Les chefs d’entreprises sont des clients difficiles et exigeants, comme le sont les consommateurs. Ajoutez à cela une concurrence féroce et vous obtenez un segment d’activités où les marges de profits sont minces, et ce, malgré l’expertise reconnue des courtiers.Patrick Lapointe, de GPL Assurance, remarque que, pour bien des polices vendues aux PME, le courtier ne tire que quelques centaines de dollars de revenu. « On ne peut pas offrir une très large gamme de services pour ce genre de police », dit-il.

« Pour beaucoup de clients dans les PME, les assurances représentent une dépense, et pas un service. Quand je les rencontre, je leur rappelle qu’en s’assurant adéquatement, ils investissent dans la pérennité de leur patrimoine familial », note Luc-André Lussier, vice-président, assurance des entreprises, de Lussier Cabinet d’assurances et services financiers. La valeur du rôle du courtier est mal perçue, poursuit-il, et l’évolution récente des affaires dans l’industrie de l’assurance n’aide guère le réseau de courtage.

Mathieu Brunet, directeur du développement des affaires au cabinet MP2B, croit aussi que la situation est très variable selon les segments d’activités. Dans le cas du cautionnement dans l’industrie de la construction, il estime que les entrepreneurs sont bien au fait de la valeur du courtier, lequel peut leur faire économiser de bonnes sommes.

Tous les courtiers ont des anecdotes à raconter sur des clients commerciaux perdus au profit d’assureurs directs. Patrick Lapointe cite le cas de l’exploitant d’une station-service qui avait été approché par un assureur direct. « Nous avons réussi à garder le compte parce que l’assureur direct ne couvrait pas une partie du risque, mais nous avons dû baisser la prime. Pour le bon conseil offert au client, nous nous retrouvons avec moins de revenus. »

Glen Bates, vice-président principal de RSA Assurance au Québec, affirme que le défi principal des assureurs à courtage est de bien concevoir leurs produits afin qu’ils soient offerts au meilleur cout possible et dans les délais les plus brefs.

« Nous avons connu les ratés du portail unique pour les assureurs à courtage. Ça n’a pas marché. Il y a eu ensuite des logiciels, des agrégateurs, mais rien n’est parfait. Nous ne sommes pas à armes égales avec les assureurs directs. Le cadre légal joue en notre défaveur », juge Luc-André Lussier.

Michel Cantin, du Groupe Cantin Gagnon, constate que les exigences posées aux courtiers sont plus élevées. « L’assureur direct se limite à demander le chiffre d’affaires alors que nous devons remplir des questionnaires complexes, même pour de très petites entreprises. La simplicité joue là aussi. »

Patrick Lapointe estime que la notoriété de l’assureur bancaire a plus d’importance pour conclure une vente que le lien de confiance qu’il maintient avec la clientèle.

Marc-Antoine Bernier reconnait que la clientèle des très petites entreprises (TPE) est graduellement laissée aux assureurs directs, qui sont plus en mesure de rentabiliser des polices à prime peu élevée. « On en fait encore, mais il faut savoir quand arrêter les frais. Les courtiers ne peuvent plus perdre trop de temps à vendre une police dont la prime est inférieure à 1 500 $, sinon ils mangent tous leurs profits. »

Selon Luc-André Lussier, les assureurs directs ont l’avantage d’offrir un produit simplifié qui s’adresse aux petites et aux très grandes entreprises. « Les assureurs directs sont déjà bien outillés pour gagner les clientèles dont les besoins sont simples. » C’est ce qui leur permet d’assurer autant le propriétaire d’une seule bâtisse commerciale que la société immobilière qui gère plusieurs bâtiments. « Le produit reste le même, c’est juste la prime qui est plus grosse », dit-il.

Le caractère intangible du papier

« Je trouve cela fascinant que l’on ne soit pas capable de mieux vendre la valeur du service-conseil offert par les courtiers. Si un avocat ou un comptable t’offre ses services à la moitié du tarif horaire des autres, tu vas te méfier. C’est pourtant ce que font les clients en assurance commerciale », lance Denis Allard, directeur des ventes aux entreprises au Québec chez RSA Assurance.

Michel Cantin reconnait que la valeur du courtage est peu connue. « Mon propre comptable me coute 25 % plus cher qu’un autre, mais je le garde, car j’ai pleinement confiance en lui. » L’assurance est un produit intangible dont la valeur demeure inconnue tant que le client n’a pas connu de sinistre, note M. Cantin. « Nous vendons du vent », dit-il, ajoutant que cela trahissait une certaine méconnaissance du risque.

« Il n’y a pas de prix minimum en assurance », déplore Vincent Gaudreau, président d’Assurance Gaudreau Demers. On peut vendre la couverture à prix réduit et, tant qu’il n’y a pas de réclamation, l’assureur fait de l’argent. Selon lui, il y a trop de joueurs dans l’industrie qui offrent l’assurance au rabais et tuent le marché.

Selon Patrick Lapointe, le courtier travaille justement pour que son client n’ait jamais besoin de faire une réclamation. Et il l’aide à faire de la prévention pour limiter les dégâts en cas de sinistre, dit-il.

Marc-Antoine Bernier, vice-président du Groupe Viau, reconnait le paradoxe chez les TPE. Les très petites entreprises n’ont pas toutes les ressources pour survivre après un sinistre si la période d’interruption des affaires se prolonge.

Il faut donner plus d’exemples de réclamations, note Michel Cantin, et les assureurs sont en mesure d’appuyer les courtiers en ce domaine. « Nous vendons ainsi plus de polices en assurance responsabilité des administrateurs et dirigeants qu’il y a cinq ans », dit-il.

Une expertise reconnue

L’expertise des courtiers en matière de couverture du risque est reconnue, mais elle prend du temps à percer dans les segments plus serrés de l’assurance commerciale, ajoute Patrick Lapointe.

Si une partie de la clientèle sous-assurée ignore la valeur des couvertures et l’ampleur des risques couverts, l’autre partie n’a tout simplement pas les moyens d’acheter le produit qu’on lui offre, affirme Luc-André Lussier. « Comme courtier, si j’ai à vendre différentes protections au client, je commence par la protection du bâtiment (feu, eau), puis les équipements, sans oublier l’utilisation de l’automobile à des fins commerciales. Ensuite, on a la responsabilité civile et la protection contre le crime. Si on ajoute les pertes d’exploitation ou le risque cybernétique, on vient de perdre le client », dit M. Lussier.

Très actif dans les médias sociaux, Vincent Gaudreau dit que c’est souvent là qu’il apprend l’acquisition d’un concurrent ou d’un gros équipement par l’entreprise qui est sa cliente. Il n’arrive jamais qu’on l’appelle avant l’annonce pour vérifier la couverture d’assurance. « Nous devons adapter notre offre de service aux besoins des clients. On n’a pas besoin d’appeler tout le monde plusieurs fois par année », insiste Vincent Gaudreau.

Patrick Lapointe parle de la vive concurrence pour les nouvelles affaires. « Nous misons tous, pour développer notre chiffre d’affaires, sur les nouveaux comptes. Or, pour une entreprise que j’approche et dont la prime est entre 10 000 $ et 15 000 $, je découvre souvent que je suis le troisième ou le quatrième courtier à la contacter. » Les autres courtiers aussi vivent la même situation.

Michel Cantin constate que les contrats multirisques sont mieux garnis qu’avant et couvrent mieux les besoins des clients commerciaux. « Avant, la couverture standard était minimale et il fallait ajouter des protections à la carte », dit-il. Les clients ne sont « pas assez » conscients de la valeur des services rendus par le courtier, reconnait-il.

Glen Bates rappelle que bon an, mal an, de 5 à 7 % des clients de l’assureur utilisent le produit et font une réclamation. Pour les autres, « ce n’est qu’un papier. Cela dit, si tout le monde utilise le produit, nous avons un problème ».

Parler aux clients

Luc-André Lussier insiste sur le besoin de multiplier les occasions pour reprendre contact avec la clientèle. « Nous faisons de gros efforts en ce domaine. Chaque fois que nous utilisons un point de contact, nous glissons de l’information. » Il arrive ainsi que le produit offert corresponde à un besoin auquel le client a pensé en raison d’un sinistre survenu ailleurs et ayant fait les manchettes.

Michel Cantin rappelle qu’au Saguenay–Lac-Saint-Jean, deux établissements scolaires ont été incendiés dans la dernière année. Cela lui donne des munitions et des arguments pour aller faire la tournée des plus gros clients et leur rappeler les problèmes reliés aux limites insuffisantes.

« En assurance des particuliers, ça fait des années qu’on nous prédit la fin du réseau à courtage, fait observer Vincent Gaudreau. Nous sommes encore là. C’est la même chose pour la PME et la TPE. Nous sommes plus polyvalents, plus présents dans la communauté. Nous avons des avantages, dans le réseau de courtage, que les assureurs directs n’auront jamais. »

« Desservir la très petite entreprise, c’est comme produire de la saucisse. Le processus doit être simple, il faut que ça sorte rapidement, tu as un ou deux fournisseurs privilégiés pour t’aider là-dedans, souligne Mathieu Brunet. Cela dit, je trouve qu’on ne parle pas assez du reste de nos clients. Nous passons tout de même 80 % de notre temps à monter des dossiers pour des clients dont la couverture est plus complexe », des clients qui n’intéressent pas l’assureur direct, poursuit-il.

Parmi les avantages liés aux assureurs à courtage, l’efficacité de la couverture et la rapidité du règlement de sinistre devraient être mis de l’avant, estiment plusieurs courtiers. « On parle beaucoup des 8 milliards de dollars (G$) de primes que les clients paient, mais on ne parle pas des 7 G$ que les assureurs paient. Le public en général ne sait pas que la tragédie de Lac-Mégantic a couté 30 M$ à Intact Assurance », souligne Vincent Gaudreau.

Le courtier doit jouer son rôle en matière de prévention des sinistres, selon Denis Allard. Les gestionnaires de PME aiment entendre parler de prévention quand on leur fait valoir la possible réduction de leur prime d’assurance. « Je pense qu’il faut arriver au point où l’on fait de la prévention pour éliminer tout risque de sinistre », ajoute-t-il.

Marc-Antoine Bernier note que, même dans les entreprises bien structurées, les courtiers peuvent apporter leur expertise en matière de prévention. Les courtiers qui gèrent des comptes à plus gros risque sont capables de faire le travail, souligne Mathieu Brunet. Cependant, ce travail de prévention est plus difficile à faire chez les petits commerçants, chez qui les marges de rentabilité sont très minces, dit Patrick Lapointe.