Alors que les banques centrales n’en ont pas encore fini avec les baisses de taux, les données de l’emploi déçoivent et les investisseurs doivent s’attendre à plusieurs trimestres difficiles avant l’embellie, selon des experts.
Malgré une croissance relativement résiliente cette année, Swiss Re Institute estime que l’économie mondiale progressera de seulement 1,7 % l’an prochain « à l’approche des récessions inflationnistes des grandes économies », peut-on lire dans son étude Sigma 6, publiée en novembre 2022. Dans les économies les plus avancées, Swiss Re Institute prévoit que la croissance réelle du produit intérieur brut (PIB) se limitera à 0,4 %, soit la plus faible depuis les années 1980, hormis lors de la crise de 2008 et de la COVID-19.
L’institut de recherche lié au réassureur Swiss Re considère l’inflation comme la principale préoccupation des assureurs depuis 2022. « Nous continuons de voir un risque à la hausse au cours des deux prochaines années, et nous nous attendons à ce qu’il se révèle persistant, signale son étude Sigma 6. Ce risque se liguera selon elle à des risques baissiers pour la croissance, liés à la hausse des taux d’intérêt de la Réserve fédérale américaine. En contrepartie, les taux d’intérêt élevés peuvent aider les assureurs à obtenir des revenus additionnels dans leurs placements à revenu fixe, a signalé Swiss Re Institute.
Bons signes au Canada
Pendant ce temps, l’inflation semble se stabiliser au Canada. Elle a reculé à 6,8 % en novembre 2022, selon les statistiques de la Banque du Canada. Elle était stable à 6,9 % depuis septembre 2022, après avoir atteint un sommet de 8,1 % en juin de la même année. Au moment d’écrire ces lignes, les données sur le taux d’inflation selon l’IPC global de décembre 2022 n’avaient pas encore été publiées.
De son côté, la santé des régimes de retraite se porte bien selon les firmes d’actuaires Mercer et Aon. Aon a joint une bonne nouvelle à ses vœux du Nouvel An. Le ratio de capitalisation global des régimes de retraite canadiens associés à l’indice composé S&P/TSX a augmenté, passant de 96,9 % à 100,8 % au cours des 12 derniers mois se terminant le 31 décembre 2022. La firme tire ce constat de son outil de suivi des risques liés aux régimes de retraite. Il était à 98,7 % à la fin du troisième trimestre 2022, révèle Aon.
La firme d’actuaires note que le rendement de l’actif a été faible en 2022, mais que la hausse des taux d’intérêt a compensé le mauvais rendement de l’actif en faisant diminuer le passif, soit les engagements des régimes envers leurs participants. « Les promoteurs de régimes peuvent utiliser cette position favorable pour réduire les risques dans la répartition de l’actif ou au moyen d’activités de transfert des risques liés aux régimes de retraite », a déclaré Jason Malone, associé principal et responsable de l’innovation, solutions pour le patrimoine, d’Aon.
Santé des régimes maintenue en 2023
Autre firme-conseil d’actuaires, Mercer livre aussi un constat positif sur les régimes de retraite à prestations déterminées (PD). Selon l’Indice Mercer sur la santé financière de ces régimes, ils démarrent dans une meilleure situation financière, « malgré la volatilité et les baisses de marché enregistrées en 2022 ».
L’indice Mercer sur la santé financière des régimes de retraite, qui mesure et suit le degré de solvabilité médian des régimes PD compris dans la base de données des régimes de retraite de Mercer, a terminé l’année à 113 %, contre 108 % au 30 septembre 2022 et contre 103 % au début de 2022. Là encore, la hausse significative des taux d’intérêt a fait baisser le passif des régimes PD, et compensé les mauvais rendements de l’actif. Parmi les régimes de sa base de données, 79 % des régimes sont estimés être en position excédentaire sur une base de solvabilité à la fin du quatrième trimestre 2022.
Incertitudes en 2023
Mercer signale que de nombreux risques et tendances à l’origine de la volatilité en 2022 n’étant toujours pas résolue. Il énumère l’inflation élevée, les vents contraires sur les marchés des capitaux et les tensions géopolitiques. La firme ajoute que 2023 pourrait être une année d’incertitude et de volatilité supplémentaires.
Ainsi, F. Hubert Tremblay, conseiller principal du domaine avoirs de Mercer à Montréal, croit que l’inflation continuera de présenter un risque pour les employés, les employeurs et les promoteurs de régimes en 2023, et par la suite. Les employeurs devront gérer selon lui les attentes de leurs employés en matière d’augmentation de salaire, en fonction de leur capacité à offrir des augmentations de salaire qui tiennent compte de l’inflation réelle.
« Ils devront le faire dans un marché du travail hautement concurrentiel, tout en composant avec une hausse des coûts d’emprunt et une éventuelle récession », ajoute M. Tremblay. Il estime que pour réussir, les employeurs auront besoin d’une stratégie et des données fiables sur le marché afin de prendre des décisions éclairées en matière de rémunération.
Le creux approche
Vice-président, allocation d’actifs d’iA Gestion de placements, filiale d’iA Groupe financier, ainsi que stratège en chef, économiste principal et gestionnaire de portefeuilles d’iA, Sébastien McMahon rappelle que le scénario d’une récession fait consensus. Quand en 2023 ? En entrevue avec le Portail de l’assurance, l’économiste d’iA a avancé quelques pistes.
Sébastien McMahon estime que six rebonds des marchés sont survenus depuis le début du marché baissier. Selon lui, l’histoire suggère qu’entre huit et dix rebonds surviennent avant d’atteindre le creux.
« La fin d’un marché baissier se produit généralement dans un événement de capitulation », observe M. McMahon. « Qu’il y ait ou non une récession à la fin d’un marché baissier, le dernier recul est souvent un mouvement de panique qui frappe les marchés. » Les titres boursiers deviennent alors si abordables que l’événement met fin au marché baissier.
Cette capitulation se fait attendre. L’économiste et gestionnaire de portefeuille cite en ce sens l’indice VIX (pour indice de volatilité ou Volatility Index en anglais) qui reflète la peur sur les marchés. Il signale que le VIX existe depuis 1990 et qu’il a dépassé le niveau de 45 à la fin de chaque marché baissier. « Nous en sommes encore très loin. En 2022, il n’y a pas vraiment eu de panique », dit M. McMahon.
Le creux des marchés baissiers tend, selon lui, à coïncider avec le creux des données économiques. Alors que les anticipations dictent la direction des marchés haussiers, Sébastien McMahon rappelle que le ton lourd et les politiques monétaires actuelles ont pour effet de retarder le moment où un marché tombe au plus bas. « J’ai plus tendance à penser que ce creux surviendra en deuxième moitié de 2023 », dit-il.
Prudence sur les marchés
L’année 2023 devrait être difficile. Restez prudents envers les marchés en début d’année et demeurez investis, car il faudra être patient avant de voir le creux », conseille Sébastien McMahon. Il s’agit d’après lui d’une saine attitude à adopter, sachant qu’il ne faut pas rater le premier rebond qui suit le creux ultime d’un marché baissier. « En marché baissier, il faut suivre le plan de match », insiste M. McMahon.
Pour l’instant, le positionnement de son équipe de gestionnaires reste incliné loin des actions et plus vers les obligations souveraines. En termes de valorisation des actifs, Sébastien McMahon observe que les actions demeurent dispendieuses par rapport aux obligations, selon la prime de risque d'investir en action. Cette prime est tirée des données du S&P 500. Il s’agit de données établies à partir des attentes des investisseurs quant aux bénéfices net des entreprises cotées au S&P 500 et des taux 10 ans des obligations américaines, au 30 septembre 2022.
En matière de patience, Sébastien McMahon en appelle à ne pas trop anticiper la baisse des taux d’intérêt. L’économiste principal d’iA estime que les Canadiens en ont presque fini avec les hausses de taux d’intérêt. « Il en reste peut-être une, peut-être deux si l’inflation s’entête. Je doute qu’elle soit de 0,50 % », dit-il. Mais les taux élevés resteront pour un moment selon lui. « C’est un message clair que les marchés (investisseurs) ne semblent pas entendre. Ils s’attendent à une coupure des taux d’intérêt dès la deuxième moitié de 2023. C’est très tôt et très optimiste », estime Sébastien McMahon.
Avant de s’emballer, il faudra surveiller ce que M. McMahon appelle le pivot de la Fed (pour Réserve fédérale, soit la banque centrale américaine). Dans l’édition de décembre 2022 de la publication Mensuel Macro & Stratégie d’iA Gestion de placements, le stratège en chef, économiste principal et gestionnaire de portefeuilles d’iA dit qu’un mouvement de pivot survient lorsqu’une banque centrale commence à réduire son taux directeur.
Attention aux obligations
La prudence à manifester dans les marchés financiers vaut aussi pour celui des obligations. Si certains promoteurs de régimes de retraite envisagent de prendre plus de risques dans leurs placements obligataires, Thomas Reithinger n’est pas de cette école. « Je n’ai pas modifié la tolérance de risque dans nos fonds canadiens à revenu fixe », dit le gestionnaire de portefeuille à revenu fixe de Capital Group. « En général, je commence à m’inquiéter davantage des obligations de qualité supérieure, car le resserrement financier de la Réserve fédérale et de la Banque du Canada augmente la probabilité d’un atterrissage brutal de l’économie en 2023 ou 2024 », signale M. Reithinger.
Selon le gestionnaire de Capital Group, un atterrissage brutal tend à créer un environnement où le crédit (obligations de qualité) tend à sous-performer. « Les clients devraient disposer d’un portefeuille à revenu fixe bien diversifié pour 2023. Les titres à revenu fixe ont sous-performé en 2022 en raison des cycles de hausse des taux agressifs de la Banque du Canada et d’autres banques centrales mondiales. Cependant, c’est au moment auquel l’économie ralentit que les banques centrales sont plus susceptibles de diminuer les taux d’intérêt, ce qui donnerait un vent arrière aux titres à revenu fixe, en particulier les obligations gouvernementales et provinciales », explique M. Reithinger.
Scénario optimiste
Thomas Reithinger croit que la Banque du Canada donnera un coup de pouce aux titres à revenu fixe. « Mon scénario de base est que l’économie canadienne ralentira suffisamment pour que la Banque du Canada cesse de relever ses taux », prédit le gestionnaire de portefeuille à revenu fixe de Capital Group.
Il rappelle que le Canada connaît actuellement un ralentissement parce que les taux d’intérêt augmentent en raison des mesures prises par la Banque. « Toutefois, je ne suis pas certain que le Canada entrera en récession, car les récessions surviennent lorsque les ménages et les entreprises perdent confiance dans les perspectives. Actuellement, il n’y a pas encore de signes que cela se produise, mais la probabilité augmente en 2023. »
Le gestionnaire prévoit que les portefeuilles de titres à revenu fixe pourraient très bien performer si la Banque du Canada cesse de hausser les taux ou même commence à réduire les taux d’intérêt, en raison d’un ralentissement ou d’une récession. « Par conséquent, j’ai des perspectives optimistes pour les rendements des titres à revenu fixe en 2023, car l’économie canadienne ralentira probablement davantage », dit-il.
Entraîné par les États-Unis ?
Selon M. Reithinger, les deux principaux facteurs qui auront une incidence sur la politique de la Banque du Canada sont le marché du travail canadien et les forces économiques externes, soit celles des États-Unis, soit celles de l’Europe. « Le marché du travail au Canada continue d’être résilient, mais certains signes indiquent que l’embauche ralentit. Si le taux de chômage commence à augmenter de manière significative, cela incitera probablement la Banque du Canada à réduire ses taux pour soutenir l’économie. Même une petite augmentation de 1,5 % du taux de chômage a toujours mené à une récession au Canada », signale le gestionnaire.
En tant que petite économie ouverte, les facteurs externes jouent un rôle important au Canada, soutient Thomas Reithinger. « Par exemple, il y a un risque que le Canada ralentisse si l’Europe entre en récession en raison de la situation du gaz et de la guerre en Ukraine. Il n’y a aucune preuve de cela pour le moment, mais de nombreux exemples montrent que le Canada a été entraîné dans la récession à cause des États-Unis ou d’autres forces extérieures. Cela amènerait probablement aussi la Banque du Canada à baisser les taux d’intérêt pour soutenir l’économie ».
En revanche, si le marché du travail continue de tourner à plein régime au pays l’an prochain, M. Reithinger pense qu’il y aura des chances que l’inflation ne diminue pas. « Par conséquent, la Banque du Canada devra augmenter davantage les taux. Mais ce n’est pas mon hypothèse de base », précise-t-il.
Données d’emploi décevantes
Dans son édition janvier 2023 de Mensuel Macro & Stratégie, iA Gestion de placements écrit que la Réserve fédérale a le marché du travail dans sa mire. « Nos analyses suggèrent que des nuages commencent à se former et que l’image actuelle pourrait être faussée ». Dans son mot d’introduction, Sébastien McMahon écrit que « cette édition regarde le marché du travail américain avec un brin de scepticisme ».
Le mot qui débute par « R » est dans tous les esprits, peut en lire dans la publication mensuelle. « Les indicateurs économiques avancés sont en tendance baissière et la majeure partie de la courbe des taux américains est inversée. La Réserve fédérale d’Atlanta estime la probabilité d’une récession d’ici un an à 70 %, ce qui concorde avec nos propres modèles ». L’inversion de la courbe des taux d’intérêt survient lorsque les taux à long terme deviennent plus bas que les taux à court terme. Selon la publication, l’emploi est un des secteurs économiques qui pourrait faire souffler des vents contraires sur le produit intérieur brut (PIB) des États-Unis.