Tant les assureurs que les investisseurs peuvent déjà prendre des actions pratiques pour améliorer la capacité d’adaptation du Canada aux changements climatiques.

Lors d’une discussion tenue dans le cadre du Sommet sur la finance durable, le 7 octobre dernier, trois experts ont énuméré divers outils, existants ou en cours de développement, qui aideront les communautés à réduire les dommages causés par les catastrophes naturelles. La discussion était animée par Kathryn Bakos, directrice, science du climat et finance au Centre Intact d’adaptation au climat de l’Université de Waterloo.

L’industrie attend avec impatience le lancement d’une norme fédérale reliée à lutte aux changements climatiques, selon Craig Stewart, vice-président, résilience aux sinistres et dossiers fédéraux au Bureau d’assurance du Canada (BAC). Cette norme, appelée ResiliGuide, sera du même esprit que la norme EnerGuide utilisée pour informer les consommateurs à l’égard de l’efficacité énergétique des appareils, équipements et outils qu’ils achètent. La même norme sert aussi à mesurer l’efficacité énergétique d’une résidence. 

Le gouvernement libéral de Justin Trudeau a promis, lors de la récente campagne électorale, de doter le Canada d’une norme en matière de résistance au climat. On pourra ainsi informer les propriétaires de la capacité de leur bâtiment à résister aux inondations, tempête de grêle, feux de forêt, vents violents et canicules. Le BAC espère que les travaux en cours permettront de lancer la norme ResiliGuide d’ici 2 ans.

Inondations 

Selon Craig Stewart, même si les feux ont causé bien des soucis dans les provinces de l’ouest en 2021, le principal risque qui menace les propriétés des Canadiens demeure les inondations. L’écart entre les biens assurés et les dommages potentiels demeure énorme. Il rappelle que de 10 à 15 % des propriétés sont considérées comme non assurables en raison du risque récurrent de dégâts causés par l’eau. 

Le BAC collabore avec Ottawa afin de développer un programme particulier pour prévenir les inondations. Outre le ResiliGuide, trois autres outils devraient servir à sensibiliser la population au risque d’inondation.

Le premier est un « portail des inondations » qui sera administré par le gouvernement fédéral. Tout promoteur ou propriétaire qui désire connaître le risque d’inondation associé à un immeuble (bâtiment ou terrain) n’aura qu’à y entrer la localisation pour connaître les moyens à privilégier pour prévenir ce risque. 

Le deuxième outil sera la cartographie nationale des risques de sinistres naturels, qui sera associée à une cote nationale de risque. M. Stewart prévoit que le système sera fonctionnel d’ici 12 à 18 mois.

Le troisième outil en cours d’élaboration est un système d’évaluation des municipalités en matière de résistance aux sinistres. En jumelant ce système avec la cote nationale de risque, chaque municipalité pourra se comparer à la moyenne nationale. Cette comparaison devrait motiver les autorités locales à adopter les meilleures pratiques en matière d’aménagement et de construction des infrastructures, estime M. Stewart. Cet outil est un travail à plus long terme et ne sera pas prêt avant trois ou quatre ans, indique le représentant du BAC.

Craig Stewart suggère de concevoir l’instrument financier qui permet de traduire les pertes économiques qui sont évitées par ces investissements dans la résilience des infrastructures en un flux de revenus qui peut attirer les investisseurs. 

Ailleurs dans le monde 

Selon Jan Kellett, conseiller spécial du chef de l’assurance et des risques financiers au Programme de développement des Nations Unies, l’augmentation des sinistres incite les assurés à changer leur comportement en matière de changements climatiques. « Quand les catastrophes menacent leur résidence, leur terre ou leur moyen de production, les gens comprennent », dit-il.

Selon lui, les impacts de la pandémie ont sûrement ébranlé la confiance de plusieurs personnes à l’égard de leur capacité à supporter une épreuve importante. Ces dernières années, sur les quelque 440 milliards de dollars (G$) US de dommages découlant des sinistres naturels survenus dans les 77 pays les plus pauvres de la planète, seulement 15 G$ étaient assurés, souligne M. Kellett.

Il se dit très préoccupé par le manque d’investissements dans les infrastructures des agglomérations urbaines du continent africain. Plusieurs d’entre elles vivent une explosion démographique associée à la sécheresse qui chasse les paysans des zones rurales. 

L’augmentation de la couverture d’assurance dans un pays « crée un cercle vertueux très positif », poursuit-il. S’il y a plus de biens couverts par l’assurance, cela signifie qu’il y a moins de dommages qui doivent être assumés ou payés par l’État. En conséquence, le fardeau fiscal est réduit d’autant et les familles ont ainsi plus d’épargne qui leur permet de dépenser et d’investir dans leur collectivité.

Ces investissements doivent aussi être protégés, ce qui augmente la couverture générale d’assurance, et la boucle se poursuit en prenant de l’expansion. En l’absence de tels liens entre la communauté et les services financiers, on se retrouve plutôt dans la situation inverse où chaque catastrophe rend la collectivité encore plus démunie. 

Jan Kellett souligne que le Canada est le seul pays du G7 qui ne s’est toujours pas doté d’un système d’alerte nationale pour les inondations. Par ailleurs, il estime que les assureurs canadiens peuvent contribuer davantage à la prévention des risques globaux en investissant une partie de leurs actifs dans la modernisation des infrastructures des pays en développement. 

La protection de la biodiversité et des habitats naturels (milieux humides, massifs forestiers) est un autre secteur où l’assurance pourrait faire des gains, selon Jan Kellett. Si on arrive à établir une valeur pour ces habitats et espaces verts, et que ceux-ci sont menacés par un risque de catastrophe naturelle, on peut créer un mécanisme d’assurance pour protéger cette valeur. 

Les soins de santé par l’entremise de la télémédecine sont un autre secteur où l’assurance pourrait faire des gains, particulièrement en Afrique, suggère M. Kellett. 

Le risque financier 

De son côté, Alyson Slater affirme que les assureurs sont au front en matière de lutte aux changements climatiques. Leur analyse de risque est en constante évolution en raison de la hausse des sinistres. Mme Slater est directrice principale de la finance durable au Global Risk Institute

Lors de la souscription ou le renouvellement de la police d’assurance, la prime est un signal de prix bien compris par le consommateur, indique-t-elle. Si les primes augmentent à cause des sinistres plus nombreux et coûteux, on arrive au point où les clients n’ont plus les moyens de s’offrir la garantie, ce qui n'est pas une bonne nouvelle pour les prêteurs.

Le propriétaire qui n’arrive plus à couvrir sa maison contre le risque d’inondation voit sa valeur chuter sur le marché de la revente. Les chercheurs associés au Centre Intact doivent publier d’ici la fin de 2021 une étude sur l’impact des inondations sur la valeur des propriétés, souligne Mme Slater. 

Selon elle, les institutions financières doivent revoir l’évaluation de leur portefeuille en fonction des risques climatiques et ils ont les données pour le faire. « Mais on ne les utilise pas de manière adéquate », estime-t-elle.

Les prêteurs doivent cesser d’évaluer ce risque en restant à vol d’oiseau et doivent se rapprocher du terrain, un actif à la fois. « Si le propriétaire fait faillite parce que sa maison endommagée a perdu de la valeur et qu’il ne peut la revendre, le prêteur devient à risque, lui aussi », dit-elle.

Lors de son allocution prononcée le 29 septembre dernier devant les membres du Global Risk Institute, Peter Routledge, le nouveau patron du Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF), a d’ailleurs longuement parlé des règles de divulgation des institutions financières concernant leur exposition aux risques climatiques, souligne Mme Slater. 

La Banque du Canada et le BSIF travaillent à un projet pilote, avec trois banques et trois assureurs, afin de prescrire les règles de divulgation sur l’exposition aux risques climatiques. Les résultats sont attendus d’ici la fin de l’année. Cela devrait augmenter la transparence de l’industrie, ajoute-t-elle.