La Chambre de l’assurance de dommages vient de conclure la révision de son Tableau du partage des rôles et responsabilités de l’expert en sinistre. Avec cet exercice, la Chambre entend réduire l’opacité qui entoure le traitement d’une réclamation.

Le conseil d’administration de la Chambre a approuvé la nouvelle mouture du Tableau à la fin février. Il est dans sa troisième forme. Il avait vu le jour en 2007, à la demande de l’industrie, qui voulait un outil pour bien encadrer le travail de l’expert en sinistre, car le tout était inégal d’un endroit à l’autre. Il avait été mis à jour en 2009.

En 2012-2013, la Chambre a entrepris de le réviser, à la demande de l’industrie, qui souhaitait des précisions. Trois ans plus tard, et après plusieurs discussions avec l’industrie, la Chambre a profité de la Journée de l’assurance de dommages 2016 pour présenter la troisième version, dont les commentaires ont été largement bonifiés. Le Journal de l’assurance s’est entretenu avec Maya Raic et Ingi Khouzam, respectivement PDG et avocate en conformité à la Chambre de l’assurance de dommages, pour discuter des changements apportés à cet outil.

Au cours des trois dernières années, Mme Khouzam a mené les travaux de révision du Tableau. Plusieurs intervenants, dont des experts en sinistre indépendants et des restaurateurs après sinistre, voulaient des précisions quant à leur rôle. « C’est un sujet qui demeure sensible, car une police d’assurance s’exerce lors de la réclamation. Il nous fallait transiger avec différentes parties qui voyaient notamment comme des concurrents », souligne Mme Raic.

Chevauchements entre experts et fournisseurs

Mme Khouzam relate que l’industrie avait plusieurs interrogations, dont plusieurs ont été relayées lors des dernières éditions de la Journée de l’assurance de dommages. Les rencontres se sont d’abord faites en silos avec des experts en sinistre indépendants, des restaurateurs après sinistre et des assureurs.

« Ils ont tous parlé de façon ouverte. Nous n’avons pas non plus consigné le tout dans des minutes pour que chacun puisse s’exprimer librement. On voulait qu’ils parlent des problématiques qu’ils vivaient. On a dressé une liste de constats à partir de ces rencontres. Nous avons aussi abordé des sujets qui débordaient le cadre du Tableau, notamment en ce qui a trait à certaines pratiques d’affaires et l’usage de certains outils technologiques », dit l’avocate en conformité.

Un comité mixte fut ensuite formé, avec des représentants de chacun des groupes visés. Des représentants de la Fédération de l’industrie de la restauration après sinistre (FIRAS) ont notamment pris part à l’exercice.

Dans sa révision, un des premiers constats que la Chambre a faits est qu’il y avait parfois des chevauchements sur le terrain. « On a vu de cas où des personnes n’interprétaient pas les dispositions du Tableau de la même façon. On nous a donc demandé de préciser certains passages, mais aussi d’en bonifier d’autres », dit Mme Raic.

Mme Khouzam explique aussi que le degré d’expérience des experts en sinistre et des fournisseurs impliqués pouvait aussi jouer dans la balance. Un expert ayant plus d’expérience se sentira parfaitement à l’aise pour établir la cause d’un sinistre. D’autres préfèrent laisser toute la latitude au restaurateur après sinistre de l’établir, a pu constater la Chambre au fil de ses discussions.

« Nous avons voulu souligner à nouveau le rôle professionnel de l’expert qui statue l’état d’une réclamation, qui en est le pivot, mais aussi le chef d’orchestre de celle-ci. Le cheminement de la réclamation est clair. Elle débute quand le sinistré dépose sa réclamation et qu’il retrouve son bien dans le même état qu’avant. Dans certains cas, ça peut être simple, mais dans d’autres forts complexes et couteux. Avec le Tableau, nous voulons couvrir l’ensemble de ces situations », dit-elle.

Imputable de ses actes

Il ne faut toutefois pas oublier que l’expert en sinistre est imputable de ses actes, rappelle Maya Raic. La nouvelle mouture du Tableau du partage des rôles et responsabilités de l’expert en sinistre cogne souvent sur ce clou, disent les deux femmes.

« Pour l’assuré, c’est plus clair d’avoir un chef d’orchestre en l’expert en sinistre. C’est difficile pour lui de faire la différence entre les évaluateurs, enquêteurs et estimateurs qui viennent chez lui à la suite d’un sinistre. Il peut ne plus savoir à quel saint se vouer », dit la PDG de la Chambre.

Mme Khouzam ajoute qu’en cours de route, l’assuré peut recevoir des informations contradictoires de tous ces intervenants. « Il est important que l’expert en sinistre donne une mise à jour au sinistré. Il ne doit pas être juste un porte-parole », dit-elle.

Certains experts en sinistre ont aussi confié à la Chambre qu’ils sentaient qu’il y avait une confusion autour de leur rôle. « Ils sentaient que des fournisseurs de services effectuaient des actes réservés à l’expert en sinistre avant même de pouvoir statuer sur la cause du sinistre. Ils se retrouvaient devant le fait accompli. Ça pouvait ensuite aller loin. Les limites d’assurance du client pouvaient être dépassées ou encore il y avait des travaux que l’assureur ne remboursait pas. Ce n’est pas la majorité des cas, mais ça revenait assez souvent pour que l’on veuille l’éclaircir », dit Mme Khouzam.

Pour Maya Raic, cet exercice amène une certaine transparence. « Tout le monde comprend ce qu’il a à faire », dit-elle.

Les 34 activités demeurent

Le Tableau du partage des rôles et responsabilités de l’expert en sinistre comprenait 34 activités. Il en compte toujours 34, mais plusieurs éléments ont été bonifiés et clarifiés.

Parmi les changements observés, « faire signer le consentement pour la cueillette de renseignements » est devenu « obtenir le consentement pour la cueillette de renseignements, et faire signer le formulaire de consentement, le cas échéant ». Ce changement s’explique par le fait que de plus en plus d’experts en sinistre règlent des réclamations par téléphone, il devient difficile pour eux de faire signer le consentement.

« C’est correct de faire le tout par téléphone, mais ça reste une tâche exclusive à l’expert en sinistre. C’est pourquoi on a ajouté ces précisions », dit Mme Khouzam. Autre tâche modifiée : « faire signer la reconnaissance de réserve » est bonifié. La Chambre y ajoute en préambule la notion de « remettre à l’assuré l’avis de réserve ». « L’expert doit le faire, pas le restaurateur après sinistre », dit Mme Khouzam.

Pour la fonction « estimer le montant des dommages », la Chambre y ajoute la notion d’étendue. « On veut permettre à l’expert en sinistre de mesurer l’étendue d’une perte totale ou d’un sous-sol qui doit être complètement refait sans nécessairement donner de chiffres exacts. L’expert va regarder l’amplitude de la perte », dit Mme Khouzam.

Quant à « établir la dépréciation d’un bien », la Chambre y ajoute d’y « statuer sur sa valeur aux fins de la réclamation ». « L’expert en sinistre doit statuer sur ce point à un moment », explique Mme Khouzam.

Plusieurs changements ont aussi été apportés dans la section des commentaires liés à chaque responsabilité. « Nous avons poussé un peu plus loin les explications, car il y avait des zones à clarifier, notamment dans la définition des spécialistes, soit les avocats, les comptables et les enquêteurs spécialisés. Leurs actes sont liés à des gestes portant à des conséquences juridiques », dit Mme Raic.

Par ailleurs, aucun changement n’est apporté aux tâches imparties à chaque corps de métier. « Le cadre du travail de l’expert en sinistre ne change pas », confirme Mme Raic.

La PDG de la Chambre affirme que la communication est l’élément clé dans tout le processus. « Le processus de réclamation est vu comme opaque. On veut éclaircir cette opacité. C’est une plus-value », dit-elle.

Mme Raic spécifie qu’il ne faut pas en déduire que l’industrie est toute croche. « Il fallait repréciser certaines choses. À la Journée de l’assurance de dommages l’an dernier, des gens sont venus me voir pour voir si ce qu’ils faisaient était correct. Avec l’exercice que l’on vient de mener, on enlève des nuages dans le ciel », dit-elle.  


L’expert en sinistre doit être impliqué rapidement lors d’une réclamation

Dans les commentaires que la Chambre de l’assurance de dommages a bonifiés dans le Tableau du partage des rôles et responsabilités de l’expert en sinistre, on retrouve quelques passages qui rappellent un élément clé : l’expert en sinistre doit être impliqué rapidement dans un dossier.

« Il arrive parfois que ce soit un peu lent avant qu’ils entrent dans un dossier. S’il y a un dégât d’eau, qu’il en coute un montant substantiel et qu’il faut assécher, l’expert en sinistre doit être rapidement mis au dossier. Il ne faut pas attendre que tout soit épuisé dans l’enveloppe », dit Maya Raic, PDG de la Chambre.

Ingi Khouzam, avocate en conformité à la Chambre, ajoute qu’en considérant que la plupart des limites pour les dégâts d’eau sont établies à 10 000 $ et 25 000 $, celles-ci peuvent être très rapidement atteintes, avant même que la restauration soit amorcée. « Si l’expert en sinistre n’a pas rencontré le client à ce moment et ne lui a pas montré ses limites, s’il n’entre pas en jeu rapidement, il peut y avoir des dépassements de couts importants », dit-elle.

Mme Raic souligne aussi que dans certains cas, il se peut que le contrat d’assurance ne prévoie pas de couverture pour un risque donné. « Il faut néanmoins envoyer rapidement quelqu’un. Il faut s’assurer de ce que la police couvre. Il y a des assurés qui ont l’impression que parce que quelqu’un arrive rapidement, sa réclamation est recevable », dit la PDG de la Chambre.

Mme Khouzam fait remarquer que certains assureurs ont des documents très clairs sur ce point, tandis que d’autres préfèrent ne pas affoler le client. « D’où l’intérêt à ce que l’expert en sinistre arrive rapidement au dossier, ajoute Mme Raic. On veut éveiller l’assuré, mais aussi clairement énoncer que l’expert entre rapidement au dossier et d’informer le client de ce que sa police couvre. »

S’agit-il d’une critique du travail de l’expert en sinistre? Non, répond Mme Raic. Pour la PDG de la Chambre, c’est l’ensemble de l’industrie qui doit s’interroger. « Est-ce toutes ces choses sont faites dans les règles de l’art. Si l’affectation de l’expert en sinistre se fait tardivement, il y a un problème », dit-elle.