L’avènement des voitures intelligentes causera-t-il la disparation de l’assurance automobile? Sylvie Paquette, de Desjardins Assurances, et Nathalie Tremblay, de la Société de l’assurance automobile du Québec, ont des points de vue divergents à ce propos. La première estime que le marché de l’assurance diminuera considérablement au cours des prochaines années, tandis que la seconde se demande si les conducteurs se laisseront convaincre de céder le volant à des machines.

Les deux femmes ont débattu de la question lors d’un diner-conférence du Cercle de la finance du Québec, tenu le 3 avril, à Québec. Sylvie Paquette, chef de la direction de Desjardins Groupe d’assurances générales (DGAG), participait le weekend précédent à l’assemblée générale annuelle du Mouvement Desjardins, où étaient présents des représentants de State Farm. « La taille de cet assureur aux États-Unis, c’est 1,5 fois l’ensemble du marché canadien. »

Selon DGAG, d’ici 20 à 30 ans, le volume d’affaires en assurance auto aura fondu de 80 %. « Chez DGAG, on est chanceux : on aura toujours le climat et les catastrophes naturelles. On pourra développer les affaires dans d’autres marchés. Mais on sait déjà que l’assurance automobile ne sera plus un marché en expansion. Ça transformera profondément notre industrie. »

Préoccupations

En entendant cela, Nathalie Tremblay, PDG de la SAAQ, a souri. « Qui est prêt à se laisser conduire et à laisser le contrôle entier de l’auto à un robot? » Peu de gens dans la salle ont levé la main. « Comment attribuera-t-on les permis? Comment formera-t-on les nouveaux conducteurs? » L’assureur public se préoccupe déjà de ces questions et il suivra les travaux.

Il faudra adapter la législation et la règlementation à l’arrivée des véhicules intelligents sur les routes, ajoute-t-elle. En Europe, on a déjà modifié les lois dans plusieurs pays pour autoriser les essais de ces véhicules, tout comme en Floride et en Californie, précise-t-elle. En décembre 2013, l’Ontario a promis une législation similaire pour autoriser de tels essais sur son réseau routier.

Depuis décembre 2013, la SAAQ préside un groupe de travail nord-américain sur les véhicules intelligents sous l’égide de l’Association américaine des administrateurs de véhicules motorisés (AAMVA). « Dans notre système d’indemnisation sans égard à la faute, ça ne changera rien. Mais à Transports Québec, on s’interroge sur l’évolution des infrastructures routières. Il faudra quand même se préoccuper de la sécurité de ces véhicules », ajoute-t-elle.

La télématique

Avec l’avènement de la télématique, des programmes comme Ajusto (Desjardins) et Intelauto (La Personnelle) permettent aux assureurs d’offrir une tarification adaptée à la conduite. Nathalie Tremblay applaudit ces développements. « Le cœur de nos activités à la SAAQ touche justement le changement des comportements », dit-elle.

L’assureur public québécois réfléchit aussi à des moyens pour utiliser la télématique comme un outil d’évaluation du risque et de la tarification pour la clientèle plus à risque, dit-elle, sans nommer les « motocyclistes ». L’assureur public en Saskatchewan, SGI, travaille déjà sur un projet de télématique ciblant la clientèle des conducteurs de motocyclettes.

« Mon rêve ultime comme assureur est de ne plus avoir de clients, si on arrive à ne plus avoir aucune victime d’accident sur les routes », dit Mme Tremblay. Même si les conducteurs ne sont plus responsables des accidents, dit-elle, il y aura toujours des piétons, des cyclistes et autres utilisateurs du réseau routier à indemniser.

Système emprunté à l’Australie

La SAAQ a élaboré un système de contrôle de la qualité des fournisseurs de services de santé pour sa clientèle. Son système lui a été emprunté par son équivalent australien. À la blague, Sylvie Paquette se dit prête à offrir de la formation sur la télématique à la SAAQ. En échange, le régime public pourrait déléguer des spécialistes pour mieux aider DGAG à gérer les dommages corporels en Ontario.

Mme Paquette aimerait bien que le régime québécois soit adopté ailleurs au Canada, mais elle ne rêve pas en couleurs. « Au Québec, on veut remettre la personne sur pied. En Ontario, il faut trouver le coupable. C’est culturel. On veut bien essayer, mais je pense que nous aurions plus de succès en allant ailleurs pour tenter d’implanter le régime sans faute. »

Il faut saluer le courage des gens qui ont instauré ce régime public au Québec en 1978, ajoute Mme Paquette. Malgré le bon rendement de la SAAQ, elle croit tout de même que le secteur privé pourrait jouer son rôle, « car la pression de la concurrence permet à tout le monde de s’améliorer », dit-elle.

Selon Nathalie Tremblay, ce qui fait la force du modèle québécois, c’est d’avoir confié à une même entité l’ensemble des fonctions d’un assureur : la prévention, l’accès au réseau routier par l’émission de permis, le contrôle routier du transport lourd, et la prise en charge des indemnisations à la suite d’accidents. Sylvie Paquette confirme ce constat. « Notre bilan routier s’améliore et on s’occupe adéquatement de nos accidentés, et ce, pour la moitié de ce que ça coute chez nos voisins. »