Médicament de Novo Nordisk approuvé en 2021 par Santé Canada pour traiter l’obésité, le Wegovy est arrivé sur le marché le 6 mai 2024. Depuis, les demandes affluent, selon certains assureurs. Les autres n’osent encore se prononcer.
Le Wegovy a pris son envol peu de temps après qu’Ozempic, aussi fabriqué par Novo Nordisk, ait défrayé la manchette en raison de pénuries. Destiné au traitement du diabète de type 2 l’Ozempic a l’effet de diminuer l’appétit, ce qui a déclenché une ruée vers ce médicament injectable. Des assureurs ont même dû prendre des mesures pour s’assurer que le médicament soit pris autrement que pour des raisons esthétiques.
Gérer son poids semble dans l’air du temps. Selon l’édition de juin de l’Indice de santé mentale publié mensuellement par TELUS Santé, près de la moitié des répondants se disent préoccupés par leur poids, soit 46 % des 3000 travailleurs qui ont participé au sondage de l’indice. Cette préoccupation affecte leur moral. Leur score de santé mentale est inférieur de 5 points à la moyenne nationale de 63,9.
Wegovy enlève de la pression
Vue l’engouement pour l’Ozempic, il ne restait plus assez de la matière première de l’ingrédient pour aller vers le Wegovy – Neda Nasseri
Dans une série de notes qu’elle a rédigées au sujet de la pénurie d’Ozempic, l’analyste politique principale de l’Institut C.D. Howe, Rosalie Wyonch a écrit que l’arrivée de nouveaux médicaments anti-obésité et l’expansion de la production atténueront probablement la pression sur l’offre.
« Toutefois, la pression financière sur les assureurs continuera de nécessiter des ajustements de couverture et de primes afin de gérer l’augmentation rapide du nombre de demandeurs et des coûts associés », prévient Mme Wyonch.
En entrevue avec le Portail de l’assurance Neda Nasseri, cheffe de produit chez Desjardins Assurances, a expliqué cette pénurie par le long délai entre l’approbation du Wegovy et sa mise en vente. « Vue l’engouement pour l’Ozempic, il ne restait plus assez de la matière première de l’ingrédient pour aller vers le Wegovy. Tout avait été mangé par l’Ozempic », relate-t-elle.
L’ingrédient actif de retour après la pénurie, la commercialisation du Wegovy a pu commencer. « Les États-Unis sont un grand marché. Beaucoup de nos portions allaient aux États-Unis », ajoute Mme Nasseri.
Comme l’Ozempic, le Wegovy est offert sous forme d’une injection sous-cutanée hebdomadaire. Il a aussi l’effet de réduire l’appétit. Ozempic et Wegovy repose sur le même ingrédient actif, le sémaglutide, un analogue du glucagon-like peptide-1 (GLP-1), une hormone intestinale sécrétée par les cellules entéro-endocrines situées principalement dans l’iléon et le côlon.
Envol du Wegovy
Vice-président principal et leader de l’assurance collective de Beneva, Éric Trudel a révélé au Portail de l’assurance des détails sur les tendances en réclamations pour le Wegovy, depuis le début de sa commercialisation au Canada le 6 mai 2024.
Beneva a reçu sa première demande de remboursement le même jour, a confié M. Trudel en entrevue avec le Portail de l’assurance.
« Nous suivons de près l’évolution des prestations de Wegovy depuis son arrivée sur le marché au Canada. L’évolution est assez spectaculaire. Nous avons déjà remboursé pour plus de 1 million de dollars (M$) de prestations en à peine 2 mois. C’est quand même beaucoup », ajoute M. Trudel.
Choix difficile…
Beneva offre aux preneurs de régimes de souscrire une clause optionnelle que l’assureur appelle « anti-obésité ». Les dépenses pour un médicament comme Wegovy sont couvertes par les régimes collectifs dotés de cette clause. « À peu près la moitié de nos assurés détiennent la clause anti-obésité, soit environ 600 000 assurés. Nos grands groupes du secteur public ont majoritairement choisi de l’adopter », souligne Éric Trudel.
Si la tendance des remboursements du Wegovy se maintient, Éric Trudel s’attend à ce qu’ils atteignent 4,6 M$ à la fin de 2024. « Si tous nos groupes avaient la clause anti-obésité, cela coûterait le double. »
À la lumière des statistiques de Beneva sur le remboursement du Wegovy, l’assureur a revu à la hausse le coût que devra absorber un groupe qui choisit d’ajouter la clause anti-obésité à son régime collectif. Éric Trudel évalue à 8 % ce que le groupe aura à payer de plus pour sa garantie d’assurance médicaments s’il ajoute la clause.
Comme la garantie médicaments tient pour la majorité des coûts d’un régime, l’ajout de la clause entraîne ainsi une hausse de 6 % des coûts totaux du régime, incluant entre autres l’assurance invalidité et vie, pour les clients de Beneva. « C’est quand même important comme coût » commente M. Trudel.
Avant l’arrivée du Wegovy, Éric Trudel souligne que Beneva estimait à 3 % la hausse du coût d’un régime complet à l’ajout de la clause anti-obésité, et à 4 % celle de la composante médicaments à l’ajout de cette clause.
… Mais promesse d’économies
Malgré tout, Beneva recommande à ses clients d’adopter la clause anti-obésité. « L’obésité est considérée comme une maladie chronique. Pourquoi couvrir quelqu’un qui fait de l’hypertension, et pas quelqu’un en obésité ? La raison principale de ceux qui disent non à la clause, c’est que la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) ne couvre pas le Wegovy », soulève Éric Trudel.
Au moment d’écrire ces lignes, un survol de la liste des médicaments couverts par la RAMQ révèle que le Wegovy en est absent. Il ne figure pas non plus à la liste des médicaments couverts par le Programme de médicaments de l’Ontario. Éric Trudel croit pourtant que l’État aurait tout intérêt à couvrir ce médicament. Marquant le passage à l’obésité, un indice de masse corporelle (IMC) supérieur à 30 entraîne souvent des problèmes cardiaques et d’arthrose, rappelle M. Trudel.
Neda Nasseri croit aussi qu’il y a énormément de bénéfices à couvrir les médicaments traitant l’obésité. « Au bout du compte, cela coûtera-t-il plus cher ? Peut-être que non, parce qu’on économisera des coûts sur l’utilisation de médicaments connexes », estime la cheffe de produit de Desjardins Assurances.
Elle rappelle que l’obésité est associée à 13 formes de cancers et aussi au diabète, à l’hypertension et à la dépression. « Pour Desjardins, l’obésité est une maladie comme une autre », affirme Mme Nasseri. Elle ajoute que couvrir un médicament pour la migraine ou l’obésité revient au même. « Le Wegovy est couvert dans nos régimes standards. Si le preneur ne le veut pas, il doit en faire la demande explicite », explique Mme Nasseri à propos du retrait de cette couverture.
Neda Nasseri ne considère pas le Wegovy comme un médicament dispendieux. Elle s’attend donc à un volume plus élevé dans l’utilisation, mais dit n’avoir rien observé d’alarmant à ce jour. « Les volumes semblent se stabiliser », ajoute Mme Nasseri.
Forte demande
M. Trudel estime le coût annuel moyen du Wegovy à 5 500 dollars. Le remboursement de 80 % de la facture du médicament à l’assuré est la formule la plus fréquente dans les régimes de Beneva. Selon M. Trudel, c’est la norme dans l’industrie. Il dit toutefois que de plus en plus de preneurs de régimes choisissent de ne rembourser que 70 % de la facture des médicaments.
La demande ne semble pas près de se tarir. « Nous voyons que le Wegovy est plus accessible et qu’il a moins d’effets secondaires que les anciennes molécules. Les médecins le prescrivent de façon importante », observe le vice-président principal et leader de l’assurance collective de Beneva.
Il rapporte que des médecins remplacent par le Wegovy les anciennes molécules telles que le médicament injectable Saxenda (liraglutide) de Novo Nordisk, ainsi que les comprimés Xénical de Roche (orlistat) ou Contrave de Bausch Health (naltrexone et bupropion). D’autres continuent selon lui de prescrire les anciens médicaments parce qu’ils n’occasionnent pas d’effets secondaires indésirables à leurs patients.
Éric Trudel définit le Wegovy comme de l’Ozempic d’un dosage plus élevé. Il a remarqué que les médecins prescrivaient le double d’une dose d’Ozempic pour traiter l’obésité. Le Wegovy a été approuvée pour des doses allant de 1,7 à 2,4 milligrammes (mg) ; l’Ozempic est pour sa part dosé à 0,5 mg ou à 1 mg.
Neda Nasseri voit aussi des assurés passer des anciennes molécules à la nouvelle. Mme Nasseri observe qu’ils tendront à les délaisser parce qu’elles sont moins efficaces ou produisent des effets indésirables, notamment des maux gastro-intestinaux.
Réponses timides des plus grands
Desjardins et Beneva détenaient respectivement 6,4 % et 6,1 % du marché canadien en 2023, selon les statistiques du Groupe Fraser, firme d’analyse du marché de l’assurance collective. Ces assureurs dominent toutefois le marché québécois. Beneva y a une part de 27,4 % et Desjardins 19,1 %.
De son côté, un porte-parole de GreenShield a répondu au Portail de de l’assurance reconnaître l’obésité comme une maladie chronique grave et complexe. « En conséquence, nous adoptons une approche globale de gestion des maladies chroniques, qui comprend l’accès à des traitements médicamenteux efficaces et fondés sur des preuves, incluant Wegovy, Saxenda et Contrave.
« Au cours des trois derniers mois, nous avons observé un mélange de réclamants passant à Wegovy après avoir utilisé des traitements médicamenteux plus anciens, ainsi que de nouveaux réclamants. Nous continuons de surveiller de près les tendances, comme nous le faisons pour tous les médicaments sur nos formulaires », a-t-il ajouté.
La question du Wegovy semble délicate pour les principaux assureurs du marché canadien. Certains ont refusé de commenter. D’autres évaluent la situation et se disent prêts à commenter plus tard.
Premier joueur de l’assurance collective en termes de part du marché, Canada Vie a transmis une brève réponse par courriel. « La Canada Vie évalue les nouveaux médicaments sur ordonnance approuvés par Santé Canada, y compris Wegovy, pour déterminer s’ils sont admissibles aux termes des différents régimes offerts. La protection est offerte selon la conception du régime applicable », a répondu son porte-parole.
Deuxième joueur du marché, Sun Life nous a renvoyé à l’Association canadienne des compagnies d’assurance de personnes (ACCAP). L’ACCAP a répondu ne pas posséder ce niveau de détails.
Troisième joueur du marché, Manuvie dit être en phase d’évaluation. « Nous pourrons peut-être partager des données dans quelques mois », a répondu Alexis Gerbeau, chef de Manuvie Québec et chef des finances, assurance collective, de Manuvie.
À Croix Bleue Medavie, le vice-président régional, Charles St-Laurent, a répondu que l’assureur ne peut commenter pour le moment « Nous sommes toujours à réviser notre position pour les conditions de remboursement de ce médicament », a-t-il précisé. M. St-Laurent se dit prêt à en discuter lorsque Croix Bleue Medavie officialisera sa position. Selon lui, elle le sera probablement vers la mi-septembre.