Le tribunal refuse la demande d’Humania Assurance qui réclamait que le rapport d’expertise actuarielle de la demanderesse soit rejeté. Selon la défenderesse, l’expert mandaté par la Société St-Jean-Baptiste de la Mauricie « donne beaucoup d’opinions qui usurpent le rôle du tribunal ». La cour estime que c’est le rôle du juge au procès de pondérer la valeur probante du rapport. 

La décision, rendue le 21 août dernier, a été rédigée par le juge Steve Reimnitz, du district de Saint-Hyacinthe de la Cour supérieure du Québec

La Société St-Jean-Baptiste (SSJBM) de la Mauricie est un organisme sans but lucratif qui a pour but de faire la promotion de la langue française et d’organiser les festivités du 24 juin, date de la fête nationale du Québec, dans la région.

Pendant des années, l’assureur vendait des polices d’assurance vie aux membres de la SSJBM. Comme tout assureur, il devait prévoir une réserve actuarielle pour payer au besoin les demandes d’indemnité. 

Par la suite, la SSJBM a été autorisée à vendre des produits d’assurance collective à ses membres. La relation contractuelle s’est établie entre la Société et La Survivance, compagnie mutuelle d’assurance vie, devenue Humania Assurance en 2013. 

La souscription de la police, de l’entente de gestion et de l’entente de financière ont été conclues entre les parties. L’entente financière a été modifiée au fil des ans et les modifications apportées en 2010 et en 2013 sont au cœur du litige. 

La SSJBM reconnaît avoir consenti aux modifications, mais sans avoir eu « toutes les explications nécessaires à la compréhension des modifications ». L’organisme allègue que l’assureur ne lui a pas transmis les renseignements pertinents qu’il détenait. 

La réserve actuarielle 

À la fin de l’année, s’il y a des surplus, ils sont remis à la SSJBM. S’il y a des déficits, la Société doit les rembourser. La demanderesse allègue que les modifications faites en cours de route à l’entente financière ont créé un « contrat opaque » dont elle ne pouvait mesurer les conséquences sans explication actuarielle, ce qui est le domaine de l’assureur. 

L’effet cumulé des modifications de 2010 et de 2013 a eu pour effet de diriger la SSJBM vers des déficits importants et des renforcements importants de la réserve actuarielle. En 2020, après une nouvelle demande faite par l’assureur concernant le manque de fonds dans la réserve actuarielle, la Société a fait produire un rapport d’expertise par un actuaire, Gabriel Patterson

L’assureur allègue que les opinions émises par l’expert sont des propos éditoriaux, notamment lorsque ce dernier qualifie certaines mesures du contrat de gestion de « mauvaise affaire ». Selon la défenderesse, son rapport n’explique pas en quoi les modifications apportées au contrat dérogent à une quelconque norme applicable. 

Estimant que les opinions de l’expert ne relèvent pas de sa compétence, l’assureur soumet sa demande de rejet en ajoutant qu’il y a une « absence complète de pertinence » de cette expertise par rapport au sujet abordé dans la demande introductive d’instance de la SSJBM. 

Analyse du tribunal 

Selon le juge Reimnitz, l’assureur « accorde bien peu d’importance au juge du mérite dans l’examen qu’il fera du rapport et possiblement du témoignage de l’expert ». Si l’expert exprimait une opinion juridique, il pourrait être rejeté, mais ce n’est pas le cas. 

« Il ne suffit pas de pointer du doigt certains passages du rapport qui sont sujets à reproche pour obtenir le rejet total du rapport. » Le tribunal ajoute qu’il y a lieu de prononcer le rejet lorsque la valeur probante est surpassée par l’effet préjudiciable du rapport. 

« Après avoir analysé le rapport et les extraits sur lesquels la défenderesse a attiré l’attention du tribunal, la conclusion qui s’impose est que la valeur probante de l’expertise n’est pas surpassée par son effet préjudiciable », indique le juge Reimnitz. 

« Si certains passages de l’expertise peuvent causer un effet préjudiciable, cela est largement contrecarré par le pouvoir du juge du mérite de mesurer la valeur probante du rapport », ajoute-t-il. 

L’assureur estime que l’actuaire, qui lui reproche de ne pas avoir conseillé adéquatement la SSJBM, dépasse les bornes. Le tribunal prend soin d’analyser la conclusion de l’expert. 

Structure déficitaire 

Ce dernier estime que l’assureur n’a pas conseillé adéquatement la demanderesse en maintenant « une entente structurellement déficitaire que la SSJBM aurait résiliée plus tôt si celle-ci avait été informée que l’entente menait à une faillite certaine dans les 18 mois suivant le 31 décembre 2020 ».

Selon le tribunal, l’étude des avenants et de leurs effets au fil des ans est un sujet d’expertise que pouvait aborder l’expert à titre d’actuaire. À l’audition, le tribunal retient que la demanderesse allègue que l’assureur détenait un niveau d’expertise supérieur à la SSJBM et qu’il aurait profité de ce déséquilibre pour obtenir une entente financière qui lui est plus favorable. 

L’actuaire mandaté par la demanderesse affirme, dans ses conclusions, « que l’entente et les modifications étaient structurellement non rentables pour la demanderesse ». Le tribunal résume quelques passages du rapport de l’actuaire, ce qui lui permet de conclure « que l’expert a écrit un rapport pertinent sur les sujets abordés dans la demande ». 

Cette expertise de niveau technique complexe sera susceptible d’aider le juge qui entendra le mérite de ce dossier. Ordonner le rejet du rapport d’expert commandé par la demanderesse « aurait des conséquences préjudiciables importantes » pour la SSJBM, car il lui est impossible de présenter une preuve sans avoir recours à un expert, conclut le tribunal. 

L’assureur a déposé sa demande de rejet le 14 février 2024. L’audience devant la Cour supérieure a eu lieu le 28 juin dernier. Aucune date pour la tenue du procès n’a encore été fixée. 

Contactée par le Portail de l’assurance, la SSJBM confirme qu’elle utilise désormais les services d’une autre compagnie d’assurance pour offrir des produits d’assurance collective à ses membres.