La société française Shift Technology a développé une plateforme entièrement dédiée à la détection de la fraude en assurance par l’intelligence artificielle. L’entreprise compte déjà une cinquantaine de clients dans 25 pays. Elle veut bientôt s’implanter au Canada.

Samuel Falmagne est responsable du développement à l’international chez Shift Technology. Il était de passage à la récente édition d’Insurtech Québec.

Shift Technology a été fondée en 2014 par trois jeunes entrepreneurs, dont deux terminaient un stage chez l’assureur AXA. Ils ont vu la difficulté de modéliser les types de fraudes. Ils ont trouvé un associé et lancé l’entreprise à partir de Paris.

La technologie développée par Shift est axée sur la détection de la fraude lors des réclamations après sinistre. Selon M. Falmagne, on estime la fraude aux assureurs à 3 milliards de dollars (G$) par année au Canada, et à plus de 40 G$ aux États-Unis. « On veut aider les assureurs à détecter la fraude, mais aussi à mieux servir les clients honorables réellement victimes d’un sinistre. »

Miser sur la modélisation

La majeure partie du personnel de Shift est formée de spécialistes de l’analyse de données et de mathématiciens détenteurs d’un doctorat. Tous ces gens développent des algorithmes grâce au progrès constant en intelligence artificielle. Ils ont réussi à modéliser le travail d’enquête, la collecte des indices et le cheminement intellectuel qui amènent les experts en sinistre à conclure à la possibilité d’une fraude.

La plateforme développée par Shift, nommée FORCE Fraud Detection Solution, est basée sur une large variété de scénarios classiques de fraude. Chaque réclamation est ainsi affublée d’une note qui correspond à la probabilité d’une fraude.

En plus du score, l’outil fournit aussi les raisons qui déterminent la probabilité d’une fraude. « On présente le scénario le plus probable utilisé par le fraudeur, ainsi que les éléments tirés des données qui nous permettent d’arriver à cette conclusion », dit M. Falmagne.

Données croisées

On utilise les données fournies par l’assureur, mais on les croise aussi avec les autres sources d’information qui permettent de valider ou non les déclarations des victimes du sinistre. On fait ainsi l’analyse des données très structurées de sources internes ou externes, comme l’information GPS du véhicule ou des données cellulaires, les données météorologiques, ou des données non structurées, comme les rapports de police, les enregistrements de centres d’appels, des photos, des documents PDF et autres.

« Les assureurs collectent une quantité importante de données. Tout le défi est de leur donner un sens », dit-il.

La plateforme permet de nettoyer les données en éliminant les doublons et en débusquant les erreurs à l’étape de la collecte, de la simple coquille typographique au fait erroné.

Enfin, l’outil de détection de la non-fraude permet d’automatiser le processus de règlement des sinistres. « Certains clients viennent chez nous juste pour cette fonction », précise M. Falmagne.

Shift a créé une véritable bibliothèque de scénarios de fraude. On peut ainsi vérifier si les stratégies d’un réseau de fraudeurs en assurance automobile dans un pays donné peuvent avoir été récupérées ailleurs dans le monde.

Les alertes sont envoyées par l’entremise d’une plateforme sur Internet. Pour chaque bloc de 100 alertes émises par Shift, les fraudes réelles sont en moyenne de 75 %. Chez les premiers clients où la plateforme a été installée depuis plus longtemps, le taux de pertinence atteint même 90 %. On a aussi beaucoup éliminé les « faux positifs », un problème fréquent chez les modèles automatisés, ajoute-t-il.

Croissance rapide et soutenue

Déjà 120 personnes travaillaient chez Shift Technology au début avril. Ce nombre devrait grimper à 200 d’ici la fin de l’année. On travaille aussi à développer un deuxième produit axé sur le traitement des réclamations qui ont passé la première étape où les algorithmes d’apprentissage n’ont pu détecter aucun schéma bien établi de fraude à l’assureur.

Shift a réussi à lever quelque 40 millions de dollars US (M$) en capitaux pour financer son développement, dont 28 M$ en octobre 2017 auprès d’un groupe d’investisseurs institutionnels. Avec des clients établis dans 25 pays, la plateforme de Shift a permis de traiter déjà un bloc de plus de 90 millions de réclamations en assurance auto, habitation ou voyages, de même que 400 millions de réclamations en couverture de soins de santé.

Pas à vendre

Bon nombre de startups cherchent à se faire acheter par des assureurs, mais ce n’est pas l’ambition de Shift Technology, souligne Samuel Falmagne. Les actionnaires visent à obtenir une capitalisation boursière d’au moins un milliard de dollars. « Nous visons à faire un premier appel public à l’épargne d’ici deux ou trois ans. Nous sommes en bonne voie d’y arriver. Cela sera plus facile grâce à de futurs clients canadiens », dit-il.

Shift n’arrivera toutefois pas en terrain inconnu au Canada. La firme de développement technologique V-NEO, établie à Québec, a connecté une « version vanille » de la plateforme Guidewire, utilisée par plusieurs de dommages, avec la plateforme d’analyse de données de Shift. L’interface ainsi développée peut déjà être implantée chez l’assureur canadien tenté par l’outil de Shift.