Les bas taux d’intérêt pressurisent depuis des années la rentabilité de la vie universelle à cout d’assurance nivelé. Si la forte concurrence a freiné le gros bon sens pendant un temps, les manufacturiers n’avaient plus le choix. Les taux à long terme ont fini par dicter leur loi.Fondé sur de vieilles hypothèses actuarielles, le produit d’’assurance vie universelle à cout nivelé était en manque d’un sérieux dépoussiérage pour retrouver le chemin de la rentabilité. Après avoir atteint un creux en 2008, les taux d’intérêt à long terme sont à nouveau passés sous le seuil des 3,5 % avant les Fêtes. Cette énième baisse a achevé de convaincre les actuaires. Un joueur majeur a haussé ses prix en décembre. Plusieurs autres ont suivi.
Les taux d’intérêt à long terme guident les actuaires dans la tarification des produits permanents à primes garanties. C’est le cas de la vie universelle à cout nivelé. Dans les premières années, les primes reçues des assurés sont plus élevées que les réclamations à payer. Vingt, trente ou quarante ans plus tard, c’est le contraire. Un assureur devra donc investir les primes des premières années dans des obligations gouvernementales de longue durée pour combler l’écart à venir.
Cette approche prudente est aussi le lot d’autres produits permanents tels l’assurance vie entière avec participations et de l’assurance temporaire 100 ans (T100). Peu influencée par les taux d’intérêt, l’assurance vie universelle à cout renouvelable annuellement (TRA) échappe à la hausse. Ce produit temporaire à court terme est en fait tarifé de façon à suivre l’évolution de la courbe de mortalité.
Conscients du manque de rentabilité des produits à cout nivelé, les assureurs songeaient depuis longtemps à hausser les prix. Plusieurs joueurs n’avaient pas revu leurs hypothèses de taux d’intérêt depuis le milieu des années 1990.
Le 4 décembre, la Financière Manuvie a effectué une hausse de son cout nivelé. Si elle n’est pas la première à le faire, elle est la première à créer un tel effet d’entraînement. Entre autres, l’Industrielle Alliance a procédé à une hausse du cout nivelé le 17 janvier. La Financière Sun Life a suivi le 28 janvier. Empire Vie a annoncé qu’il ferait de même quelque part au premier trimestre. C’était au tour de Canada-Vie le 7 février.
« Nous voyions les taux à long terme baisser à chacun des neuf premiers mois de 2010. C’était devenu clair que les taux ne reviendraient pas aux niveaux du passé. Toutefois, le marché est très concurrentiel. Quand un a décidé de hausser, les autres se sont dit “enfin” », a confié Yvon Charest, président et chef de la direction de l’Industrielle Alliance, au Journal de l’assurance. Il croit qu’avec cette hausse généralisée, l’industrie a réglé son problème de taux d’intérêt pour 2011.
Pour sa part, Sun Life explique ainsi la hausse à ses conseillers sur son site Web : « De mémoire récente, le rendement sur les obligations à long terme est à son plus bas. […] Ces conditions persistantes pressurisent la marge de rentabilité du cout garanti nivelé des produits d’assurance. […] Nous agissons donc pour assurer à nos clients, nos conseillers et nos actionnaires que nos produits maintiennent leur valeur. »
Transamerica Vie Canada avait déjà agi l’été dernier, mais son initiative était passée relativement inaperçue. L’assureur a rajusté le cout nivelé de sa vie universelle pour les montants d’assurance allant jusqu’à 500 000 $. Standard Life avait pour sa part haussé son cout nivelé
il y a cinq ans, pour des motifs de rentabilité.
Hausse de 8 à 10 %
Pour sa part, la hausse de Manuvie a touché les produits Innovision, Sécurité, UltraVision et Vie universelle à paiements limités. « La hausse moyenne atteint 10 % selon le produit, l’âge et le sexe. Elle est plus prononcée pour les polices conjointes au dernier décès, pour les assurés plus jeunes et les femmes. Elle est par contre moins prononcée chez les hommes et les personnes plus âgées », révèle Steven Parker, vice-président adjoint, marketing, produits d’assurance vie individuelle et prestations du vivant chez Manuvie.
Le 1er avril, Manuvie révisera aussi les garanties sur les options de placement à long terme de ses polices universelles. Elle réduira alors les taux garantis de 50 points de base. Par exemple, le taux d’intérêt garanti sur l’option 20 ans passera de 3 % à 2,5 %. Au cours du premier trimestre, l’assureur devait aussi augmenter le prix de ses produits T100 Signet et Temporaire Famille.
La hausse en vie universelle à cout nivelé était devenue inévitable, poursuit M. Parker. « Le cout nivelé n’avait pas été revu depuis 15 ans. C’était devenu insoutenable du point de vue de la rentabilité. Avec cette hausse, la tarification de ces produits s’ajuste davantage à l’environnement économique actuel », dit-il.
Par exemple, lorsque Manuvie a lancé le produit Innovision en 1994, l’assureur pouvait profiter d’obligations du gouvernement canadien 20 ans à 8,7 % d’intérêt. « Pour un non-fumeur de 45 ans, la police universelle nivelée coutait alors 7 500 $ par année en termes de prime d’assurance pure. Juste avant la hausse de fin d’année, elle en coutait 7 400 $, Pendant ce temps, les taux d’intérêt ne sont plus la moitié de ce qu’ils étaient », illustre M. Parker.
À l’Industrielle Alliance, Yvon Charest estime que la hausse se situe dans une fourchette de 8 à 10 % pour les produits Genesis et Genesis-IRIS. « Depuis longtemps, il y avait de petits mouvements de taux à gauche et à droite. On peu maintenant parler d’un virage majeur », dit-il.
Les agents généraux croient que le produit d’assurance vie universelle à cout d’assurance nivelé répond à un besoin spécifique, que même une hausse des prix ne peut faire disparaitre. Certains prévoient toutefois réorienter leurs affaires dans ce segment vers les fournisseurs qui n’auront pas encore procédé à la hausse.
La vie universelle constitue un produit majeur dans le succès des agents généraux. Selon LIMRA, la vie universelle a représenté 45 % des ventes du réseau des agents généraux durant cette période, l’assurance temporaire 31 % et l’assurance vie entière 24 %. Soumis à la pression des bas taux d’intérêt, le produit d’assurance vie universelle à cout nivelé (prime garantie), commence l’année avec une hausse moyenne de 10 % chez plusieurs joueurs majeurs. Mauvaise nouvelle pour les MGA ?
« En ce qui nous concerne, cette hausse ouvrira la porte à encore plus d’occasions de vente en assurance vie entière, un produit particulièrement en croissance chez nous depuis deux ans », dit le vice-président ventes au Groupe Cloutier, Patrick Cloutier.
Selon lui, plusieurs produits de type permanent pourraient profiter de la hausse du cout nivelé. Il dit que ce sera le cas pour les polices à durée de paiement limitée, le produit de vie entière avec participations et les temporaires 100 ans avec valeurs de rachat.
Pour sa part, Lorne Marr n’hésite pas à regarder ailleurs. « La plupart des compagnies ont augmenté leur prix en vie universelle à cout nivelé, mais pas toutes. Cela a créé plus d’écarts que jamais entre les fournisseurs. Les ventes de vie universelle à cout nivelé seront redirigées vers ceux qui n’ont pas augmenté leurs prix », observe le président de l’agent général LSM Insurance, établi à Markham en Ontario.
Au moment de l’entrevue réalisée le 27 janvier dernier, M. Marr lorgnait du côté d’Assomption Vie, de BMO Assurance et de RBC Assurances, qui n’avaient pas encore augmenté les prix, selon lui.
Il estime aussi que le produit de vie entière est devenu attrayant à la suite de cette hausse des prix généralisée. Ce produit dont la tarification tend habituellement vers celle des polices à cout nivelé n’a pas été affecté par les hausses. M. Marr s’attend toutefois à ce que les produits T100 suivent à la hausse.
Toutefois, ce ne sont pas tous les joueurs qui pourront suivre le mouvement à la hausse, que ce soit en vie universelle ou en temporaire 100 ans, pense-t-il. « Les plus petites compagnies pourraient ne pas le faire parce qu’elles savent que changer un produit coute cher. C’est plus facile à faire pour les gros joueurs », croit M. Marr.
Le président de LSM Insurance a qualifié les ventes de son cabinet de très bonnes en novembre et décembre, surtout en vie universelle à cout nivelé. Il croit toutefois que les ventes de ce produit pourraient baisser un peu en 2011. Il ne s’inquiète pas outre mesure puisqu’il rappelle que les hausses du cout nivelé ne sont pas énormes : peut-être de 6 % à 7 % dans l’ensemble.
PDG de Force financière Excel, James McMahon attend de voir la fin du premier trimestre avant de se prononcer sur l’effet de la hausse des prix sur les ventes. Des dossiers d’assurance vie universelle corporatifs entrepris en fin d’année commenceront d’ailleurs à se concrétiser au début de 2011. « Présentement, les ventes sont excellentes, mais il faudra attendre de voir l’impact des hausses faites par les assureurs sur les dossiers qui devaient se conclure dans les prochains mois », explique-t-il.
Les conseillers d’Excel connaissent actuellement un fort début d’année avec le produit d’assurance vie universelle à cout nivelé, dit M. McMahon. Ils appellent leurs clients avec qui ils avaient entamé des dossiers, et qui ont soumis une proposition d’assurance vie universelle à cout nivelé avant les Fêtes. Ils les préviennent alors que le prix du produit va monter et qu’il leur serait profitable si la transaction peut prendre place avant.
Chez Sun Life, l’information destinée aux conseillers fait état d’une hausse moyenne de 8 % du cout nivelé des produits Universelle Sun Life et Universelle Sun Life MAX. Celle-ci pourra toutefois atteindre 14 % pour les assurés de 16 à 49 ans qui s’assure pour 250 000 $ et plus. Par contre, le prix baisse de 3 % dans le cas des assurés de 50 ans et plus qui s’assurent pour des montants inférieurs à 250 000 $.
Du côté du produit à paiements limités, la hausse moyenne atteint 5 %, avec une pointe de 6 % pour les durées plus longues. Sun Life en est déjà à sa deuxième hausse pour ce produit.
« La direction des taux d’intérêt est une des préoccupations principales de toute l’industrie. Nous gardons toujours un œil dessus. Le déclin des taux d’intérêt à long terme a mis de la pression sur la marge bénéficiaire des produits permanents et le cout nivelé était devenu sous-tarifé dans l’environnement actuel », affirme Kevin Strain, vice-président principal, assurances et placements individuels chez Sun Life.
Il salue d’ailleurs le mouvement de masse qui vient d’avoir lieu. « Le produit à cout nivelé se situe maintenant à un niveau de rentabilité acceptable pour l’industrie », dit-il.
Rétablir l’équilibre
Le phénomène économique des bas taux d’intérêt a en effet créé une pression énorme sur les assureurs, affirme Robert Mallette, actuaire indépendant associé à NMG Group. Cette firme conseille réassureurs et assureurs en matière de plan d’affaires et livre des études de marché pour évaluer la qualité de leur offre de produits et services.
« Depuis dix ans, les assureurs ont réussi à contenir la hausse des prix en réalisant des gains d’autres sources qui ont compensé la baisse des taux d’intérêt », dit M. Mallette. Selon lui, les assureurs auraient dû augmenter le prix du cout nivelé bien avant, mais la concurrence les en a empêchés. Maintenant que les taux ont atteint un plancher historique, ce marché devrait voir des hausses pour les quelques prochaines années. Si les taux d’intérêt continuent de baisser, le produit à cout nivelé deviendra moins attrayant pour les clients que le produit à cout renouvelable annuellement, prévoit-il.
M. Mallette note un retour de l’industrie vers un meilleur équilibre dans le portefeuille de produits. « Lorsque j’étais actuaire chez NN Services Financiers dans les années 1990, le produit nivelé comptait pour 95 % des ventes et le produit à cout renouvelable annuellement pour 5 %. Depuis quatre ou cinq ans, les proportions se sont rééquilibrées », dit M. Mallette.
Au début, les ventes de vie universelle étaient toutes réalisées sous forme de polices à cout renouvelable annuellement, se souvient pour sa part Steven Parker. « Avec le temps, les ventes de polices à cout nivelé en sont venues à dominer. Aujourd’hui, elles comptent pour 70 % des ventes d’assurance vie universelle réalisées dans le marché canadien », estime-t-il.
Sun Life fait aussi partie des assureurs qui recherchent un meilleur équilibre dans son portefeuille de produits. « Nous avons élargi notre répartition de produits pour réduire le risque lié aux bas taux d’intérêt. Nous avons vendu plus d’assurances temporaires, maladies graves et soins de longue durée. Nous avons lancé un produit de vie entière avec participations. Hausser les primes du cout nivelé a aussi aidé », dit Kevin Strain.
Un mélange varié de produits est essentiel, car différents produits auront différentes sensibilités. Certains seront plus sensibles au taux de mortalité, d’autres aux taux d’intérêt. Des produits sont tarifés selon le taux d’abandon des polices dans le futur alors que d’autres sont plus sensibles au ratio de dépenses. Sans oublier les produits fortement exposés aux rendements boursiers.
« Nous nous assurons de créer un équilibre entre les besoins des clients et l’environnement économique, ajoute M. Strain. Il y a cinq ans, Sun Life réalisait la majorité de ses ventes en vie universelle. Aujourd’hui, elles comptent pour moins de 50 % du total des ventes. »
Par ailleurs, les nouvelles normes d’information financière (NIIF ou IFRS en anglais) pourraient aussi avoir un impact sur les produits à long terme. Yvon Charest croit toutefois qu’une partie du problème est écarté.
« L’exposé-sondage sur les NIIF de phase II est à la poubelle : la séparation de l’actif et du passif n’est même plus en discussion. L’International Accounting Standard Board (IASB) analyse sérieusement quatres méthodes, dont la méthode canadienne », révèle-t-il.
M. Charest doute par ailleurs que l’IASB puisse respecter son échéancier de 2013. « L’IASB se donne la mi-année 2011 comme échéance pour un exposé-sondage définitif. Sachant le temps que cela prend pour atteindre un consensus des organismes d’autorèglementation à travers le monde sur des normes détaillées, nous ne croyons pas que cette échéance soit réaliste », dit-il.
Si la norme qui visait à évaluer les réserves à la juste valeur marchande semble chose du passé, le recours à un taux prudent pourrait quant à lui déboucher sur une norme de nature à produire quelques difficultés, prévoit pour sa part Robert Mallette. Si le taux prudent proposé par l’IASB est plus bas que les taux actuels, il faudra encore augmenter la réserve qui supporte le produit à cout nivelé, explique-t-il. Cela fera plus d’argent dans le passif qui ne peut pas être réutilisé ailleurs, ce qu’il appelle un cout d’opportunité.