Bien qu’elles comptent pour la moitié de l’humanité, les femmes sont surreprésentées quand on observe les statistiques de certaines maladies et problèmes de santé. Elles sont de plus confrontées à des troubles qui leur sont propres, dans un système de santé qui n’est pas toujours en mesure de les reconnaître.
Environ trois femmes sur quatre ressentiront des malaises liés à leur cycle menstruel au cours de leur vie, souligne au Portail de l’assurance la Dre Hélène Lavoie, endocrinologue de la reproduction au Centre hospitalier universitaire de Montréal. « Ça ne signifie pas pour autant qu’elles souffrent du syndrome prémenstruel (SPM). »
Il faut en moyenne sept ou huit ans pour obtenir un diagnostic ferme d’endométriose au Canada mentionne au Portail de l’assurance la Dre Diane Francoeur, gynécologue et directrice générale de la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada (SOGC).
« Ça inclut le temps d’obtenir un rendez-vous avec un médecin, puis avec un gynécologue, l’attente pour passer les examens, puis pour obtenir les résultats, énumère-t-elle. Après, il faut aussi commencer la médication et trouver la bonne molécule, le bon dosage. Pendant tout ce temps-là, les femmes continuent de souffrir. »
C’est l’inverse pour le syndrome des ovaires polykystiques (SOPK), qui est surdiagnostiqué. « Environ 25 % des femmes ont cette condition multifolliculaire, mais sans avoir le syndrome, précise la Dre Lavoie. Il faut que les trois conditions (ndlr : présence de follicules, cycles irréguliers et pilosité importante) soient réunies pour le diagnostiquer. »
La pandémie de COVID-19 a fait en sorte que de nombreuses femmes ont découvert qu’elles étaient atteintes du syndrome. « C’est la prise de poids qui augmente la production des hormones mâles, et c’est parfois ce qui permet de révéler le syndrome », explique Dre Lavoie.
Les principaux troubles hormonaux
- Le syndrome des ovaires polykystiques (SOPK) est, selon le Journal de l’Association médicale canadienne, une maladie chronique caractérisée par des cycles menstruels irréguliers, d’une pilosité importante et de la présence de follicules sur les ovaires, qui ont longtemps été confondus avec des kystes, d’où l’appellation du trouble. Non traité, le SOPK peut entraîner l’infertilité, des fausses couches, mais aussi des risques cardiovasculaires, des troubles de l’humeur et un surplus de poids, voire de l’obésité. Il touche environ 10 % des femmes.
- Le syndrome prémenstruel (SPM) englobe tous les symptômes physiques et psychologiques ressentis par une personne dans les jours précédant ses menstruations, indique le Manuel Merck. Il peut s’agir entre autres de maux de têtes, de troubles de l’humeur ou du sommeil, de gonflements, de fatigue, de tensions mammaires ou de crampes abdominales. Il est question de trouble dysphorique prémenstruel lorsque l’intensité des symptômes nuit à la poursuite normale des activités quotidiennes de la personne qui en souffre.
- L’endométriose est une maladie chronique touchant au moins 10 % des personnes ayant un utérus au pays, souligne le Réseau de l’Endométriose du Canada. Cette maladie se caractérise par le développement de tissus utérins qui se développent « anormalement dans d’autres régions du corps », provoquant d’intenses douleurs pouvant nuire aux activités quotidiennes des personnes qui en souffrent. Si ses causes sont inconnues, la recherche indique que l’hérédité peut augmenter les chances d’en souffrir. Le traitement de l’endométriose s’effectue généralement par laparoscopie ou par l’hormonothérapie.
- La ménopause survient en moyenne entre l’âge de 45 et 55 ans, bien que des personnes plus jeunes puissent connaître une ménopause précoce de façon naturelle ou induite par des traitements, notamment à la suite d’un cancer. Elle survient avec la baisse significative de la production d’œstrogène, entraînant différents symptômes, dont des bouffées de chaleur, de la fatigue, de l’insomnie et des troubles de l’humeur, entre autres. Trois personnes sur quatre vivant la ménopause subissent des symptômes « qui entravent leur vie quotidienne », note la Fondation canadienne de la ménopause.
Épidémie silencieuse
Longtemps, les maladies et troubles hormonaux des femmes ont été considérés comme une « épidémie silencieuse » en raison du peu de ressources qui existaient pour venir en aide aux personnes qui en souffrent et du fait que celles-ci n’osaient pas parler de leur douleur.
« Ces problèmes-là ont toujours existé, souligne Dre Francoeur. C’est juste qu’on en diagnostique de plus en plus. Et c’est loin d’être bénin. Quand on y pense, les femmes passent 25 % de leur vie en mauvaise santé. »
Le manque de connaissance des symptômes par les personnes susceptibles de vivre avec une maladie ou un trouble hormonal est aussi à considérer.
La désinformation qui circule sur les réseaux sociaux, en plus des modèles inatteignables qu’on y retrouve, contribue à établir, chez de nombreuses femmes, un sentiment de culpabilité et d’impuissance qui n’a pas sa raison d’être, souligne la Dre Francoeur.
« On leur dit que leur corps devrait leur permettre de passer à travers n’importe quoi, qu’elles devraient pouvoir tout faire, déplore-t-elle. On leur fait croire que lorsqu’elles sont malades, leur corps les a abandonnées, que c’est une punition. Alors, les femmes demeurent très discrètes à ce propos. »
De nombreuses personnes souffrant de ces maux ont ainsi le réflexe de ne pas parler de leur réalité, de crainte d’être jugées, incomprises ou pénalisées parce que leurs symptômes les indisposent.
À cela s’ajoutent les enjeux en santé mentale qui découlent de leur situation. Aux États-Unis, une étude a démontré qu’il en coûtait annuellement plus de six milliards de dollars pour traiter les troubles de l’humeur et la détresse psychologique des patientes souffrant du SOPK. De tels chiffres ne sont toutefois pas disponibles pour le Canada.
Les progrès de la science
Les tabous entourant les maladies et troubles hormonaux féminins s’estompent peu à peu, se réjouit Diane Francoeur.
« Surtout, il y a de nouveaux traitements et de nouvelles manières de poser un diagnostic, explique-t-elle. Quand j’ai commencé à pratiquer, la seule manière de diagnostiquer l’endométriose était par une chirurgie, une laparoscopie, pour voir les lésions. »
« Maintenant, il y a des méthodes modernes beaucoup plus fiables, poursuit-elle. Avec l’échographie dynamique, on est capables de voir l’endométriose et les lésions sans opérer. Ça change la donne. »
Et la science n’a pas fini de progresser. « C’est encore à l’étape des protocoles de recherche, mais éventuellement, des prises de sang ou des prélèvements buccaux permettront de détecter l’endométriose », illustre la gynécologue.
Diane Francoeur souhaiterait que le Canada suive l’exemple de l’Australie, où les troubles hormonaux sont traités en externe dans des cliniques multidisciplinaires.
« L’endométriose, les douleurs pelviennes chroniques et tout le reste y est pris en charge par des sexologues, des nutritionnistes, des gynécologues, des kinésiologues et plusieurs autres spécialistes, soulève-t-elle. Il y a toute une adaptation, une reprogrammation, et les résultats sont vraiment très encourageants. »
Des exercices, des infiltrations, certains médicaments et un accompagnement peuvent soigner beaucoup plus efficacement les symptômes des troubles hormonaux en s’attaquant à leurs causes plutôt que de simplement camoufler la douleur temporairement avec des opiacés.
« Quand les femmes n’ont pas accès à de bons traitements et qu’elles ont mal continuellement, elles se font prescrire du Dilaudid et ça n’arrête plus, renchérit Dre Francoeur. Malheureusement, la douleur chronique peut mener à une dépendance aux opiacés ou à la dépression. »
Pour la ménopause, les traitements hormonaux sont très utilisés. Selon un rapport publié par la Société Financière Manuvie en octobre 2024, le recours à l’hormonothérapie substitutive a augmenté de 20,7 % chez les femmes de 45 à 65 ans dans la période comprise en 2020 et 2023. Les données globales de l’assureur montrent que 13,1 % des femmes réclamantes, âgées entre 45 et 65 ans, ont présenté une demande de traitement hormonal substitutif en 2023.
« Entre 2021 et 2024, nous avons eu une augmentation de 40 % du nombre de réclamations de l’hormonothérapie pour la ménopause. C’est très significatif et démontre l’accès qui s’est accru », indique pour sa part iA Groupe financier au Portail de l’assurance.
« C’est à peine 15 % des femmes qui n’en ont pas besoin », avance Dre Francoeur.
Une proportion équivalente de femmes, elles, ne cesseront au contraire jamais de vivre les symptômes de leur ménopause, indique Dre Lavoie. La durée moyenne des symptômes varie généralement entre trois et sept ans.
La recherche progresse
Pour soulager les femmes, des fonds sont investis dans la recherche et dans des traitements.
À l’automne 2023, Santé Canada a investi 1,6 million de dollars, tirés du Fonds pour la santé sexuelle et reproductive, pour soutenir deux projets de recherche.
Près de 875 000 $ ont d’abord été octroyés au Réseau de l’endométriose du Canada pour la création de ressources pédagogiques permettant de réduire les délais de diagnostic de l’endométriose. En décelant plus rapidement cette maladie, les personnes qui en souffrent obtiendront des soins plus vite.
Un autre montant, cette fois d’environ 800 000 $, a été versé à la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada pour développer d’autres ressources pédagogiques spécifiques à l’endométriose.
L’aide financière a aussi servi à soutenir et créer des outils informatifs destinés à des groupes de patients moins bien desservis, à savoir les membres des communautés autochtones, les personnes racisées et les membres de la communauté LGBTQ2+ (personnes lesbiennes, gaies, bisexuelles, trans, queers, bispirituelles et celles se reconnaissant dans la diversité sexuelle ou de genre).