Les fonds à garantie de retraits minimums (GRM) et de retraits à vie (GRV) auraient bâti leur succès sur la peur, soutient un actuaire. La garantie coute cher et offre peu, ajoute-t-il. Aux investisseurs intéressés par le produit, il suggère de passer leur tour.
Son point de vue a toutefois soulevé des critiques dans l’industrie. Plusieurs conseillers disant que ce type de produits est une composante importante d’une planification de retraite bien diversifiée.
Fort d’une carrière de 50 ans dans l’industrie des services financiers, le consultant en actuariat William B. Solomon ne mâche pas ses mots à l’endroit des fonds à garantie de retraits. Il a publié un article dans un magazine financier torontois qui continue de faire jaser.
M. Solomon a accordé une entrevue exclusive au Journal de l’assurance en septembre. Il se trouvait alors dans les bureaux montréalais d’un assureur qu’il rencontrait pour des services de consultation en matière de régimes de retraite.
M. Solomon attribue le succès du produit à une campagne de peur qui exploite l’ignorance et les craintes des retraités en matière de planification de la retraite. Le titre de l’article qu’il a rédigé est lapidaire : Beware of The Great GMWB Fraud (Méfiez-vous de la grande fraude des fonds à garanties de retraits minimums).
En entrevue, M. Solomon s’explique. « Je n’ai pas voulu verser dans la controverse en utilisant ce mot. Plusieurs produits d’assurance sont excellents, mais il faut dire que certains sont mauvais. »
Le fonds à garantie de retrait en est un exemple parce qu’il exploite des peurs, mais aussi parce qu’il couvre un risque trop limité, croit l’actuaire. Il en a profité pour réaffirmer les autres points qu’il avait exprimés dans l’article. Il dépeint entre autres la garantie de retrait comme une option couteuse. Le cout de la garantie oscille de 0,4 % à 1 % et les frais de gestion de 2,25 % à 3 %.
Il la décrit aussi comme une garantie de faible valeur. Selon lui, elle se limiterait dans la majorité des cas à remettre à l’investisseur sa mise de fonds. En vertu de la plupart des fonds à garantie de retraits, l’investisseur décaisse annuellement un revenu garanti qui correspond à 5 % de la valeur initiale de son fonds. La garantie s’étend à vie où selon une période donnée pour certains assureurs. La garantie ne s’enclenchera que lorsque le capital sera épuisé dans 20 ans, croit M. Solomon.
L’actuaire fait aussi remarquer que l’assureur court peu de risque de payer de grosses sommes. L’espérance de vie des gens qui ont 65 ans aujourd’hui atteint 18 ans chez les hommes et 21 ans chez les femmes. La garantie n’est utile que lorsque le rendement annuel moyen du fonds est inférieur à 3 % et que le retraité de 65 ans vit encore 25 ans, croit M. Solomon. « Vous pourriez avoir besoin de la garantie lorsque vous serez dans les 90 ans. »
M. Solomon croit de plus que le risque de faible longévité et d’un bon rendement s’excluent mutuellement. « Si vous ne vivez pas longtemps, vous n’avez pas besoin de la garantie. Si vos rendements sont bons, vous n’en avez pas besoin non plus. Une longue vie et de bas rendements créent la seule situation où la garantie de retraits a de la valeur », soutient-il.
Or, les marchés n’ont pas connu depuis 1960 une période de 10 ans où les rendements ont été aussi bas. En outre, ils n’ont pas connu de période négative de 5 ans depuis 1960.
Le consultant en actuariat est d’accord avec l’industrie sur un point : ce type de produit encourage les investisseurs à ne pas céder à la panique lorsque les marchés baissent. C’est un outil pour maintenir les actifs du client en place. « Grâce à ce produit, les conseillers peuvent rassurer leurs clients et les inciter à ne pas vendre en marché baissier », dit-il.
Le produit sera selon lui approprié pour une certaine partie de la clientèle retraitée qui désire avant tout la paix d’esprit, qui sont intolérant au risque et qui ne veulent pas investir dans une rente viagère. Il déplore qu’une partie du matériel marketing soit axée sur une campagne de peur. « Des assureurs y montrent des scénarios de rendements désastreux qui n’ont aucun fondement historique, s’insurge-t-il. Si ces scénarios se réalisaient, les assureurs eux-mêmes seraient en danger d’insolvabilité. »
Des conseillers en furie
Les propos de M. Solomon ont fait rager plusieurs conseillers. Tout au long de l’été, des conseillers ont exprimé leur mécontentement sur des blogues torontois en finance.
Président de Independent Planning Group (IPG) à Ottawa, Allan Bulloch est l’un de ceux qui est en colère. « Je ne vois pas où est la fraude. S’il y avait fraude, la police s’en mêlerait et il y aurait des arrestations. Ce sont des titres comme ceux-là qui sont de la fraude », dit-il.
M. Bulloch ne vend pas le produit les yeux fermés. Plusieurs autres se bousculent au portillon : fonds distincts traditionnels, rentes, fonds communs… Le produit à garanties de retrait compte pour 10 % de son chiffre d’affaires en investissement. Lorsque vient le temps de recommander un produit à garantie de retraits, les conseillers d’IPG doivent s’astreindre à un processus rigoureux de formation sur tous les produits offerts dans le marché. Pas question non plus pour un conseiller d’IPG de ne vendre que ce produit à tous ses clients.
Il n’en défend pas moins le produit. Quand M. Solomon écrit que la garantie n’est qu’une promesse, M. Bulloch rétorque que c’est ça l’assurance : des promesses.
En ce qui concerne la garantie de retrait, c’est gagnant-gagnant, dit-il. Si les marchés sous-performent à long terme, l’assurance fait son travail. S’ils performent, le client peut remettre la valeur de son fonds à jour pour refléter ses gains.
Chez Force financière Excel, le produit est un gros vendeur dans les situations de décaissement, révèle son PDG, James McMahon. Dans certains cas, il convient qu’une combinaison de rente immédiate et de fonds ou dépôts à terme peut s’avérer plus avantageuse que la garantie de retraits. Mais il croit que le produit a sa place dans plusieurs situations.
« Un actuaire a les connaissances pour défaire n’importe quel produit et trouver de meilleures façons d’investir.Or, lorsque tu es un investisseur parmi le commun des mortels et que tu vois les rendements qu’ont obtenus les grands gestionnaires ces dix dernières années, tu te dis qu’avec ce produit, tu as au moins des garanties », lance-t-il.
Pour leur part, les assureurs croient que le point de vue exprimé par M. Solomon tend à évacuer la valeur du produit lorsqu’il est utilisé de façon équilibré et en fonction du bon profil de client. C’est ce que pense Kari Holdsworth, vice-présidente, gestion de patrimoine de l’individuelle à la Financière Sun Life. Elle réfute son argument de M. Solomon disant que le produit est sans valeur.
« Le produit s’adresse aux investisseurs intéressés à garantir leur capital tout en gardant l’accès à des rendements qu’ils peuvent ensuite cristalliser. Ils bénéficient aussi d’un outil de planification successorale où le capital intégral sera versé à la succession en cas de décès, sans encourir de frais d’homologation (un argument qui vaut hors-Québec seulement). Nous offrons dans SunWise Essentiel la possibilité que le revenu soit versé au conjoint survivant », énumère la vice-présidente. Pour ceux qui ne recherchent pas ces qualités en priorité, la rente viagère représente une excellente alternative, ajoute-t-elle.
Le produit ne peut fonctionner pour tous, convient Mme Holdsworth. Or, il peut prendre une part importante dans une planification de retraite s’il répond aux objectifs et à la sensibilité au risque du client. À ceux qui disent que le produit se destine aux clients de 55 ans et plus, Mme Holdsworth croit que même dans ce segment, le produit n’est pas fait pour tout le monde. Par contre, il y a une chose que ce produit permet d’acheter dans tous les cas, c’est la paix d’esprit, croit-elle.
Michel Fortin, vice-président occasions d’affaires et tarification, produits individuels et régimes de retraite de Standard Life, croit que M. Solomon ne traite pas de certains aspects dans son article. Par exemple, il n’explore pas selon lui les différents risques qui se posent au moment où l’investisseur accumule son fonds et le moment où il le décaisse.
L’article escamote aussi le principe d’assurance. « Déterminer l’espérance de vie n’est pas une science exacte. La garantie de retraits est importante pour ceux qui vont mourir après la moyenne. C’est une assurance pour que les gens ne survivent pas au-delà de leurs revenus », croit-il.
Le message passe auprès des conseillers. Le produit connait des ventes au-delà des espérances depuis son lancement en mai, révèle M. Fortin. Depuis leur lancement en mai, les Fonds distincts Idéal - Série Signature récoltait 18 % des actifs en matière de vente au 31 juillet. « La croissance de nos ventes comparativement à l’an passé atteint 25 % », a ajouté M. Fortin.