La réforme de la Charte de la langue française, qui se fait par le biais du projet de loi 96, ne sera pas sans impact en assurance, croit Me Nathalie Durocher, avocate entrepreneure chez Delegatus qui a étudié les articles de loi qui seront modifiés.

L’article 44 du projet de loi 96 propose un amendement à l’article 55 de la Charte de langue française. Me Durocher dit que s’il est adopté avec son libellé actuel, toutes les polices d’assurance vendues au Québec devront obligatoirement être disponibles et offertes en premier en français et ensuite en anglais, si telle est la volonté expresse de l’assuré.

« La clause habituelle, que l’on retrouve dans certaines polices d’assurance en version anglaise seulement et indiquant que c’est par la volonté expresse des parties, ne sera plus acceptable. Cela représente pas mal de travail pour certains assureurs n’ayant pas une grosse présence au Québec. Ceux-ci devront prévoir un budget et faire traduire leurs polices qui sont disponibles seulement en anglais », a-t-elle indiqué au Portail de l’assurance.

Pourquoi autant de travail ? Bien que la loi soit claire à l’effet que les contrats d’adhésion, dont le contrat d’assurance, doivent être rédigés en français, beaucoup de contrats ayant une couverture globale, sont négociés et rédigés en anglais , dit Me Durocher. C'est le cas notamment de grandes entreprises ayant des activités au Québec et dans d’autres provinces canadiennes, ajoute-t-elle.

Ainsi, le libellé actuel de l’amendement à l’article 55, si adopté tel quel, obligerait, par exemple, les assureurs excédentaires de grandes tours d’assurance et autres assureurs couvrant des risques spéciaux à traduire leurs libellés au Québec. 

Les modifications proposées

D’où viendra ce surcroît de travail ? De la modification de l’article 55 de la Charte, qui touche les contrats d’adhésion, du type de ceux que l’on retrouve en assurance, qui ne peut être négocié de gré à gré.

Sans sa mouture actuelle, il se lit ainsi :

« Les contrats d’adhésion, les contrats où figurent des clauses types imprimées, ainsi que les documents qui s’y rattachent sont rédigés en français. Ils peuvent être rédigés dans une autre langue si telle est la volonté expresse des parties. »

L’article 44 du projet de loi 96 propose de le modifier ainsi :

« L’article 55 de cette charte est modifié :

1° par la suppression de « imprimées » ;

2° par le remplacement de la deuxième phrase par les suivantes : « Les parties à un tel contrat peuvent être liées seulement par sa version dans une autre langue que le français si, après avoir pris connaissance de sa version française, telle est leur volonté expresse. Les documents se rattachant au contrat peuvent alors être rédigés exclusivement dans cette autre langue. » ;

3° par l’ajout, à la fin, des alinéas suivants :

« Nulle partie ne peut, sans que l’autre n’ait pris connaissance de la version française du contrat visé au premier alinéa et en ait expressément exprimé la volonté :

1° la faire adhérer à un contrat d’adhésion rédigé dans une autre langue que le français ;

2° conclure avec elle un contrat où figure une clause type qui est rédigée dans une autre langue que le français ;

3° lui transmettre un document se rattachant à l’un ou l’autre de ces contrats lorsque ce document est rédigé dans une autre langue que le français. Nulle partie à un contrat visé au premier alinéa ne peut exiger de l’autre quelque somme que ce soit pour la rédaction de la version française de ce contrat ou des documents qui s’y rattachent.

Le présent article ne s’applique pas à un contrat de travail ou aux documents qui s’y rattachent. »

Les conséquences

Comment interpréter ces changements ? « L’amendement est clair, il doit y avoir une version française du contrat d’assurance, dit Me Durocher. Si telle est la volonté du législateur, les assureurs devront avoir des versions françaises de tous leurs libellés destinés au marché québécois. Pour les assureurs qui ont un marché mondial, cela pourrait engendrer des coûts importants et certains pourraient même ne pas avoir la capacité, ou la volonté, de faire traduire leurs libellés. Il pourrait simplement décider de se retirer du marché québécois. »

Compte tenu de l’ampleur des modifications proposées par le projet de loi 96, non seulement à l’égard des assureurs, et des entreprises de 50 employés et plus, Me Durocher s’attend à ce qu’un délai d’au moins 1 an soit prévu, pour sa mise en oeuvre après son adoption. « Il faudra laisser du temps aux assureurs et aux grossistes pour faire traduire leurs polices et leurs avenants qui n’ont pas encore fait l’objet d’une traduction vers le français », dit-elle.

Les lobbys d’assureurs réagissent

Au Bureau d’assurance du Canada (BAC), on dit étudier les implications de certaines dispositions du projet de loi 96. « Nous ferons les représentations nécessaires selon le résultat de cette analyse », a indiqué au Portail de l’assurance Pierre Babinsky, son directeur des communications et des affaires publiques.

Du côté de l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes (ACCAP), son responsable des relations gouvernementales Jérémy Drivet a indiqué au Portail de l’assurance que « les membres de l’ACCAP ont l’intention de se conformer aux modifications proposées par le projet de loi 96 à l’article 55 de la Charte de la langue française ».