Le chirurgien-dentiste de même que sa clinique dentaire demandent une injonction provisoire contre la compagnie d’assurance qui a cessé d’accepter les réclamations de ses patients. Le tribunal rejette sa demande. 

Nabil Dabar est chirurgien-dentiste et propriétaire exploitant de la Clinique dentaire Dr Dabar. Ce sont les demandeurs dans ce litige qui les oppose à Sun Life du Canada, compagnie d’assurance vie

La compagnie d’assurance administre le Régime canadien de soins dentaires (RCSD), en plus d’offrir cette garantie aux employeurs et à leurs salariés par l’entremise de ses produits d’assurance collective.

Les demandeurs poursuivent la compagnie d’assurance, car elle a cessé d’accepter les réclamations provenant de leurs patients assurés par l’entremise de leur assurance collective ou du RCSD. Sun Life a agi ainsi après une enquête de son service de gestion du risque de fraude, entamée en mai 2025. Elle prétend avoir constaté de nombreuses irrégularités dans les pratiques de facturation des demandeurs. 

Dans une lettre datée du 9 juillet 2025, la compagnie d’assurance a exigé le remboursement d’un montant de 172 268 $. Le 30 juillet 2025, l’avocat du dentiste écrit à l’enquêtrice de Sun Life pour négocier une entente. Une proposition de règlement est faite après une rencontre survenue le 21 août 2025.

Les demandeurs réclament que Sun Life remette en vigueur le système d’adjudication automatique, processus par lequel le professionnel de la santé soumet directement la réclamation à l’assureur au moment du rendez-vous en clinique. Cela évite au patient de payer le plein montant du traitement avant de réclamer la portion couverte à son assureur. 

La clinique propose de rembourser 95 % de la somme demandée en deux versements échelonnés sur quelques mois. L’assureur se dit prêt à réduire sa réclamation de 5 %, mais uniquement si le paiement est fait en un seul versement. Quant au processus d’adjudication automatique, l’assureur indique qu’il poursuit son enquête et affirme que le système sera rétabli si la clinique modifie de manière significative ses habitudes de réclamation. Le 4 septembre 2025, le procureur des demandeurs confirme que le remboursement sera fait en un seul versement.

Le 23 octobre 2025, après avoir continué son analyse, Sun Life avise par écrit les clients qui avaient soumis des réclamations par l’entremise de la clinique du Dr Dabar qu’elle cessera d’accepter des réclamations de sa part en date du 6 novembre 2025. 

Une entente? 

Pour les demandeurs, cette décision de Sun Life contrevient à l’entente associée au remboursement, car elle impliquait que l’assureur n’allait pas mettre fin au système d’adjudication automatique le concernant. Le dentiste demande une injonction provisoire au tribunal pour forcer l’assureur à retirer son nom de la liste des fournisseurs inadmissibles et l’obliger à reprendre le traitement des réclamations de ses patients, incluant celles qui passent par le système d’adjudication. 

La défenderesse ne conteste pas que le critère d’urgence d’une demande d’injonction provisoire est satisfait. Le tribunal partage le constat, mais il estime que le critère de l’apparence de droit n’est aucunement démontré par le chirurgien-dentiste. 

Dans son jugement rendu oralement le 14 novembre 2025, la Cour supérieure du Québec refuse d’émettre l’injonction demandée. Selon le juge Patrick Ferland, le texte des échanges entre la représentante de Sun Life et le procureur des demandeurs laisse clairement voir que l’assureur poursuivait son analyse. Il n’y a aucune forme d’entente concernant le système d’adjudication automatique. 

Par ailleurs, le tribunal souligne que les discussions ne concernent pas le RCSD, lequel représente pourtant la moitié de ses patients couverts auprès de Sun Life, selon le demandeur. La transaction proposée ne vise donc pas ces réclamations. 

« Le professionnel qui offre des services qui font l’objet d’une couverture d’assurance pour certains clients n’implique pas en soi la création d’un lien de nature contractuelle entre le professionnel (ici le demandeur) et l’assureur qui est appelé à les couvrir (ici Sun Life) », écrit le juge Ferland. Le demandeur ne prétend d’ailleurs pas qu’il dispose d’un tel droit. 

Les irrégularités 

Pour prétendre à un tel droit en vertu d’un recours extracontractuel, le demandeur devrait invoquer une faute de la part de Sun Life. Or, le demandeur ne répond d’aucune façon aux allégations faites par l’enquêtrice de l’assureur en ce qui a trait à ses pratiques de facturation. 

Parmi les irrégularités soulevées dans cette analyse, l’assureur souligne « l’utilisation anormalement élevée de certains types de service, des réclamations pour des actes non corroborés par des radiographies ou des confirmations écrites de la part des hygiénistes dentaires, certains services non médicalement requis, des demandes de règlement soumises en double par le demandeur, de même que certains services dont les frais auraient en apparence était répartis sur deux années pour éviter les maximums annuels applicables en vertu des polices en cause ». 

Si le tribunal avait conclu qu’il y avait apparence de droit, il aurait dû faire l’analyse de l’existence d’un préjudice sérieux ou irréparable et aurait dû tenir compte de la prépondérance des inconvénients. Pour aucun de ces deux items, les demandeurs n’ont fait la démonstration. 

« Les affirmations du demandeur quant à la nature de la perte qu’il est susceptible de subir sont remarquablement ténues », écrit le tribunal. Comme la suspension du système d’adjudication automatique par Sun Life a débuté au mois de mai 2025, le demandeur était en mesure d’en démontrer l’impact de cette décision sur la rentabilité de ses activités, ce qu’il ne fait pas. 

Pour la prépondérance des inconvénients, le demandeur ne répond pas aux motifs invoqués par Sun Life pour refuser les réclamations provenant de la clinique du demandeur. De son côté, l’assureur subirait un préjudice si l’injonction était émise. Le tribunal ne peut ignorer la nature des inconvénients et rejette la demande d’ordonnance d’injonction provisoire.