Inondations, vents violents, épisodes de gel et de dégel répétés : les manifestations des changements climatiques se multiplient et ne cessent de rappeler que l’heure est à l’adaptation. Pour les assureurs en dommages, ces événements extrêmes se traduisent par une hausse marquée des sinistres et des réclamations, mais aussi par une question pressante : comment construire des maisons plus résilientes, capables de mieux résister aux aléas climatiques ?
En 2020, l’Institut climatique du Canada (ICC) estimait que les phénomènes météorologiques imputables aux changements climatiques avaient triplé. La valeur des dommages causés par ces intempéries survenues entre 2010 et 2019 est estimée à 18 milliards de dollars.
Deux ans plus tard, l’ICC prévoyait qu’en 2025, les changements climatiques allaient coûter 25 milliards de dollars annuellement en pertes au pays, ce qui représentera 50 % de la croissance prévue du produit intérieur brut de la nation.
En annonçant sa Stratégie nationale d’adaptation en 2022, le ministre fédéral de l’Environnement, Steven Guilbault, souhaitait que d’ici 2025, un ménage canadien sur deux ait pris des mesures pour préparer leur résidence face aux changements climatiques.
Selon des données fournies au Portail de l’assurance par le ministère de l’Environnement, entre 25 % et 32 % des Canadiens ont pris de telles mesures pour les années 2021 à 2024. Le ministère indique que les citoyens sont motivés à prendre ces mesures lorsqu’elles connaissent des solutions précises à certains risques, qu’elles sont convaincues de l’efficacité de ces mesures et qu’elles sont aussi confiantes en leur capacité à procéder aux changements.
Un retard dans l’industrie de l’assurance
Or, les incitatifs mis en place par les assureurs pour encourager les Canadiens à adapter leur maison se font plutôt rares et timides.
« L’industrie [des assurances] est en retard, constate Élène Levasseur, directrice à la recherche et à l’éducation pour Architecture sans Frontières Québec (ASFQ). Ce qu’on remarque, c’est que d’une part, beaucoup d’assureurs tentent de se retirer de la couverture en zone inondable, et que d’autre part, d’autres essaient de trouver des coupables. »
La détentrice d’un doctorat en aménagement et d’une maîtrise en environnement donne en exemple les inondations urbaines de 2023 à Montréal. « Certains assureurs considéraient que les refoulements étaient par la faute de la Ville, parce que son système de gestion des eaux était jugé désuet. Ils ont donc refusé de dédommager leurs clients tant et aussi longtemps que la ville ne mettait pas son réseau à niveau. »
Autrement que de refuser de les indemniser, certains assureurs vont exiger que leurs assurés intentent des recours légaux contre leur municipalité, ajoute-t-elle.
« Mais si le réseau pluvial de la ville est saturé, ce n’est pas juste un problème pour l’administration municipale », relativise Mme Levasseur.
« C’est un peu particulier, poursuit la spécialiste. Quand les gens passent au feu, les assureurs vont les dédommager, mais aussitôt que l’eau entre en cause, ils tentent de trouver un autre coupable. »
La spécialiste est cependant d’avis que plusieurs assureurs sont au fait de la situation et affirme qu’ils sont impliqués dans la recherche de solutions durables.
Ils ne sont toutefois pas les seuls à devoir mettre l’épaule à la roue.
« Même si on pointe parfois les assureurs du doigt, ou la ville, le citoyen doit aussi comprendre qu’il y a un risque lié à l’eau, un risque aussi important que celui lié au feu ou aux tremblements de terre, relève Élène Levasseur. Si nos maisons sont désormais conçues pour résister à certains séismes, il faudra que nos maisons soient mieux conçues pour résister à l’eau. »
Revoir le Code du bâtiment, un parcours du combattant
Pour obliger toutes les futures constructions à tenir compte du risque de sinistre causé par les eaux, revoir le Code national du bâtiment s’impose. Or, contrairement aux changements climatiques qui évoluent rapidement, la bureaucratie, elle, est beaucoup plus lente.
« Grosso modo, avant qu’une bonne idée ne soit inscrite au code fédéral, et qu’elle percole ensuite dans les codes provinciaux, il y a souvent un écart de cinq ou dix ans », estime Élève Levasseur.
Les édifices résidentiels ne sont par ailleurs pas assujettis de la même manière que les bâtiments commerciaux, donc il faut aussi que les municipalités et villes ajustent leur réglementation.
« Ça pourrait donc prendre des dizaines d’années », déplore la spécialiste.
Pour tenter d’accélérer le processus, ASFQ travaille directement avec les municipalités en les aidant à moderniser leurs cadres réglementaires.
« On regarde surtout les règlements qui entraînent une mal adaptation des maisons, indique la directrice. Par exemple, dans certains secteurs de Montréal, des immeubles multilogements ont des stationnements au sous-sol, ce qui n’est pas une bonne idée dans une zone en cuvette. Il faudrait revoir la réglementation pour ne plus permettre ce type d’aménagement. »
Une maison trop étanche, source de problèmes
Une construction neuve n’est pas nécessairement plus résiliente qu’une maison qui a de l’âge, avance Élène Levasseur.
« Plus ça va, plus on tente de rendre les bâtiments imperméables. On applique des enduits sur les fondations afin de les rendre étanches, souligne-t-elle. Mais ça fait aussi en sorte que le bâtiment respire moins et que l’eau peut en ressortir moins facilement après y être entrée, que ce soit par les drains, les appareils ou la plomberie, par exemple. En rendant nos maisons trop étanches, on crée de nouveaux problèmes. »
Dans le cadre des recherches menées par Architecture sans Frontières Québec, il a été constaté que certaines maisons plus anciennes ont mieux résisté dans un contexte d’inondation.
« Une maison très étanche ne laissera pas rentrer l’eau, mais celle-ci peut pousser et fissurer les fondations, ce qui entraîne des dommages structurels beaucoup plus coûteux à réparer », avance Mme Levasseur.
Des initiatives soutenues par Ottawa
Via son Programme d’adaptation aux changements climatiques (PACC), doté d’une enveloppe de 39,5 millions de dollars pour les années 2022-2027, Ressources naturelles Canada a soutenu plusieurs initiatives visant à rendre les propriétés plus résilientes.
Le PACC a notamment financé la conception d’une formation sur la résilience climatique destinée aux professionnels de la construction, réalisée par Engineers and Geoscientists British Columbia.
Un autre projet soutenu par le programme a consisté à analyser les risques climatiques par la Ville de Calgary pour établir les mesures d’adaptation appropriées. Celles-ci pourront ensuite être déployées dans d’autres zones urbaines et résidentielles de l’Alberta. « Les résultats de cette analyse serviront de base à l’élaboration d’un cadre pour un programme d’incitatifs à la résilience climatique dans le secteur résidentiel », indique-t-on.
En chiffres
L’année 2024 a été, et de loin, la plus onéreuse pour les assureurs canadiens, qui ont dû débourser plus de 8,5 milliards de dollars pour des pertes attribuables aux phénomènes météorologiques extrêmes, a annoncé en janvier le Bureau d’assurance du Canada (BAC). Le précédent record datait de 2016, à six milliards.
Au cours des mois de juillet et août de 2024, plus d’un quart de million de demandes d’indemnisation ont été formulées, pour des pertes totalisant plus de sept milliards. Il s’agit d’une augmentation de 50 % par rapport au nombre de demandes déposées au cours d’une année entière, souligne le BAC.
Les pertes enregistrées en 2024 sont plus importantes que la somme des pertes recensées en 2022 et en 2023, qui étaient de 3,4 et 3,1 milliards de dollars.
Les pires années, en termes de réclamations aux assureurs, incluent les années de 2020 à 2024, de même que 2016, 2013 et 1998.
Pour les années 1983 à 2008, la moyenne annuelle des indemnisations versées par les assureurs totalisait 400 millions de dollars.
Le taux de renouvellement de réassurance est passé de 25 % à 70 % en 2023.
En 2020, à peine 6 % des ménages savaient qu’ils habitaient une zone inondable désignée.
Plus de 1,5 million de ménages, c’est-à-dire environ 10 % de toutes les familles canadiennes, seraient à risque de vivre situation d’inondation.
Un panel de spécialistes et décideurs sur cet important enjeu est au programme de la Journée de l’assurance de dommages 2025. Pour vous inscrire, rendez-vous sur le site de la Journée.