Parmi les sujets qui perturbent son sommeil, Nadine Renaud-Tinker en cible trois : la gestion des talents, la gouvernance sociale et environnementale de même que le leadership du futur.

La présidente de la Banque Royale du Canada (RBC) au Québec était l’invitée du Cercle canadien de Montréal le 17 octobre dernier.

Elle rappelle les propos tenus en 2018 par le PDG de la RBC, Dave Mackay, qui était de passage sur la même tribune : « Même si l’économie affiche une certaine croissance en ce moment, l’heure est venue pour le Québec et pour chaque province d’investir dans l’avenir. Nous savons que si nous ne le faisons pas quand la conjoncture est bonne, il sera beaucoup plus difficile de le faire plus tard lorsque les ressources seront plus limitées. »

Avec quatre ans de recul, Nadine Renaud-Tinker fait le constat que les ressources sont désormais plus limitées. Un sondage mené auprès des gens dans l’assistance lui confirme que la pénurie de main-d’œuvre est au sommet de la liste des ressources manquantes.

À la RBC, « c’est surtout la main-d’œuvre qui a le plus d’impact sur notre expérience client, notre expérience employée et notre possibilité de dépasser nos objectifs d’affaires », dit-elle.

Chaises vides

Il y a six mois, Nadine Renaud-Tinker et son équipe faisaient le constat que parmi tous les postes vacants dans les rôles d’entrée au sein de l’entreprise au Canada, 70 % étaient recherchés par des succursales établies au Québec. Ces postes à pourvoir sont le conseil à la clientèle, aux services bancaires, etc.

Pour la présidente de la RBC au Québec, qui a elle-même commencé sa carrière à la banque comme conseillère à la clientèle en 1998, ce constat a fait mal. Six mois plus tard, ce pourcentage est descendu à 40 % et elle entend le réduire encore dans les prochaines semaines.

« Même si l’écart diminue, vous pouvez comprendre pourquoi cette situation me garde extrêmement réveillée la nuit. Soixante-dix pour cent des chaises vides, c’est énorme », dit-elle.

Selon Nadine Renaud-Tinker, il existe quatre facteurs qui expliquent l’écart entre les besoins d’affaires de l’entreprise et la capacité du marché du travail. « Le premier, je ne vous apprends rien : il manque cruellement de travailleurs au Québec, dans toutes les lignes d’affaires et toutes les industries », dit-elle.

L’écart s’explique aussi parce que les travailleurs recherchent un meilleur équilibre entre les exigences du travail et les besoins de la vie personnelle. Par exemple, une proportion de plus en plus grande d’hommes utilise le régime québécois d’assurance parentale (RQAP) pour prendre un congé de paternité. D’autres travailleurs en fin de carrière décident de prendre leur retraite plus tôt que prévu.

Comme troisième facteur, elle évoque les « attentes salariales titanesques » des candidats. « Nous en sommes un peu responsables. Chaque fois qu’on bonifie une offre ou qu’on offre un poste au-delà des compétences d’un candidat, on nourrit la bête. On a créé un monstre, c’est vrai, vous le savez tous. On essaie de trouver des solutions », dit-elle.

Enfin, comme quatrième facteur expliquant l’écart, elle parle du rapport à la diversité des profils neurologiques. Selon elle, les travailleurs ayant un profil cognitif différent sont sous-représentés et sous-employés. « On se prive de ce bassin de talents », indique-t-elle.

Sonder le personnel

L’institution financière compte 7 000 employés au Québec. Nadine Renaud-Tinker avoue avoir « commis quelques erreurs » en raison des nombreux postes à pourvoir. « J’ai un petit peu baissé ma garde sur les valeurs de l’entreprise », précise-t-elle.

De nombreux employeurs ont fait de même en raison des difficultés à recruter et à retenir le personnel. Parmi toutes les compétences recherchées lors de l’évaluation des candidats, « cette case de nos valeurs est essentielle. Elle doit toujours se trouver en tête de liste », insiste-t-elle.

Devant ce constat, la présidente de la RBC au Québec a préféré opter pour un compromis en matière d’horaire de travail. En offrant de la souplesse, la banque a réussi à convaincre des travailleurs expérimentés de sortir de leur retraite ou de retarder leur départ. Leur rôle de mentor est davantage valorisé par l’organisation.

De plus, elle inscrit le recrutement parmi les tâches essentielles des gestionnaires. « Nos leaders aussi font partie de l’équipe de recrutement », dit-elle.

Les candidats ont beaucoup de choix et les gestionnaires ont le devoir de créer l’environnement de travail adéquat. Ça n’est pas toujours facile, car cinq générations aux caractéristiques très distinctes se côtoient dans les entreprises, souligne Mme Renaud-Tinker.

« Chaque travailleur, qu’il soit nouveau ou depuis 40 ans à la RBC, a des intérêts et des motivations personnelles différentes », dit-elle. En apprenant ce qui les motive, elle croit que l’employeur peut mieux tirer profit de l’organisation du travail.

Les employés sont sondés, désormais trois fois par année, pour mesurer leur évaluation du milieu de travail. Quelque 4 500 commentaires sont reçus, ce qui aide l’organisation à s’ajuster plus rapidement.

Intégration plus courte

La période d’apprentissage des conseillers à la clientèle et aux services bancaires a été réduite de 16 à 6 semaines. Cette réduction du temps d’intégration a été possible grâce à différentes stratégies technologiques, « mais aussi à travers le coaching et différentes façons de travailler ensemble. On a utilisé les outils technologiques pour avoir de meilleures conversations avec les clients, quelle que soit la ligne d’affaires, plus rapidement », dit-elle.

Dans certains cas, pour les recrues les plus prometteuses, on les met à l’œuvre après seulement quatre semaines. « Évidemment, on essaie de connaître les gens avant de faire ça. Mais c’est important de bâtir cette confiance », ajoute-t-elle.

Nadine Renaud-Tinker est fière de cette stratégie qui a été adoptée par certains collègues dans d’autres provinces où le taux de roulement est aussi préoccupant. Au Québec, on a dû prendre les devants à cet égard en raison de l’impact plus senti du vieillissement démographique.

Toute cette évolution du côté des ressources humaines ne peut se produire sans la contribution des gestionnaires. « leur propre rôle change aussi, ils ont beaucoup de choses à apprendre », souligne-t-elle.

L’employeur doit les accompagner et leur offrir le soutien nécessaire « tout en leur donnant l’espace qu’ils ont besoin pour prendre des décisions d’affaires rapidement, sans nécessairement se sentir les mains liées », note Mme Renaud-Tinker.

La numérisation des activités contribue aussi à attirer les jeunes talents. Nadine Renaud-Tinker souligne l’investissement de la RBC dans le laboratoire de données de l’École de technologie supérieure (ÉTS). « Ça nous permet d’accueillir les étudiants plus rapidement », dit-elle.

La banque a aussi créé RBCX, une filiale d’investissement en capital de risque axée sur l’innovation technologique dans les services financiers. En assurance collective par exemple, on a réussi à automatiser la facturation des médecins qui collaborent aux programmes de santé.

Climat et gouvernance

Nadine Renaud-Tinker aborde ensuite la nécessité de la transition climatique et les efforts de l’institution en matière de gouvernance sociale et environnementale (ESG). La finance durable et les investissements durables ne sont pas des sujets qu’on peut passer sous silence et il y a beaucoup de travail à faire, selon elle.

La « transition Net-Zéro demande une refonte complète de tout ce qu’on connaît des principes d’économie globale. C’est un gros changement qui ne se fera pas du jour au lendemain. »

« La transformation dans laquelle on s’embarque en ce moment est remplie de risques et d’opportunités. Il faudra donc être prudent ensemble et audacieux, rigoureux et agile », poursuit Mme Renaud-Tinker.

« On veut évoluer, mais on veut aussi donner l’exemple puis façonner la transition le plus simplement possible en collaborant aussi avec d’autres institutions financières », dit-elle.

La première responsabilité de l’institution financière est l’éducation de ses employés. Bien informer les clients est une autre responsabilité importante, selon elle. Pour ceux-ci, le cadre de référence commun de l’International Sustainability Standards Board (ISSB) est utilisé pour aider les clients à évaluer la durabilité de leurs investissements.

La troisième responsabilité de la banque est de contribuer à la transition climatique en offrant les meilleurs produits, sans pour autant tomber dans le « greenwashing », précise-t-elle.

Donner l’exemple

En citant différentes études menées par les grandes firmes internationales de consultants, Nadine Renaud-Tinker constate la méfiance des populations à l’endroit des dirigeants d’entreprises. Dans un sondage récent auquel plus de 35 000 personnes ont participé, « 50 % des répondants pensent que les leaders essaient de les flouer ».

De plus, 44 % des personnes accordent de la crédibilité aux PDG des entreprises. Toujours selon l’enquête, « 60 % des gens sondés mentionnent que les dirigeants sont davantage intéressés par leurs propres chiffres à court terme plutôt que de favoriser le bien commun à long terme. Ça, mes chers collègues, ça me garde réveillée la nuit », lance Nadine Renaud-Tinker.

Les PDG ont des comptes à rendre et doivent afficher de bons résultats, mais cette dichotomie entre la performance et la bienveillance est préoccupante. « En fait, il faut arrêter de penser qu’il faut toujours faire plus, on pense tous ça. Il faut faire mieux », indique-t-elle.

« Il faut prendre le temps de se déposer un petit peu, de prendre du recul puis d’écouter autour de nous. Dans le contexte actuel, plus que jamais, on doit apprendre de nos gens, de nos équipes », dit-elle en rendant hommage aux collègues et aux mentors qui ont accompagné son parcours à la RBC.

« On gagne à faire mieux dans la gestion de nos talents, pour nos organisations et collectivement. On gagne à faire mieux en prenant nos responsabilités en matière de gouvernance sociale et environnementale. On gagne à faire mieux pour inspirer confiance en tant que leader, individuellement et collectivement », conclut Nadine Renaud-Tinker.

[L’article a été rédigé à partir d’un enregistrement audio de la présentation qui nous a été fourni par les organisateurs, NDLR.]