Comment le nouveau surintendant des institutions financières Peter Routledge compte-t-il encadrer le secteur financier au Canada ?
Le numéro un du Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF) a énoncé quelles seront ses priorités lors d’une conférence virtuelle tenue le 29 septembre. La pandémie de COVID-19 retient son attention, mais elle ne doit pas occulter les autres défis posés par les changements climatiques et par l’adaptation nécessaire à la révolution numérique, a-t-il affirmé.
« Nous devons maintenant faire face au fait que demain est devenu aujourd’hui. Nous sommes confrontés à l’urgence absolue du moment. Pour résoudre ce casse-tête qui se présente à nous et où se mêlent vie et histoire, agir trop tard est une réalité qu’on doit à tout prix éviter. L’heure n’est plus à l’apathie ou à la complaisance. L’heure est au dynamisme et aux actes positifs », a-t-il énoncé d’emblée de jeu, s’inspirant librement d’une citation de Martin Luther King, énoncée en 1967.
Le Canada mieux placé que d’autres
M. Routledge dit considérer que son entrée en fonction intervient à un moment « particulièrement important ». Il a rappelé que le système financier mondial a dû faire face à plusieurs épisodes de forte volatilité depuis le début du siècle, notamment la récession du début des années 2000, la crise financière mondiale de 2008-2009, la crise de la dette souveraine en Europe entre 2010 et 2012 et enfin, l’apparition de la pandémie de COVID-19.
« Au Canada, nous avons mieux surmonté ces tempêtes que la plupart des autres pays. Le BSIF peut se féliciter d’avoir aidé le Canada à traverser ces épisodes sans trop de dégâts. Nous devons cette réussite à la vision prospective et à la capacité d’analyse du risque dont ont fait preuve mes prédécesseurs. Je suis particulièrement reconnaissant à Jeremy Rudin, à qui j’ai succédé. Il m’a légué un organisme agile et compétent, prêt à affronter aussi bien les risques que l’on voit se profiler à l’horizon que ceux qu’on ne perçoit pas encore », a commenté M. Routledge.
Les risques que posent le climat et le numérique
Le nouveau surintendant dit toutefois s’attendre à vivre des périodes de forte volatilité plus fréquentes et plus ou moins intenses. Le BSIF devra donc s’y préparer en conséquence, dit M. Routledge, qui considère que ces périodes de volatilité émaneront de sources pouvant être circonscrites. Il y pointe en premier lieu les changements climatiques et la numérisation des services financiers.
« Ils auront des conséquences sur les flux de trésorerie générés par certaines immobilisations et déclencheront parfois des changements notables dans les évaluations, changements qui pourront se faire sentir diversement au sein des entités réglementées par le BSIF. La numérisation des services financiers touchera tous les modèles d’affaires, et en menacera certains, tandis que la multiplication des cyberattaques à l’échelle mondiale ne fera qu’aggraver la volatilité générée par la numérisation », dit M. Routledge.
Il ajoute que les changements climatiques et la numérisation représentent donc les « inconnues de sources connues » dans le contexte de risque du BSIF. D’autres sources macroéconomiques de volatilité émergeront de sources encore inconnues, a-t-il aussi prévenu.
La réponse du BSIF : transformation en vue
Comment le BSIF compte-t-il réagir aux perspectives et aux changements que présente ce contexte de risque ? M. Routledge dit que l’organisme qu’il dirige se transformera pour répondre aux « perspectives et difficultés extraordinaires » qui l’attendent.
Comment sera opérée cette transformation ? Elle s’articulera autour de composantes externes et internes, dit le surintendant, et ce en fonction des risques auxquels le secteur financier canadien fait face.
M. Routledge dit prendre acte du plus récent constat du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Cet organisme a fait savoir dans son dernier rapport qu’il était peu probable que l’humanité réussisse à limiter le réchauffement planétaire aux alentours de 1,5 °C, ou même 2 °C, M. Routledge affirme qu’il est du devoir du BSIF d’accroître la confiance du public envers le système financier canadien dans cette optique, et ce, même si le mandat du BSIF ne fait pas mention des changements climatiques.
« Pour atteindre la carboneutralité d’ici 2050, l’économie canadienne devra s’adapter. Le système financier du Canada permettra de favoriser cet ajustement. Le BSIF doit donc veiller à ce que les institutions financières fédérales et les régimes de retraite fédéraux soient capables de gérer les risques qui vont de pair avec cet ajustement. Nous allons donc innover et adapter nos pratiques de réglementation, et ce, sans plus tarder », a énoncé le surintendant.
En la matière, M. Routledge dit vouloir élargir ses activités de relations externes. « Nous savons que les jugements émis dans le cadre des activités de surveillance doivent tenir compte de tous les autres acteurs économiques et des mesures prises par des tiers. Nous avons donc renforcé nos activités de concertation et d’engagement auprès de nos interlocuteurs nationaux et internationaux », dit-il.
Projet pilote sur le climat
M. Routledge a rappelé que le BSIF a collaboré avec ses vis-à-vis de la Banque du Canada sur un projet pilote qui consiste à utiliser des scénarios liés aux changements climatiques afin de mieux comprendre les risques que la décarbonisation de l’économie comporte pour le système financier. Un petit groupe d’institutions représentant le secteur bancaire et le secteur de l’assurance ont participé au projet. Un premier rapport sur ces travaux sera publié d’ici la fin de l’année, a-t-il réitéré. Les résultats d’une autre consultation seront aussi dévoilés à l’automne, a-t-il dit.
M. Routledge a aussi spécifié que le BSIF n’attendra pas que la transition à une économie carboneutre s’opère pour faire face aux risques climatiques, et ce, malgré les mesures prises à cet égard à l’échelle internationale. « Il est peut-être difficile de prendre des mesures aujourd’hui, mais elles seront encore plus risquées si l’on attend. C’est pourquoi la communication d’informations financières sur le risque climatique et la gestion de ce type de risque par les institutions financières fédérales canadiennes constitueront des axes de travail de plus en plus importants au cours de mon mandat de surintendant », a-t-il affirmé.
Plus d’exigences pour les assureurs et les banques
M. Routledge a fait savoir que le BSIF dévoilera des exigences de communication agiles pour les banques et les sociétés d’assurance. Le tout sera fait d’une manière qui tient compte des inégalités des résultats, et qui réduit ces dernières au maximum, partout au Canada.
« C’est pourquoi nous envisageons des moyens d’assurer, de manière responsable, que la communication d’informations financières sur le risque climatique par les institutions financières fédérales et les régimes de retraite fédéraux réponde aux attentes des Canadiens et des intervenants du marché des capitaux. Notre objectif, à court ou moyen terme, est de favoriser la prise de décisions adaptées par les entités que nous réglementons au chapitre du risque climatique. On ne saurait prendre les bonnes décisions sans disposer des bonnes informations, lesquelles ne peuvent découler que d’une bonne communication », affirme le surintendant.
M. Routledge déplore toutefois l’absence de convergence d’exigences claires et comparables à ce sujet au niveau international. « De nombreuses institutions financières ont adopté les recommandations du Groupe de travail sur l’information financière relative aux changements climatiques (GIFCC), mais il est clair que la communication de données de qualité, tout du moins à l’heure actuelle, ne suffit pas à assurer la transparence du marché sur le plan du risque climatique, tel que l’ont imaginé les partisans du GIFCC », a-t-il commenté.
Numérique : trouver le bon équilibre entre innovation et stabilité financière
Quant au défi posé par la numérisation, M. Routledge l’a résumé ainsi : les Canadiens attendent des organismes de réglementation qu’ils modèrent, et non limitent, les innovations, d’une manière qui favorise la stabilité financière. « Le fait que la numérisation peut toucher différents acteurs de différentes manières et à différents moments rend la question encore plus complexe pour le BSIF. Les effets du risque lié à la numérisation ne sont donc pas égaux », a-t-il aussi précisé.
Le surintendant a d’ailleurs identifié quatre problèmes liés à la numérisation sur lesquels travaille le BSIF :
- Bien cerner le risque découlant de l’innovation dans l’industrie ;
- Gérer l’arrivée de nouveaux joueurs extérieurs ;
- Améliorer le cadre relatif au cyberrisque ;
- Bien encadrer la multiplication des cryptomonnaies.
Faciliter l’entrée de joueurs étrangers… tout en assurant un terrain de jeu équitable
M. Routledge dit vouloir examiner les possibilités de faciliter l’entrée de concurrents dans l’espace réglementé tout en assurant des règles du jeu équitables pour toutes les entités fournissant des services financiers aux Canadiens. Il a expliqué pourquoi lors de son allocution.
« Si les nouveaux modèles d’affaires déplacent la conception, la production, la distribution et la consommation des services financiers vers des régions situées à l’extérieur de notre périmètre de réglementation, ces activités restent touchées par les risques qu’il nous incombe de connaître et auxquels nous devons nous adapter. Le Canada a la possibilité de favoriser l’innovation dans les services financiers, aussi bien auprès des nouveaux venus que des institutions réglementées. Parmi ces nouveaux venus, certains peuvent dépendre des mêmes fournisseurs de services que ceux auxquels font appel les institutions que nous surveillons, ce qui renforce encore plus la nécessité de bien comprendre le risque lié aux tiers », a-t-il détaillé.
Cyberrisque et cryptomonnaies : préparation à long terme
Au chapitre du cyberrisque, M. Routledge a rappelé quels travaux a menés le BSIF au cours des derniers mois et des consultations à venir. « Ces publications constituent de simples étapes vers un objectif à plus long terme qui est d’améliorer les échanges de données sur le risque et de renforcer les relations de confiance entre les institutions, les organismes de réglementation et les nouveaux acteurs du système financier », a-t-il indiqué.
En ce qui a trait aux cryptomonnaies et des mesures à prendre pour les encadrer, M. Routledge dit que le BSIF tire parti des travaux de la banque du Canada en la matière en adaptant la façon dont il peut évaluer la solidité des institutions financières si, et à mesure que, les monnaies numériques se multiplient. Il a donné un exemple de ce à quoi pourrait être appelé le BSIF en la matière. « Si les monnaies numériques venaient à influer sur les sources de financement des institutions et sur la rapidité de détérioration potentielle de leur liquidité, cela demanderait très probablement au BSIF de revoir la manière dont il envisage et mesure ces risques financiers plus traditionnels », anticipe le surintendant.