Le manque d'encadrement entourant les garanties de remplacement a ouvert la porte à un nouveau produit : la garantie de marquage, aussi connue sous le nom de marquage en garantie ou de garantie antivol. En plus d'imposer un dirigisme à ses clients, ce produit incite au vol, craignent des intervenants interrogés par le Journal de l'assurance.Des fournisseurs de systèmes antivol proposent des garanties de marquage avec leur produit. C'est le cas de Globali.com, de l'entreprise Roy Speed Ross, établie à Burlington en Ontario, et de DataDot, qui fait affaires au Québec par l'entremise de Leader Auto Ressources (LAR), établi à Pointe-Claire.

Le Journal de l'assurance a obtenu divers contrats de garantie de marquage. La garantie est payable conjointement à l'assuré et au concessionnaire automobile si le véhicule est volé, ce que déplore des intervenants de l'industrie de l'assurance et d'organismes de protection des consommateurs.

Celle offerte par Globali.com offre une indemnité de 4 000 $ et couvre le véhicule pour une période allant jusqu'à cinq ans, tandis que celle de LAR offre 3 000 $, pour une durée inconnue. Le marquage de Globali.com se fait à l'aide d'autocollants enduits d'une substance chimique, qui une fois apposés, sont invisibles à l'œil nu et repérable uniquement avec une lumière UV. DataDot fonctionne avec des micropoints de la grosseur d'un grain de sable. Globali.com a aussi ajouté cette technologie à son marquage d'origine.

Bien souvent, les concessionnaires marquent toutes les autos de leur parc avec ces produits pour se protéger contre le vol et souscrivent la garantie pour chaque véhicule. Comme le système de marquage est déjà installé lors de la vente du véhicule, les concessionnaires tentent de transférer la garantie au client. En cas de vol, le client doit ainsi se représenter chez son concessionnaire d'origine pour remplacer son véhicule et se prévaloir de la garantie.

Advenant un vol, le propriétaire du véhicule ou le concessionnaire automobile qui a acheté la garantie doivent fournir certaines preuves pour se prévaloir de celle-ci. Ils doivent entre autres fournir le numéro du rapport de police confirmant le vol, une preuve que le propriétaire du véhicule a été indemnisé par son assureur, le contrat de vente du véhicule et une copie de l'acte de vente du véhicule.

Roy Speed Ross demande aussi que l'acte de vente spécifie que l'indemnité de 4 000 $ destinée au consommateur soit transférée au concessionnaire qui la convertira en rabais lors de l'achat de la nouvelle auto.

Une entreprise de Pierrefonds, Intracep, va même jusqu'à offrir une indemnité de 5 000 $ pour son système de marquage Autographe Invisible. Le concessionnaire automobile H. Grégoire, établi à Saint-Eustache, a aussi suivi le mouvement. Le Journal de l'assurance a obtenu une copie d'un certificat de garantie de marquage dans lequel il offre une indemnité de 5 000 $ pour son produit Antivol Silencieux. Dans certains cas, les contrats émis par ces entreprises indiquent que les dommages partiels doivent obligatoirement être réparés chez le concessionnaire d'origine.

Plusieurs intervenants contactés par le Journal de l'assurance y voient une forme de dirigisme. George Iny, président de l'Association pour la protection des automobilistes (APA), est de ceux-là. M. Iny a fait une analyse de contrats de garantie de marquage et affirme qu'il est difficile de s'y retrouver.

« Il y a une forme de dirigisme dans ces produits. Ça serait permis dans le cas d'une garantie, mais pas dans le cas d'une assurance. À titre d'exemple, un garant peut faire appel à un tiers pour exécuter la garantie.

Techniquement, l'assureur ne fait pas ça. Il dédommage le client. Le client est le consommateur qui a payé pour le produit. Dans le cas des garanties antivol, ce n'est pas toujours évident de savoir qui est le client. On a l'impression que le client est un tiers dans certains des contrats, car on a l'impression qu'il a acheté la garantie pour le concessionnaire. C'est hallucinant », dit-il.

En plus, M. Iny ajoute que la terminologie utilisée dans les certificats de garantie de marquage ne se retrouve nulle part ailleurs, autant en assurance qu'en garantie.

« Le consommateur, c'est-à-dire la personne qui a payé pour la protection, est appelé propriétaire subséquent. C'est quand même intéressant de voir dans ces contrats que le concessionnaire serait le propriétaire initial. Imaginez, on vous vend quelque chose et vous être le propriétaire subséquent, mais c'est vous qui payez pour le propriétaire initial. On ne voit ni les mots "assuré" ou "garant" pour identifier l'acheteur comme dans n'importe quel contrat d'assurance ou de garantie. C'est un peu bizarre », dit-il.

Manque d'encadrement

Georges Iny dit que le problème des garanties de marquage découle du manque d'encadrement des garanties de remplacement.

« Souvent, les gens ne lisent pas les documents qu'on leur remet après l'achat d'une telle garantie. C'est lors d'une réclamation qu'ils vont se rendre compte qu'il y a une faille dans la documentation. C'est même une problématique dont on vient de se rendre compte. Le problème des garanties de marquage est un enfant né du manque de réglementation des garanties de remplacement. Le virus a commencé avec ça. Ça a permis à des concessionnaires autos, qui ne sont ni des courtiers ni des agents, de vendre des produits qui sont de la nature d'une assurance, mais qu'on appelle garantie », dit-il.

M. Iny croit que l'Autorité des marchés financiers se penchera sur le dossier des garanties de marquage plus rapidement qu'elle ne l'a fait pour le dossier des garanties de remplacement. Si une analyse du produit se fait, le président de l'APA croit que le régulateur arriverait à des conclusions similaires à celles trouvées pour la garantie de remplacement.

« Techniquement, ici, la personne n'a pas acheté une couverture, mais plutôt un produit qui comprend une garantie. Il y a une étape de plus à franchir ici, soit percer le langage du contrat pour se rendre compte que finalement, la garantie est de la nature d'une assurance. De plus, dans le marketing des garanties de marquage, on vend celle-ci comme une assurance qu'on ajoute à l'achat d'un autre produit, soit le système de marquage. Les deux produits présentent plusieurs similitudes avec les produits d'assurance. Si on les définit comme une garantie, il y a plusieurs pratiques abusives dans leur application actuellement », dit-il.

M. Iny adresse une mise en garde supplémentaire en ce qui a trait aux garanties de marquage. Si le consommateur n'a pas acheté une couverture d'assurance suffisante, il pourrait avoir acheté une garantie bidon, puisque le véhicule doit être assuré adéquatement pour se prévaloir de la garantie, prévient le président de l'APA.

« On pourrait dire que l'objet même du contrat est tellement vicié que vous n'avez rien acheté. On n'est pas loin de ça. Si ça arrivait, techniquement, peut-être que les gens auraient droit à un remboursement, mais il faudrait convaincre un tribunal qu'on n'a rien acheté. Mon espoir est que cette problématique ou ces questions-là deviennent des hypothèses lorsque l'Autorité aura fini son travail sur l'encadrement des garanties de remplacement », dit-il.

Incitatif au vol

Le dirigisme n'est toutefois pas le pire scénario que les garanties de marquage pourraient amener. Selon les intervenants interrogés par le Journal de l'assurance, ces produits peuvent ouvrir la porte au vol. Un concessionnaire auto mal intentionné et ayant des problèmes financiers pourrait faire affaire avec le crime organisé, lui donner les adresses de clients à qui il a vendu des véhicules et faire voler ceux-ci pour toucher les indemnités qui y sont liées. En plus, il toucherait ainsi les profits liés au remplacement du véhicule du client.

Joey Ouellet, directeur du service d'enquête du Bureau d'assurance du Canada, croit que cette possibilité existe. « Si le marqueur offre une compensation au concessionnaire, je n'aime pas ça. J'aimerais mieux que ce soit l'assuré qui reçoive la compensation ou celui qui a fait marquer. C'est l'assuré qui va avoir un déductible à payer s'il se fait voler son auto. On ne peut récompenser le concessionnaire », dit-il.

M. Ouellet craint que cette façon de faire représente un incitatif au vol. « La vente d'autos va devenir plus difficile. Si le vendeur a besoin de faire une commission, il sait à qui il a vendu ses chars. Si son client se fait voler, il a une récompense et il va lui vendre un autre char. En plus, le concessionnaire est payé pour marquer. Il collecterait donc de partout.

Toutefois, si le système est installé par le concessionnaire, je n'ai pas de raisons de douter de lui. Il doit toutefois avoir été formé par le marqueur », dit-il.

Georges Iny dit aussi qu'un tel scénario de vol est imaginable. « Les concessionnaires nous ont dit qu'ils aiment ces produits, parce que c'est un profit garanti s'ils le mettent sur toutes les autos. De plus, s'il y a du vol sur leur terrain, ils sont couverts par leur franchise. Techniquement, ça veut dire que leur client paie pour assurer une partie du véhicule du moment qu'il est sur leur terrain. C'est un conflit, ça ne devrait pas être toléré. C'est dommage qu'un produit comme l'antivol soit envahi de protections qui présentent autant de conflits », dit-il.

Pas de pitié

Maurice Charbonneau, avocat pour Charbonneau conseils et spécialiste du droit de l'assurance, doute qu'une telle chose puisse survenir, mais estime qu'elle est possible. Toutefois, il dit n'avoir aucune pitié pour le distributeur de systèmes de marquage qui serait victime d'un tel stratagème.

« Il se doit de connaître son marché de concessionnaires. L'intérêt pour le concessionnaire n'est pas de recevoir un montant. Il prend un engagement par rapport à un client. Il a une responsabilité contractuelle envers lui. C'est comme une police indemnitaire de risque. Il s'indemnise contre les dommages qu'il aurait fait subir à son client. Recourir à une fraude serait tuer la poule aux œufs d'or. S'il fait ça, il se brûle dans le marché », dit-il.

Pour sa part, Marquage Antivol Sherlock, un système approuvé par plusieurs assureurs, a décidé de se tenir loin de ce type de garantie. Sherlock offre plutôt une compensation à ses clients et n'offre rien aux concessionnaires automobiles. Si un véhicule marqué Sherlock est volé moins d'un an après son marquage, le client recevra une indemnité de 2 000 $. Un vol survenu après moins de deux ans lui procurera 1 000 $ et un vol survenu après moins de trois ans lui procurera 500 $.

Toutefois, si c'est un assureur qui a payé le marquage, aucune compensation n'est offerte à l'assuré.

« Nos compétiteurs offrent de remettre une indemnité conjointe qui peut atteindre 5 000 $ et qui fait que le consommateur est lié au concessionnaire d'origine. C'est du dirigisme et le consommateur n'est pas bien protégé, car ça ne donne rien au client. Au-delà de ça, c'est une incitation au vol », dit André Drolet, de Sherlock. M. Drolet est aussi président d'Info-Crime Montréal.

Le Journal de l'assurance a joint par téléphone et par courriel les firmes vendant des garanties de marquage offrant une indemnité à des concessionnaires automobiles en cas de vol. Seul Roy Speed Ross a accepté de discuter de sa garantie de marquage en entrevue avec le Journal de l'assurance. Leader Auto Ressources, Intracep et H. Grégoire ne l'avaient pas fait au moment de clore la présente édition.

Le Journal de l'assurance s'est ainsi entretenu avec Brain Vaile, directeur du développement de produits et du marketing chez Roy Speed Ross. Sa compagnie fait affaire avec 700 concessionnaires automobiles au Canada, dont 70 au Québec. M. Ross a expliqué au Journal de l'assurance comment fonctionnait la garantie de marquage de sa compagnie.

Conditions

Globali.com est tout d'abord destiné aux concessionnaires automobiles, qui peuvent faire marquer tous les véhicules de leur parc automobile. S'il y a un vol sur le terrain du concessionnaire, Roy Speed Ross lui verse une indemnité de 4 000 $, parce que l'entreprise considère que son produit de marquage n'a pas fait son travail. Le concessionnaire doit toutefois respecter certaines conditions, dont identifier le véhicule avec des autocollants fournis par Roy Speed Ross et enregistrer les véhicules sur le site Internet de l'entreprise.

Lorsque le véhicule est vendu à un consommateur, ce dernier a le choix de prendre la garantie ou non qui accompagne Globali.com. Si le consommateur se fait voler son véhicule, il doit présenter une preuve d'indemnisation de son assureur pour appliquer l'allocation de remplacement de 4 000 $ pour le nouveau véhicule. Il ne touche aucun montant. Son concessionnaire lui offrira plutôt un rabais équivalent sur son nouveau véhicule. Roy Speed Ross verse ensuite la somme de 4 000 $ au concessionnaire en guise de compensation.

Le Journal de l'assurance a demandé à Roy Speed Ross si son produit Globali.com pouvait ouvrir la porte au vol auto. « Originalement, on versait la compensation de 4 000 $ au client et on s'est retrouvé avec plusieurs vols sur les bras, a expliqué M. Vaile. Nos souscripteurs nous ont dit qu'on devait changer notre manière de faire.

Maintenant, nos clients doivent remplacer le véhicule et ils obtiennent un certificat leur donnant un rabais de 4 000 $ pour l'achat d'un nouveau véhicule. Nous sommes donc allé vers une allocation de remplacement pour mitiger le risque de vol, car nous avions l'impression qu'offrir un paiement directement au consommateur pouvait ouvrir la porte au vol. »

Pour se faire indemniser, le consommateur doit retourner chez le concessionnaire d'origine, ajoute M. Vaile. Toutefois, si le client a eu une mauvaise expérience chez le concessionnaire ou si ce dernier a fermé ses portes, il peut transférer sa garantie à un autre endroit. Il s'agit toutefois de cas exceptionnels. Il peut aussi changer de concessionnaire s'il a déménagé à au moins 400 kilomètres du concessionnaire d'origine.