantages imposables, en plus d’entrainer de possibles effets néfastes sur la santé et leur mieux-être.
Pour les preneurs de régimes, l’augmentation des primes ou des coûts procure de l’insatisfaction et l’insatisfaction des preneurs affecte la rentabilité des assureurs. Quant aux fournisseurs, l’atteinte à la réputation de la profession contribue aux règlementations plus strictes imposées par les assureurs et peut entrainer des radiations.
Pour prévenir et détecter la fraude, les preneurs de régime doivent opter pour la mise en place d’une politique d’utilisation des avantages sociaux, sensibiliser les employés sur les impacts et les conséquences de la fraude, réviser les paramètres du régime pour contrer fraude et abus et analysent des données du renouvellement.
Éviter le gaspillage
Les erreurs administratives ou les mauvais choix des adhérents contribuent au gaspillage et entrainent des coûts plus élevés pour le régime sans, ou avec très peu de valeur ajoutée du point de vue de la santé, révèle Louis-Philippe Corbeil Girard. Express Scripts Canada estime que d’un dollar sur trois dollars dépensés dans le cadre d’un régime d’assurance médicaments ! Le gaspillage représenterait 5,1 milliards de dollars en médicaments d’ordonnance chaque année.