L’augmentation du nombre et de la sévérité des catastrophes naturelles force les assureurs à collaborer avec les autorités publiques pour mitiger les impacts des sinistres. Dans cette veine, le gouvernement du Québec lance un programme destiné aux municipalités tout en révisant le cadre règlementaire en matière de gestion des risques liés aux inondations.

Le 15 juillet dernier, la titulaire du ministère des Affaires municipales et de l’Habitation (MAMH), André Laforest, a annoncé une bonification de 270 millions de dollars (M$) du Plan de protection du territoire face aux inondations, rendu public en avril 2020. Le Ministère annonce ainsi le lancement d’un nouveau « Programme de résilience et d’adaptation face aux inondations » (PRAFI), avec un volet axé sur les aménagements résilients. La création du PRAFI répond à la mesure 10 prévue dans le Plan de protection.

Les sommes serviront à soutenir les municipalités qui veulent réaliser des aménagements pour mieux protéger les milieux bâtis dans les secteurs jugés à risque élevé d’inondation. On veut aussi favoriser la mise en œuvre de solutions durables à l’échelle du bassin versant.

Le premier appel de projets est prévu le 16 août prochain et les municipalités auront jusqu’à 16 septembre 2021 à 16 h 30 pour soumettre leur demande. Un guide est accessible dans le site du MAMH pour accompagner les municipalités (locales ou régionales) dans leur demande.

Le président de l’Union des municipalités du Québec et maire de Gaspé, Daniel Côté, a salué l’annonce du programme par voie de communiqué. Il a invité ses collègues à soumettre leurs demandes de soutien financier dès le 16 août prochain.

Aménagements

L’aide financière ciblera les projets visant la réduction des eaux de ruissellement, la rétention des eaux de pluie et de ruissellement lors des crues. La restauration et la création de milieux humides feront aussi partie des mesures admissibles. L’aide financière accordée par l’entremise du PRAFI ne peut excéder 75 % des dépenses admissibles.

Le guide du programme précise la nature des travaux qui ne seront pas admissibles. Cela inclut notamment les barrages et les travaux visant la consolidation d’une emprise, sauf si celle-ci fait partie intégrante d’un système d’endiguement. Les projets touchant la lutte aux inondations causées par la submersion côtière ou le refoulement d’égout ne sont pas admissibles non plus.

En décembre 2020, le gouvernement a annoncé la création de 10 bureaux de projets dans les régions les plus à risque. Les personnes-ressources ont depuis été embauchées et les rencontres de démarrage ont eu lieu entre mai et juillet.

Première étape

Le chercheur Philippe Gachon, du département de géographie de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), estime que les fonds de 270 M$ ne suffiront pas à couvrir les besoins, particulièrement dans les petites municipalités. « Si on divise cela par le nombre de personnes qui vivent dans les municipalités touchées, ça représente des peanuts », lance-t-il, en soulignant le fait que le Québec continue à investir des milliards de dollars chaque année dans ses infrastructures.

«Je vous rappelle que seulement pour les inondations printanières de 2017 et 2019, la facture a dépassé le milliard de dollars », dit-il. Le programme est une première étape qui va dans la bonne direction, ajoute le chercheur, mais il y a un obstacle : les municipalités qui acceptent de limiter la construction dans les zones à risque se privent ainsi de revenus fonciers.

« Tant qu’on ne règle pas le problème des revenus des municipalités, celles-ci vont continuer de permettre la construction d’immeubles un peu partout afin de récolter les revenus de la taxation foncière », insiste M. Gachon. Outre ses fonctions à l’UQAM, M. Gachon dirige le Réseau Inondations Intersectoriel du Québec (RIISQ). Celui-ci regroupe quelque 120 chercheurs répartis dans 16 universités et institutions de recherche.

« On ne peut pas attendre 20 ans pour régler ça, c’est une urgence, car le problème des inondations vient de là : le développement des municipalités passe par les revenus fonciers, et on laisse les gens construire là où ils ne devraient pas le faire », explique-t-il.

Régime transitoire

Depuis le 23 juin, le gouvernement consulte sur son projet de régime transitoire de gestion des zones inondables, des rives et du littoral. Le projet vient modifier plusieurs règlements afin de préciser l’encadrement des activités dans ces zones sensibles. On veut ainsi corriger les lacunes de la « Politique de protection des rives, du littoral et des plaines inondables » (PPRLPI), d’ici à ce qu’un cadre permanent basé sur une approche de gestion des risques et impacts sur l’environnement soit adopté et que les cartographies des zones inondables correspondantes soient prêtes.

Le projet de règlement, sur lequel la consultation se poursuit jusqu’au 7 août 2021, permettra de remplacer la zone d’intervention spéciale (ZIS) mise en place en juillet 2019. La ZIS a imposé un moratoire sur la construction de bâtiments et la reconstruction d’immeubles détruits par une inondation qui sont situés sur les territoires visés.

Le cadre normatif en cours de consultation demeure une solution de transition, le temps qu’une politique permanente soit adoptée. Cela démontre qu’il n’y a pas encore de vision commune entre les paliers de gouvernement sur la question de la lutte contre les sinistres naturels. « Ce sont les élus municipaux qui sont redevables devant leur population, et qui gèrent le développement et la construction », indique-t-il.

Selon M. Gachon, le gouvernement doit rétablir le sentiment d’imputabilité au sein des administrations locales à cet égard, mais il doit aussi allouer les moyens nécessaires aux élus municipaux pour qu’ils exécutent leurs devoirs.

« Le Québec doit s’asseoir avec Ottawa pour déterminer qui paie la facture des dommages. Dans les accords d’aide financière en cas de catastrophe, le gouvernement fédéral paie environ 60 % de la note, les provinces et les assureurs se partagent le reste », dit-il.

Le gouvernement du Québec doit ainsi discuter avec Ottawa pour trouver une manière de mutualiser les risques associés aux changements climatiques, insiste le professeur.

Plan de protection

Le 14 avril à la Journée de l’assurance de dommages, s’est déroulée une session portant sur le rôle des assureurs en matière de lutte contre les changements climatiques. Philippe Gachon avait alors expliqué les grandes lignes du Plan de protection du territoire face aux inondations. Le Plan comprend 23 mesures, incluant la révision de la cartographie des inondations et la révision des schémas d’aménagement du territoire.

Les petites municipalités du Québec ne sont pas très bien équipées pour lutter contre ces inondations, comparativement à l’Ontario, souligne le chercheur. Dans cette province, l’organisation territoriale, la répartition des responsabilités à l’échelle régionale et la collaboration avec les chercheurs contribuent à améliorer la gestion de ces risques.

La surface de la Terre est couverte à 70 % par des océans. Cette masse d’eau qui se réchauffe renferme une capacité importante d’énergie, laquelle est susceptible de modifier les conditions atmosphériques et le cycle hydrologique. Cela aura des impacts sur les inondations, l’érosion des berges en bordure de mer et la fonte du pergélisol et des glaces.

Les tempêtes majeures qui provoquent le plus de dommages surviennent désormais à des périodes inhabituelles, ajoute le professeur Gachon en citant les épisodes d’inondations survenant en plein hiver. Le chercheur anticipe une hausse de ces inondations provoquées par des embâcles plus tôt durant l’hiver, et non plus seulement au printemps.

Ce type de sinistre est particulièrement couteux pour les assureurs, car l’effet combiné de l’eau et du froid hivernal endommage davantage les habitations touchées. Dans ces conditions, il faut encore plus de temps aux résidants pour réintégrer leur domicile.